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<< Il n'y a pas un lecteur de Sénèque qui n'ait été frappé des sentiments chrétiens qu'on trouve répandus dans ses écrits, et qui sont souvent rapportés dans les expressions mêmes du Nouveau Testament. Dira-t-on qu'il est naturel qu'un homme de bien qui médite sur la nature humaine et sur les rapports entre Dieu et l'homme, soit conduit aux mêmes vérités morales qui sont énoncées dans les saintes Écritures? Mais pourquoi ne trouve-t-on rien de semblable dans les traités de morale d'Aristote, dans les dialogues de Platon, dans les choses mémorables de Socrate par Xénophon, dans les ouvrages philosophiques de Cicéron? Pourquoi, surtout, dans le manuel d'Épictète et dans le livre de Marc-Aurèle, qui tous les deux professaient les principes de la même école que Sénèque, les ressemblances avec les idées chrétiennes sont-elles si peu nombreuses? Le phénomène s'explique 'si l'on admet que Sénèque a connu et fréquenté des chrétiens, et qu'il a vécu dans des rapports d'amitié avec le plus célèbre de leurs docteurs qui a passé deux années à Rome.

« Ce ne sont pas seulement des principes du christianisme qu'on trouve dans Sénèque; on est bien plus étonné encore d'y trouver des phrases inusitées chez les écrivains profanes, et des mots pris dans des acceptions qu'ils n'ont que dans le Nouveau Testament (1). »

sages parallèles, en commençant par la harangue que l'Apôtre prononça devant l'aréopage d'Athènes, et que saint Luc a insérée dans le xvire chapitre des Actes des Apôtres. (Schoell, p. 446 à 448.)

(1) Schoell, p. 448 et 449. Tel est l'emploi du mot caro, dans le sens biblique, qu'on ne remarque dans aucun écrivain païen (a); celui du mot angelus, comme il est pris dans la vingtième lettre (b), et qui rappelle l'ange de Satan dont se plaint saint Paul (c), et que les interprètes prennent pour un faux apôtre; telle est encore l'expression de Saint-Esprit (d), et celle de progéniture de Dieu, pour indiquer un homme de bien (e); telle est la comparaison de la vie avec un état de

Note F, page 354.

Voici avec quel enthousiasme la spirituelle madame de Sévigné louait les Petites Lettres, - c'était le nom donné communément alors aux Provinciales :

« Quelquefois pour nous divertir, écrit-elle à sa fille,

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nous lisons les Petites Lettres : bon Dieu, quel charme! et comme mon fils les lit! je songe toujours à ma fille, et combien cet excès de justesse de raisonnement serait digne d'elle, mais votre frère dit que vous trouvez que c'est toujours la même chose. Ah, mon Dieu! tant mieux; peut-on avoir un style plus parfait, une raillerie plus fine, plus naturelle, plus délicate, plus digne fille de ces dialogues de Platon, qui sont si beaux? Et lorsque, après les dix premières lettres, il s'adresse aux révérends Pères, quel sérieux! quelle solidité! quelle force! quelle élégance! quel amour pour Dieu et pour la vérité ! quelle manière de la soutenir et de la faire entendre! c'est tout cela qu'on trouve dans les huit dernières lettres, qui sont sur un ton bien différent. Je suis assurée que vous ne les avez jamais lues qu'en courant, grapillant les endroits plaisants: mais ce n'est point cela, quand on les lit à loisir (1). »

guerre (f). Toutes ces manières de parler sont exclusivement propres à Sénèque parmi tous les écrivains profanes.

(a) Animo cum hac carne grave certamen est, ne abstrahatur (De consol. ad Martian., cap. xxiv). Animus liber habitat; nunquam me caro ista compellet ad metum (Ep. 65). Non est summa felicitatis nostræ in carne ponenda (Ep. 74). — (b) Nec ego, Epicuri angelus, scio, etc. (c) II Cor., XII. — - (d) Sacer intra nos spiritus sedet (Ep. 41). (e) Vir bonus vera progenies Dei (De Providentia, cap. 1). — (f) Ep. 51, 96. — Voir Schoell, p. 450 à 452, et Fr. Ch. Gelpke: Tractatiuncula de familiaritate quæ Paulo apostolo cum Senequa philosopho intercessisse traditur, verisimillima. (Leipzig, 1813, in-4.)

(1) Mercredi, 21 décembre 1689, t. IX de l'édit. de Blaise. 1818, p. 265 et 266, in-8.

CHAPITRE VIII

PORTRAITS

1. Madame de Staël. II. Le bourreau. - III. Voltaire.

Royal. V. Bossuet et Fénelon.

I

IV. Port

C'est donc vous, madame la marquise, qui avez promené la science en jupon (1). Je vous en félicite, et je suis charmé que vous ayez pu, comme moi, examiner de près cette femme célèbre, ou fameuse, qui aurait pu être adorable, et qui a voulu n'être qu'extraordinaire. Il ne faut pas disputer des goûts; mais, suivant le mien, elle s'est bien trompée. Je trouve que vous la jugez parfaitement bien, excepté dans l'endroit où vous dites que souvent elle dit des choses qu'elle ne pense pas. Oh! pardonnez-moi. Elle dit fort bien ce qu'elle veut dire. Je ne connais pas de tête aussi complétement pervertie; c'est l'opération infaillible de la philosophie moderne sur toute femme quelconque, mais le cœur n'est

(1) Madame de Staël.

pas mauvais du tout. A cet égard, on lui a fait tort. Quant à l'esprit, elle en a prodigieusement, surtout, comme vous le dites fort bien, lorsqu'elle ne cherche pas à en avoir (1).

Le premier malheur de madame de Staël fut de n'être pas née catholique. Si cette loi réprimante eût pénétré son cœur, d'ailleurs assez bien fait, elle eût été adorable au lieu d'être fameuse.

Le second malheur pour elle fut de naître dans un siècle assez léger et assez corrompu pour lui prodiguer une admiration qui acheva de la gâter. S'il lui avait plu d'accoucher en public dans la chapelle de Versailles, on aurait battu des mains. Un siècle plus sage aurait bien su la rendre estimable, en la menaçant du mépris.

Quant à ses ouvrages, on peut dire, sans faire un jeu de mots, que le meilleur est le plus mauvais : il n'y a rien de si médiocre, que tout ce qu'elle a publié jusqu'à l'ouvrage sur l'Allemagne. Dans celui-ci elle s'est un peu élevée ; mais nulle part elle n'a déployé un talent plus distingué que dans ses Considérations sur la révolution française. Par malheur, c'est le talent du mal. Toutes les erreurs de la révolution y sont concentrées et sublimées. Tout homme qui peut lire cet ouvrage sans colère peut être né en France, mais il n'est pas Français (2).

Quant aux autres hommes, je n'ai rien à dire.

Quand on méprisera ces sortes d'ouvrages autant qu'ils le méritent, la révolution sera finie.

Une femme protestante prenant publiquement un

(1) Lettres et op., t. I, p. 91.

(2) Voir la note_ A.

archevêque catholique à partie, et le réfutant sur l'origine divine de la souveraineté, peut amuser sans doute certains spectateurs; chacun a son goût : mais, pour moi, je préfère infiniment Polichinelle de la place Château; il est plus décent et non moins raisonnable (1).

II

Je vous crois trop accoutumés à réfléchir, pour qu'il ne vous soit pas arrivé souvent de méditer sur le bourreau. Qu'est-ce donc que cet être inexplicable qui a préféré à tous les métiers agréables, lucratifs, honnêtes et même honorables, qui se présentent en foule à la force ou à la dextérité humaine, celui de tourmenter et de mettre à mort ses semblables? Cette tête, ce cœur, sont-ils faits comme les nôtres ? ne contiennent-ils rien de particulier et d'étranger à notre nature? Pour moi, je n'en sais pas douter. Il est fait comme nous extérieurement; il naît comme nous; mais c'est un être extraordinaire, et pour qu'il existe dans la famille humaine il faut un décret particulier, un FIAT de la puissance créatrice. Il est créé comme un monde. Voyez ce qu'il est dans l'opinion des hommes, et comprenez, si vous pouvez, comment il peut ignorer cette opinion ou l'affronter! A peine l'autorité a-t-elle désigné sa demeure, à peine en a-t-il pris possession que les autres habitations reculent, jusqu'à ce qu'elles ne voient plus la sienne. C'est au milieu de cette solitude et de cette espèce de vide formé autour de lui qu'il vit seul avec sa

(1) Lettres et op., t. I, p. 503 et 504.

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