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Ce même éloge appartient éminemment à Bossuet. Nul homme ne fut jamais plus maître de lui-même, et ne sut mieux dire ce qu'il fallait, comme il fallait, et · quand il fallait. Était-il appelé à désapprouver un scandale public, il ne manquait point à son devoir; mais quand il avait dit : Il ne vous est pas permis de l'avoir, il savait s'arrêter, et n'avait plus rien à démêler avec l'autorité. Les souffrances du peuple, les erreurs du pouvoir, les dangers de l'État, la publicité des désordres, ne lui arrachèrent jamais un seul cri. Toujours semblable à lui-même, toujours prêtre et rien que prêtre, il pouvait désespérer une maîtresse sans déplaire à l'auguste amant.

S'il y a quelque chose de piquant pour l'œil d'un observateur, c'est de placer à côté de ce caractère celui de Fénelon levant la tête au milieu des favoris et des maîtresses; à l'aise à la cour, où il se croyait chez lui, et fort étranger à toutes sortes d'illusions; sujet soumis et profondément dévoué, mais qui avait besoin d'une force, d'un ascendant, d'une indépendance extraordinaire pour opérer le miracle dont il était chargé.

Trouve-t-on dans l'histoire l'exemple d'un thaumaturge qui ait fait d'un prince un autre prince, en forçant la plus terrible nature à reculer? Je ne le crois pas.

Voltaire a dit l'Aigle de Meaux, le Cygne de Cambrai. On peut douter que l'expression soit juste à l'égard du second qui avait peut-être dans l'esprit moins de flexibilité, moins de condescendance, et plus de sévérité que l'autre.

Les circonstances mirent ces deux grands person

nages en regard, et par malheur ensuite en opposition. Honneur éternel de leur siècle et du sacerdoce français, l'imagination ne les sépare plus, et il est devenu impossible de penser à eux sans les comparer.

C'est le privilége des grands siècles de léguer leurs passions à la postérité, et de donner à leurs grands hommes je ne sais quelle seconde vie qui nous fait illusion et nous les rend présents. Qui n'a pas entendu des disputes pour et contre madame de Maintenon, soutenues avec une chaleur véritablement contemporaine? Bossuet et Fénelon présentent le même phénomène. Après un siècle, ils ont des amis et des ennemis dans toute la force des termes; et leur influence se fait sentir encore de la manière la plus marquée.

Fénelon voyait ce que personne ne pouvait s'empêcher de voir des peuples haletant sous le poids des impôts, des guerres interminables, l'ivresse de l'orgueil, etc.

Alors le zèle qui dévorait le grand archevêque savait à peine se contenir. Mourant de douleur, ne voyant plus de remède pour les contemporains, et courant au secours de la postérité, il ranimait les morts; il demandait à l'allégorie ses voiles, à la mythologie ses heureuses fictions; il épuisait tous les artifices du talent pour instruire la souveraineté future, sans blesser celle qu'il aimait tendrement en pleurant sur elle.

Cependant qu'est-il arrivé? Ce grand et aimable génie paye encore aujourd'hui les efforts qu'il fit, il y a plus d'un siècle, pour le bonheur des rois, encore plus que pour celui des peuples. L'oreille superbe de l'autorité redoute encore la pénétrante douceur des vérités pro

noncées par cette Minerve envoyée sous la figure de Mentor; et peu s'en faut que dans les cours Fénelon ne passe pour un républicain.

Bossuet, au contraire, parce qu'il fut plus maître de son zèle, et que surtout il ne lui permit jamais de se montrer au dehors sous des formes humaines, inspire une confiance sans bornes. Il est devenu l'homme des rois. La majesté se mire et s'admire dans l'impression qu'elle fait sur ce grand homme (1).

(1) De l'Église gallicane, col. 612 à 615.

NOTES

DU CHAPITRE VIII.

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Note A, page 369.

Non moins sévère et non moins juste que M. de Maistre, M. de Bonald a écrit:

« C'est un bien triste legs qu'a fait à la société madame de Staël, que l'ouvrage posthume... publié sous son nom, des Considérations sur les principaux événements de la révolution française...

« C'est encore un roman sur la politique et la société, écrit sous l'influence (1) des affections domestiques et des passions politiques qui ont occupé ou agité l'auteur; c'est encore Delphine et Corinne, qui font de la politique comme elles faisaient de l'amour ou s'exaltaient sur les chefs-d'œuvre des arts, avec leur imagination, et surtout avec leurs émotions, peut-être aussi avec des inspirations; car les femmes, circonscrites par la nature dans le cercle étroit des soins domestiques, ou, la plupart, quand elles en sortent, livrées à la dissipation, ne parlent guère de politique que par ouï-dire.

(1) Allusion au titre d'un des ouvrages de madame de Staël, Traité sur l'influence des passions.

« Je ne crois pas qu'il y eût en Europe un écrivain moins appelé que madame de Staël à considérer une révolution. Il y a toujours eu trop de mouvement dans son esprit, et trop d'agitation dans sa vie, pour qu'elle ait pu observer et décrire ce mouvement violent et désordonné de la société. Il faut être assis pour dessiner un objet qui fuit; et ici le peintre n'a pas plus posé que le modèle.

<< Madame de Staël a fait en écrivant sur la politique, la même méprise qu'avait faite M. Necker en gouvernant. M. Necker était un homme d'affaires et un littérateur, et il s'est cru un homme d'État...

« La doctrine politique de madame de Staël est toute en illusions, sa doctrine religieuse en préventions ou en préjugés, et sa doctrine littéraire en paradoxes.

<< Deux sentiments dominent dans l'ouvrage de madame de Staël: sa tendresse pour son père, son admiration pour l'Angleterre.

« Avec l'éloge de M. Necker, madame de Staël justifie le renversement de l'ancienne constitution de la France; et, avec l'éloge du peuple anglais, l'impulsion vers les institutions anglaises que donna son père (1).

<< Madame de Staël eût mieux fait, je crois, pour sa mémoire et pour notre repos, de conserver à son écrit le caractère de ses conversations; ou, s'il n'était qu'une bienséance commandée par les égards dus à la société au Inilieu de laquelle elle vivait,... d'emporter son secret avec elle, et de ne pas le confier à une œuvre posthume qui ne composera jamais la bibliothèque d'un homme

(1) M. de Bonald, Observations sur l'ouvrage de madame la baronne de Staël, ayant pour titre : Considérations, etc., p. 529 à 531 de ses Mélanges litt., polit. et philos., 3e édit. 1852.

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