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à tous les autres, qui lui en disaient librement leur avis : et leurs conférences étaient suivies, tantôt d'une promenade, tantôt d'une collation qu'ils faisaient ensemble. Ils continuèrent ainsi trois ou quatre ans, et comme j'ai ouï dire à plusieurs d'entre eux, c'était avec un plaisir extrême et un profit incroyable. De sorte que quand ils parlent encore aujourd'hui de ce temps-là et de ce premier âge de l'Académie, ils en parlent comme d'un âge d'or, durant lequel avec toute l'innocence et toute la liberté des premiers siècles, sans bruit et sans pompe, et sans autres lois que celles de l'amitié, ils goûtaient ensemble tout ce que la société des esprits et la vie raisonnable ont de plus utile et de plus charmant.

« Ils avaient arrêté de n'en parler à personne; et cela fut observé fort exactement pendant ce temps-là (1). »

Note B, page 424.

«En fait de religion (dit Marivaux), ne cherchez point à convaincre les hommes; ne raisonnez que pour leur cœur : quand il est pris, tout est fait. Sa persuasion jette dans l'esprit des lumières intérieures, auxquelles il ne résiste point.

« Il y a des vérités qui ne sont point faites pour être directement présentées à l'esprit. Elles le révoltent, quand elles vont à lui en droite ligne; elles blessent sa petite logique; il n'y comprend rien; elles sont des absurdités pour lui.

<< Mais, faites-les, pour ainsi dire, passer par le cœur, rendez-les intéressantes à ce cœur; faites qu'il les aime. Parce qu'il faut qu'il les digère, qu'il les dispose, il faut que le goût qu'il prend pour elles les développe. Imagi

(1) P. 10 à 13 et suivantes du t. I de l'Histoire de l'Académie française, par Pellisson et d'Ollivet (3e édition, in-12, 1743.)

nez-vous un fruit qui se mûrit, ou bien une fleur qui s'épanouit à l'ardeur du soleil; c'est là l'image de ce que ces vérités deviennent dans le cœur qui s'en échauffe, et qui peut-être alors communique à l'esprit même une chaleur qui l'ouvre, qui l'étend, qui le déploie, et lui ôte une certaine roideur qui lui bornait sa capacité, et empêchait que ces vérités ne le pénétrassent.

« On ne saurait expliquer autrement la docilité subite de certaines gens, et la prompte conviction qui les entraîne.

« Il faut bien qu'il passe alors entre l'esprit et le cœur un mouvement dont il n'y a que Dieu qui sache le mystère. Est-ce que la persuasion de l'un serait la source des lumières de l'autre?

<< En fait de religion, tout est donc ténèbres pour l'homme, en tant que curieux; tout est fermé pour lui, parce que l'orgueilleuse envie de tout savoir fut son premier péché : mais le mal n'est pas sans remède; l'esprit peut encore se réconcilier avec Dieu par le moyen du cœur. C'est en aimant que notre âme rentre dans le droit qu'elle a de connaître. L'amour est humble, et c'est cette humilité qui expie l'orgueil du premier homme.

« Ceux qui connaissent Dieu, parce qu'ils l'aiment, qui sont pénétrés de ce qu'ils en voient, ne peuvent, dit-on, nous rapporter ce qu'ils en connaissent: il n'y a point de langue qui exprime ces connaissances-là; elles sont la récompense de l'amour, et n'éclairent que celui qui aime; et quand même il pourrait les rapporter, le monde n'y comprendrait rien; elles sont à une hauteur, à laquelle l'esprit humain ne saurait atteindre que sur les ailes de l'amour. Cet esprit humain est à terre, et il faut voler pour aller là.

« Ceux qui aiment Dieu communiquent pourtant ce

qu'ils en savent à ceux qui leur ressemblent; ce sont des oiseaux qui se rencontrent dans les airs.

« Quelles étranges choses que tout cela pour le profane (1)! »

Note C, page 426.

Les lignes suivantes d'une lettre de M. de Maistre à M. de Bonald, en date du 25 mars 1820, me semblent l'admirable preuve de la vérité de cette pensée :

<< Il n'y a rien qui me plaise, qui me réjouisse, qui me << console autant que vos lettres; mais celle que vous << m'avez écrite le lendemain du jour affreux (2) (où fut << assassiné le duc de Berry), a pour moi un titre particu<< lier. J'aime à voir votre cœur se répandre et vos idées « se précipiter immédiatement après cet attentat qui << écrase la pensée avant de la faire renaître, qui vous stu<< péfie d'abord, pour vous entraîner ensuite dans le champ « immense des profondes réflexions et des sublimes es« pérances. Nous chantons bien à l'église, Felix culpa! << pour le plus grand de tous les crimes, puisqu'il a perdu « le genre humain. Pourquoi ne nous permettrions-nous << pas la même exclamation en voyant dans l'avenir tout ce « que doit produire cette grande mort toute vitale et toute « vivifiante? Notre exclamation dérogerait-elle au respect « sans bornes, à la tendre et profonde compassion que << nous devons aux augustes affligés? J'imagine que non. « N'en doutez pas, Monsieur le vicomte, nous venons de « voir la fin des expiations. Le régent même et Louis XV << ne doivent plus rien, et la maison de Bourbon a reçu a l'absolution (3). »

(1) L. c. sup. P. 568 à 570.

(2) Voyez Lettres et op., t. II, p. 105 à 107 (14 février (820). (3) Ibid., p. 16.

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les plus belles et les plus grandes choses du monde se font par la volonté et providence de Dieu, attendu que, en toutes les plus grandes et principales parties du monde, il y a une âme; car l'organe et l'outil de l'âme, c'est le corps, et l'âme est L'OUTIL DE DIEU. Et comme le corps a de soi plusieurs mouvements, et que la plupart, mêmement les plus nobles, il les a de l'âme, aussi l'âme ne fait, ni plus, ni moins, aucune de ses opérations, étant mue d'elle-même; ès autres, elle se laisse manier, dresser et tourner à Dieu comme il lui plaît ; étant le plus bel organe et le plus adroit outil qui saurait être : car ce serait chose étrange que le vent, les nuées et les pluies fussent instruments de Dieu, avec lesquels il nourrit et entretient plusieurs créatures, et en perd aussi et défait plusieurs autres, et qu'il ne se servit nullement des animaux à faire pas une de ses œuvres. Ains est beaucoup plus vraisemblable, attendu qu'ils dépendent totalement de la puissance de Dieu, qu'ils servent à tous les mouvements et secondent toutes les volontés de Dieu, plus tôt que les arcs ne s'accommodent aux Scythes, les lyres aux Grecs ni les hautbois (1). >>

Note E, page 428.

Cette pensée, exprimée d'une manière si laconique, a besoin de quelque développement; je la restitue donc ici au passage d'où je l'ai extraite. M. de Maistre, après avoir répondu au reproche fait à l'Église catholique, de réciter les prières de la liturgie, en latin, langue morte, incompréhensible à la foule, s'exprime ainsi :

(1) Plutarque, Banquet des sept sages, traduction d'Amyot.

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<< Quant au peuple proprement dit, s'il n'entend pas les « mots, c'est tant mieux. Le respect y gagne, et l'intelli<< gence n'y perd rien. Celui qui ne comprend point, com« prend mieux que celui qui comprend mal (1). »

« C'est une chose remarquable, —dit Chateaubriand; les oraisons en langue latine semblent redoubler le sentiment religieux de la foule. Ne serait-ce point un effet naturel de notre penchant au secret? Dans le tumulte de ses pensées et des misères qui assiégent sa vie, l'homme, en prononçant des mots peu familiers et même inconnus, croit demander les choses qui lui manquent et qu'il ignore; le vague de sa prière en fait le charme, et son âme inquiète, qui sait peu ce qu'elle désire, aime à former des vœux aussi mystérieux que ses besoins (2). »

Veut-on savoir quelles prières formule l'hérésie, en langue vulgaire ?... qu'on lise seulement celle-ci que, tout récemment, l'évêque anglican de Londres proposait à ses diocésains de réciter, pour conjurer la perte des possessions anglaises dans les Indes:

« Prions,

<< O Seigneur tout-puissant, qui apaises les tumultes du peuple et la rage du païen, toi, dans les mains de qui se trouvent la vie et la mort de tous les hommes, nous te supplions en ce temps, de jeter un regard de paternelle miséricorde sur nos compatriotes d'Orient, qui sont exposés maintenant à des dangers extraordinaires et imprévus. Tu connais, ô Seigneur, nos péchés secrets aussi

(1) Du Pape, édit. Migne, col. 326.

(2) Génie du Christianisme, 4e partie, livre I, chapitre Iv. Cf. sur le même sujet Origène, in Numeros, homilia v, in librum Jesu Nave, homilia xx; S. Basile, De Spiritu sancto, cap. xxvii, n. 66; Vitæ Patrum, p. 507, édit. Rosweyde; Ruffin, lib. III, cap. XL. De la perpétuité de la foi, p. 719 du t. III; S. Jean Chrysostome, 3e discours; sur Lazare, n. 2, etc.

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