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même fin; c'est le moyen de nous assurer de la victoire sur notre ennemi, d'acquérir une vertu que nous n'avons pas, et de perfectionner beaucoup les autres. Si donc l'orgueil ou la colère m'attaque, il faut que je donne à mon cœur toute l'inclination et tout le penchant que je pourrai pour l'humilité et pour la douceur, et que j'y fasse encore servir les exercices spirituels, l'usage des sacrements, et les autres vertus, comme la prudence, la constance et la sobriété. Job, soutenu par la patience contre les tentations du démon, se trouva un homme parfait en toute sorte de vertus. Et bien plus, dit saint Grégoire de Nazianze, un seul acte de vertu fait avec toute la perfection dont il est capable et avec une excellente ferveur de charité, a quelquefois élevé tout d'un coup une personne au comble de la sainteté, et il cite sur cela la charitable et fidèle Rahab, qui parvint à un haut degré de gloire pour avoir une seule fois exercé l'hospitalité envers quelques Israélites avec beaucoup de ferveur et de charité.

CHAPITRE II

Suite du même sujet.

Saint Augustin dit excellemment que plusieurs personnes, dans les commencements de la dévotion, font des choses qu'on blâmerait si l'on en

jugeait par les règles exactes de la perfection, dont on les loue parce qu'on les regarde en elles comme les présages et les dispositions d'une grande vertu. C'est par cette raison que la crainte basse et grossière qui produit des scrupules excessifs dans l'âme de ceux qui sortent des voies du péché, est considérée comme une vertu et comme un présage certain d'une parfaite pureté de conscience; mais la même crainte serait blâmable en ceux qui sont déjà avancés, et dont le cœur doit être réglé par la charité, qui en bannit peu à peu la crainte servile.

La direction de saint Bernard était, au commencement, d'une rigueur et d'une dureté extrême pour ceux qui se mettaient sous sa conduite; car il leur déclarait d'abord qu'il fallait quitter le corps et ne venir à lui qu'avec le seul esprit. Entendant leur confession, il témoignait d'une manière vive et sévère l'horreur que lui faisaient leurs défauts, quelque petits qu'ils fussent. En un mot, il troublait et affligeait si fort l'âme de ces pauvres novices dans la perfection, qu'à force de les y porter il les en éloignait; ils se décourageaient et ne pouvaient avancer, semblables à des hommes que l'on presse de monter à la hâte une montagne fort escarpée. Vous le voyez, Philothée, c'était le zèle très-ardent d'une parfaite pureté qui faisait prendre cette méthode à ce grand saint; et ce zèle était en lui une grande vertu, mais une vertu qui ne laissait pas d'avoir quelque chose de

défectueux. Aussi Dieu l'en corrigea-t-il par luimême dans une merveilleuse apparition, répandant en son âme un esprit doux et miséricordieux, charitable et tendre, de manière que le saint, condamnant cette sévérité, eut toujours de la douceur et de la condescendance pour ceux qu'il dirigea depuis lors, et se fit avec beaucoup de suavité tout à tous, afin de les gagner tous à Jésus-Christ, Saint Jérôme, qui a écrit la vie de sainte Paule, sa chère fille, y remarque trois sortes d'excès : une austérité immodérée, une grande opiniâtreté à préférer en cela sa pensée au sentiment de saint Épiphane, son évêque, et une tristesse démesurée, qui la mit plusieurs fois en danger de mourir, après la mort de ses enfants et de son mari. Ce Père s'écrie: « Mais quoi ! l'on dira qu'au lieu « de faire l'éloge de cette sainte, je lui reproche «ses imperfections et ses défauts. Non, j'atteste

Jésus-Christ qu'elle l'a servi comme je veux le « servir, que je ne m'éloigne de la vérité ni « d'un côté ni de l'autre, en disant simplement << en chrétien ce qu'elle a été comme chrétienne, « c'est-à-dire que j'écris sa vie, et non pas son « éloge, pouvant dire d'ailleurs que ses défauts << auraient été des vertus en beaucoup d'autres.»>

Or vous entendez bien, Philothée, qu'il parle des âmes moins parfaites que sainte Paule. Et, en effet, il y a des actions que l'on condamne comme des imperfections dans ceux qui sont parfaits, et qui seraient prises pour de grandes per

fections dans ceux qui sont imparfaits. Ne dit-on pas que c'est un bon signe quand les jambes enflent à un malade pendant sa convalescence, parce que l'on conjecture que la nature a repris assez de force pour rejeter les humeurs superflues? Mais cela même serait un fâcheux pronostic dans un homme qui ne serait pas malade, parce que l'on jugerait que la nature n'aurait plus assez de force pour dissiper et résoudre les mauvaises humeurs. Philothée, ayez toujours une bonne opipinion des personnes en qui les vertus paraissent mêlées de quelques défauts, puisque plusieurs saints ne les ont pas eues sans ce mélange. Mais pour vous, tâchez de vous perfectionner en accordant la prudence avec la fidélité; et pour cela tenez-vous-en à l'avis du Sage, qui nous avertit de ne pas nous confier en notre prudence, mais de la soumettre à celle des conducteurs que Dien nous a donnés.

Il y a des choses que l'on prend pour des vertus, et qui ne le sont nullement; il est nécessaire que je vous en parle : ce sont les extases ou ravissements, les insensibilités, les impassibilités, les unions déifiques, les élévations et transformations, et autres semblables perfections dont traitent certains livres qui promettent d'élever l'âme jusqu'à la contemplation purement intellectuelle, à l'application essentielle de l'esprit à la vie suréminente. Ces perfections ne sont pas des vertus, mais leurs récompenses, ou plutôt des communi

cations anticipées de la félicité éternelle, dont Dieu donne quelquefois un avant-goût à l'homme pour lui en faire désirer la possession. Nous ne devons jamais prétendre à de telles faveurs, parce qu'elles ne sont nullement nécessaires au service de Dieu, ni à son amour, qui doit être notre unique prétention; d'autant plus que ce ne sont pas ordinairement des grâces que nous puissionst acquérir par notre application, l'âme recevan plutôt en tout cela les impressions de l'Esprit de Dieu, qu'elle n'agit par ses opérations. J'ajoute que n'ayant point ici d'autre dessein que de devenir des hommes solidement dévots, des femmes véritablement pieuses, c'est à cela uniquement qu'il faut s'attacker; et si Dieu veut nons élever jusqu'à ces perfections angéliques, nous serons de bons anges dans le monde. En attendant, appliquons-nous avee simplicité et humilité aux petites vertus dont Notre-Seigneur, par sa grâce, a attaché conquête à nos faibles efforts, comme sont la patience, la bonté, la mortification du cœur, l'humilité, l'obéissance, la pauvreté, la chasteté, la douceur envers le prochain, la patience à souffrir ses imperfections, la sainte ferveur. Laissons volontiers les vertus suréminentes à ces grandes âmes si élevées au-dessus de nous. Nous ne méritons pas un rang si distingué dans la maison de Dieu, trop heureux encore de nous voir au nombre de ses serviteurs les moins considérés, et semblables à de petits et bas officiers

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