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sime, saincte Thecle, Appia, estoient les chers enfants du grand sainct Paul, comme sainct Marc et saincte Petronille de sainct Pierre: saincte Petronille, dis-je, laquelle, comme preuuent doctement Baronius et Galonius, ne fut pas fille charnelle, mais seulement spirituelle de sainct Pierre. Et sainct lean n'escrit-il pas une de ses Epistres canoniques à la deuote Dame Electa?

C'est vne peine, ie le confesse, de conduire les ames en particulier, mais vne peine qui soulage, pareille à celle des moissonneurs et vendangeurs, qui ne sont jamais plus contens, que d'estre fort embesongnez et chargez. C'est un trauail qvi delasse et auiue le cœur par la suauité qui en reuient à ceux qui l'entreprennent, comme faict le cinamone ceux qui le portent parmy l'Arabie Heureuse. On dict que la tygresse ayant retrouué l'vn de ses petits que le chasseur luy laisse sur le chemin pour l'amuser, tandis qu'il emporte le reste de la littee, elle s'en charge, pour gros qu'il soit, et pour cela n'en est point plus pesante, ains plus legere à la course qu'elle faict pour le sauuer dans sa tasniere, l'amour naturel l'allegeant par ce fardeau. Combien plus vn cœur paternel prendra-t-il volontiers en charge vne ame qu'il aura rencontree au desir de la saincte perfection, la portant en son sein, comme une mère faict son petit enfant, sans se ressentir de ce faix bien aimé? Mais il faut sans doute que ce soit un cœur paternel, et c'est pourquoy les Apostres et hommes apostoliques appellent leurs disciples non seulement leurs enfans, mais encore plus tendrement leurs petits enfans.

Au demeurant, mon cher Lecteur, il est vray que

i'escris de la uie deuote sans être deuot, mais non pas certes sans desir de le deuenir; et c'est encore ceste affection qui me donne courage à t'en instruire. Car, comme disoit un grand homme de lettres, la bonne façon d'apprendre, c'est d'estudier; la meilleure, c'est d'escouter, et la tresbonne, c'est d'enseigner. Il aduient souuent, dit sainct Augustin, escrivant à sa deuote Florentine, que l'office de distribuer sert de mérite pour recevoir; et l'office d'enseigner, de fondement pour apprendre.

Alexandre fit peindre la belle Compaspé, qui luy estoit si chere, par la main de l'vnique Apelles. Apelles, forcé de considerer longuement Compaspé, a mesure qu'il en exprimoit les traits sur le tableau, en imprima l'amour en son cœur, et en deuint tellement passionné, qu'Alexandre l'ayant recogneu, et en aiant pitié, la lui donna en mariage, se prinant pour l'amour de luy de la plus chere amye qu'il eust au monde. En quoy, dict Pline, il montra la grandevr de son cœur, autant qu'il eust faict par une bien grande victoire. Or, il m'est aduis, mon Lecteur, mon amy, qu'estant Euesque, Dieu veut que ie peigne sur les cœurs des personnes, non seulement les vertus communes, mais encore sa tres-chere et bien- aymee deuotion: et moy, ie l'entreprends volontiers, tant pour obeyr et faire mon deuoir, que pour l'esperance que i'ay, qu'en a grauant dans l'esprit des autres, le mien à l'aduenture en deuiendra sainctement amoureux. Or si iamais sa diuine Majesté m'en void viuement esprins, elle me la donnera en mariage eternel. La belle et chaste Rebecca, abbreuuant les chameaux d'Isaac, fut destinee pour estre son espouse, rece

uant de sa part des pendans d'oreilles et des brasselets d'or; ainsi ie me promets de l'immense bonte de mon Dieu, que conduisant ses cheres brebis aux eaux salutaires de la deuotion, il rendra mon ame son Espouse, mettant en mes aureilles les parolles dorees de son sainct amour, et en mes bras la force de les bien exercer, en quoy gist l'essence de la vraye deuotion, que ie supplie sa Majesté me vouloir octroyer, et à tous les enfants de son Eglise, à laquelle je veux à iamais soumettre mes escripts, mes actions, mes parolles, mes volontez, et mes pensees.

Annecy, ce jour Saincte Magdelaine, 1609.

A

LA VIE DÉVOTE

PREMIÈRE PARTIE

AVIS ET EXERCICES PROPRES A CONDUIRE L'AME DEPUIS SON PREMIER DÉSIK DE LA DÉVOTION JUSQU'A LA VOLONTÉ SINCÈRE DE L'EMBRASSER

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CHAPITRE I

Nature de la vraie dévotion.

Vous aspirez à la dévotion, Philothée, parce que la religion vous a fait connaître que c'est une vertu extrêmement agréable à la divine Majesté; mais, puisque les petites fautes que l'on commet au commencement d'une affaire s'aggravent à mesure qu'on avance, et sont presque irréparables à la fin, il faut avant tout que vous sachiez ce que c'est que la dévotion: car il n'y en a qu'une bonne, et il en est plusieurs vaines et fausses; or sans ce discernement vous pourriez vous tromper, et vous attacher à une dévotion imprudente et superstitieuse.

Un peintre nommé Arélius peignait dans ses tableaux les personnes pour lesquelles il avait de l'estime; c'est ainsi que chacun se peint la dévotion selon sa passion ou sa fantaisie. Celui qui s'est attaché à la pratique du jeûne se croit dévot pourvu qu'il jeûne souvent, quoiqu'il nourrisse dans son cœur une rancune secrète ; et tandis qu'il n'ose pas tremper le bout de la langue dans le vin ou même dans l'eau, de peur de blesser la tempérance, il goûte avec plaisir tout ce que lui suggèrent la médisance et la calomnie, insatiables du sang du prochain. Un autre s'estimera dévot parce qu'il a coutume de réciter tous les jours une longue suite de prières, quoique après cela il s'échappe dans son intérieur ou ailleurs en toutes sortes de paroles fâcheuses, fières et injurieuses. Celui-là tient toujours sa bourse ouverte aux pauvres, mais il a le cœur toujours fermé à l'amour de son prochain, à qui il ne veut pas pardonner. Celui-ci pardonne de bon cœur à ses ennemis; mais payer ses créanciers, c'est ce qu'il ne fait jamais, s'il n'y est contraint. Toutes ces personnes passent pour fort dévotes, et ne le sont pourtant nullement. Les officiers de Saül étant allés chez David avec ordre de l'arrêter, Michol, son épouse, mit une statue dans son lit, la couvrit des habits de David, et leur fit accroire que c'était David lui-même qui était malade et qui dormait. Voilà l'erreur de beaucoup de personnes qui se couvrent de certaines pratiques extérieures de dé

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