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de grand prix pour l'emporter chez lui: voyez-le marcher pas à pas sans regarder derrière ni de côté, mais toujours devant lui, de peur de faire un faux pas ou de heurter quelque pierre; s'il s'arrête quelquefois, c'est pour voir si le mouvement de ce vase ne fait rien perdre de la précieuse liqueur. Considérez-vous de même après votre méditation; ne vous laissez pas distraire et dissiper tout à coup, mais regardez avec une tranquille attention le chemin que vous avez à suivre. S'il se présente une personne à qui vous deviez parler, c'est un devoir auquel il faut se soumettre; mais veillez sur votre cœur, de peur qu'il ne perde la précieuse liqueur dont le SaintEsprit l'a rempli dans l'oraison.

Il faut même vous accoutumer à passer de l'oraison à tous les devoirs de votre profession, bien qu'ils paraissent fort éloignés des sentiments que vous aurez puisés dans votre méditation. Ainsi un avocat doit savoir passer de la méditation au barreau, un marchand au négoce, une femme au soin de son ménage, et tous avec tant de douceur et de tranquillité que l'esprit n'éprouve aucun trouble; car, puisque l'un et l'autre sont également de la volonté de Dieu, il faut passer de l'un à l'autre avec une grande humilité et dévotion.

Il arrivera quelquefois qu'après avoir fait la préparation de votre méditation, votre âme sentira une douce émotion qui la transportera tout

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d'un coup en Dieu : alors, Philothée, laissez toute cette méthode que je vous ai donnée; car bien que l'exercice de l'entendement doive précéder celui de la volonté, cependant, si le SaintEsprit opère en vous, par ces impressions sur votre volonté, les saintes affections que les considérations de la méditation y doivent exciter, n'allez plus chercher dans votre esprit ce que vous avez déjà dans le cœur. C'est une règle générale, qu'il faut toujours ouvrir le cœur aux affections qui y naissent, soit avant les considérations, soit après. Vous devez encore suivre cette règle pour tous les actes de religion qui entrent dans la méditation, comme l'action de grâ ces, l'oblation de soi-même et la prière, pourvu que vous leur conserviez toujours leur place naturelle dans la conclusion de la méditation. A l'égard des résolutions, qui sont les déterminations des affections, l'ordre naturel est de ne les faire qu'après les affections et sur la fin de la méditation, parce qu'ayant à nous y représenter plusieurs objets particuliers et familiers, leur idée pourrait ouvrir l'esprit aux distractions, si elles étaient mêlées avec les affections.

Enfin, il est bon de faire cet exercice de la volonté en forme de colloque, adressant la parole tantôt à Notre-Seigneur, tantôt aux Anges, aux Saints, surtout à ceux qui ont eu part au mystère que l'on médite; à soi-même, à son propre cœur, aux pécheurs, même aux créatures insen

sibles, comme l'on voit que David le fait dans les Psaumes, et d'autres saints dans leurs méditations et dans leurs prières.

CHAPITRE IX

Des sécheresses dans la méditation.

Si vous ne trouvez pas de goût à la méditation et si vous n'en sentez pas votre âme consolée, ne vous troublez pas, je vous en conjure; mais faites quelques-unes des prières vocales qui sont les plus douces à votre cœur; plaignez-vous amoureusement à Jésus-Christ; appelez-le à votre secours; baisez respectueusement son image, si vous l'avez; confessez votre indignité, dites - lui comme Jacob: Quoi qu'il en soit, Seigneur, je ne vous quitterai point que vous ne m'ayez donné votre bénédiction; ou bien, comme la Chananéenne: Oui, Seigneur, je suis chienne; mais les chiens mangent les miettes qui tombent de la table de leur maitre.

Prenez quelquefois un livre, et lisez-le dévotement, jusqu'à ce que vous ayez donné plus d'attention et une meilleure situation à votre esprit : excitez votre cœur le plus vivement que vous pourrez par quelque acte extérieur de dévotion, vous prosternant, croisant les mains sur la poitrine, tenant entre vos bras un crucifix: je suppose que vous n'êtes en présence de personne. Si

après cela vous vous trouvez dans une égale sécheresse, ne vous troublez pas encore, mais coutinuez de vous tenir en la présence de Dieu avec beaucoup de respect. Vous le savez, combien de courtisans vont cent fois l'année à la cour sans aucune espérance de parler au prince, mais seulement pour être vus de lui, pour lui rendre leurs devoirs, et, comme nous disons, pour faire leur cour! Allons ainsi à la sainte oraison, tout simplement pour rendre nos devoirs et témoigner de notre fidélité. S'il plaît à Dieu de nous y parler par ses inspirations et de nous y donner en même temps de quoi lui parler, ce nous sera assurément un grand honneur et un délicieux plaisir. Mais s'il ne daigne pas nous faire cette grâce et s'il nous laisse là suns nous parler, comme s'il ne nous voyait pas ou si nous n'étions pas en sa présence, nous ne devons pas nous éloigner; au contraire, nous devons y demeurer avec un grand respect et dans une douce tranquillité d'esprit. Alors notre patience et notre persévérance nous feront tôt ou tard trouver grâce à ses yeux; et quand nous reviendrons une autre fois devant lui, il nous recevra avec un regard favorable, il s'entretiendra avec nous, et nous fera goûter par ses consolations toute la suavité de la sainte oraison. Mais quand cela nous manquerait encore, contentons-nous de l'honneur que nous avons d'être auprès de lui et en sa présence.

CHAPITRE X

De l'exercice du matin.

Outre l'oraison mentale et la prière vocale, il y a d'autres manières de prier; et le premier exercice de tous est celui du matin, qui doit servir de préparation générale à toute la conduite de la journée. Voici comment il faut le faire.

1o Adorez Dieu avec une profonde vénération : remerciez-le de vous avoir conservée durant la nuit; et si votre conscience vous reproche quelque chose depuis votre examen du soir, demandezlui-en pardon.

2o Considérez que le jour présent vous est donné pour mériter l'éternité bienheureuse, et faites un ferme propos de l'employer tout entier à cette intention.

3o Prévoyez les affaires dont vous devez vous occuper ce jour-là, les occasions que vous aurez pour servir Dieu, les tentations que la colère, la vanité, ou quelque autre passion, pourrait faire naître. Après cette inspection, préparez-vous par une sainte résolution à bien profiter de tous les moyens que vous aurez de servir Dieu et d'avancer votre perfection; au contraire, armez-vous de toute la fermeté de votre esprit pour éviter ou pour combattre et vaincre tout ce qui y sera un obtacles. Mais cette simple résolution ne suffit

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