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album comme nous dirions. Il est vrai que c'est en grec qu'elle écrivait cette pensée et en se souvenant d'un mot de Sophocle.

Je ne me suis pas même posé, durant toute cette Étude, cette question, pourtant si française Mme Dacier était-elle jolie? Il n'est pas à croire qu'elle le fùt; mais on a vu par un mot de la reine Christine que, dans sa jeunesse, elle dut être une assez belle personne, et sans doute assez agréable d'ensemble. Dans le seul portrait qu'on a d'elle, elle est représentée déjà vieille, avec une coiffure montante et, je l'avoue, un peu hérissée, le voile rejeté en arrière, le front haut, les sourcils élevés et bien dessinés, la figure forte et assez pleine, le nez un peu fort, un peu gros, la bouche fermée et pensive; elle a de la fierté dans le port et quelque épaisseur dans la taille. Sa physionomie se prête peu aux nuances; mais en tout il y respire un air de noblesse, d'ardeur sérieuse et de bonté.

APPENDICE.

Je joins comme appendice à ce volume quelques articles qui ne son! pas de ceux du Lundi et qui ont été insérés dans le Moniteur, à savoir: une Notice sur un savant modeste; un Rapport que j'ai eté chargé de faire sur les primes à donner aux ouvrages dramatiques; et aussi un autre morceau de critique, qui a prêté ( par ma faute sans doute) à un contre-sens que je tiens à rectifier.

NOTICE SUR M. G. DUPLESSIS (1).

Le 21 mai dernier (1853), l'Université et la littérature ont perdu un homme qui leur avait rendu de longs, modestes et utiles services, M. Gratet-Duplessis, ancien recteur de l'Académie de Douai.

Né à Janville (Eure-et-Loir), le 16 décembre 1792, M. Duplessis appartenait à cette génération qui fut la première à profiter de la renaissance des études et de cet heureux réveil qui se fil dans l'Université sous l'Empire. Quand de jeunes esprits partaient de celte impulsion première, donnée par M. de Fontanes, pour se porter bien au delà, M. Duplessis était de ceux qui se bornaient à marcher d'un pas ferme dans la voie toute pratique de science solide et d'application positive, où le précédaient les Gueneau de Mussy et les Rendu. Il était de ce petit nombre qui continuait la tradition et comme la race de l'ancienne Université dans la nouvelle.

Entré dans l'Université vers 1844, il professa dans divers colléges, et passa bientôt à des fonctions administratives élevées. Proviseur au collége d'Angers, inspecteur de l'Académie de Caen, puis deux fois recteur de l'Académie de Douai, et, dans l'intervalle, recteur de celle de Lyon, il fut mis à la retraite sur sa demande en 1842.

Au milieu de ces services universitaires, M. Duplessis n'avait cessé

(4) Moniteur du 31 mai 1883.

de cultiver les Lettres dans le sens le plus étendu, et selon un esprit et une méthode qui ne sont plus de ce temps-ci. Il savait à fond les deux langues classiques et savantes, et il y joignait la connaissance exacte de presque toutes les langues vivantes, l'allemand, l'anglais, l'espagnol, etc. II lisait constamment dans ces diverses littératures ce qu'il y avait d'ancien, de plus rare ou de plus oublié, et ne se tenait pas moins au courant de ce qui s'y publiait de nouveau. Il lisait d'un bout à l'autre, sans ennui, sans impatience, plume en main, faisait des extraits pour lui, et n'en parlait jamais qu'à l'occasion, si on le questionnait et pour rendre service. C'était peut-être le plus infatigable et le plus désintéressé lecteur de ce temps-ci, et aussi le plus obligeant pour tous. Amateur des livres dans le vrai sens du mot, il les connaissait à la fois par le fond et par les particularités qui les distinguent. A la différence de bien des amateurs, était désireux de connaître encore plus que de posséder. N'étant sollicité d'aucun désir de renommée et d'aucune ambition d'auteur, il n'a jamais écrit pour son compte que selon le loisir et l'occurrence. Lorsqu'en parcourant les manuscrits ou les vieux livres, il découvrait quelque pièce curieuse, inconnue ou très-rare, et qu'il jugeait de quelque intérêt pour ses confrères les amateurs, il la faisait imprimer ou réimprimer à quelques exemplaires, et quelquefois dans les mêmes caractères gothiques que l'ancienne édition; il faisait précéder la réimpression d'une petite notice où il ne disait que l'essentiel, où il ne criait jamais à la découverte, et qu'il ne signait que de ses simples initiales (G. D.). Un grand nombre de ces réimpressions, qui sont dans les bibliothèques des curieux, ont été procurées, comme on disait autrefois, par les soins de M. Duplessis, à Lyon, à Caen, à Douai, ou à Chartres, pendant les séjours qu'il y faisait chaque année au sein de sa famille. Je citerai dans ce nombre: les Faintises du Monde de Pierre Gringore; l'Advocat des Dames de Paris, etc.; le Doctrinal des nouveaux Mariés; le Doctrinal des nouvelles Mariées; le Mirouer des Femmes vertueuses, etc, etc. ces petits livrets renouvelés du gothique qui se trouvaient il y a quelques années chez le libraire Silvestre.

Mais l'ouvrage dans lequel M. Duplessis a le plus montré sa complète connaissance des livres est la Bibliographie parémiologique ou Études bibliographiques et littéraires sur les ouvrages et opuscules spécialement consacrés aux Proverbes dans toutes les langues (1847). On peut dire qu'il y a épuisé la matière. Il y prend le mot de proverbe dans tous les sens, dans celui que lui donnait Sancho Pança, comme dans celui que lui out donné les Carmontelle et les Théodore Leclercq. Proverbes français, italiens, allemands et anglais, y comparaissent tour à tour. De petites dissertations, des citations faites avec goût, des notules agréables y recouvrent la sécheresse du genre bibliographique et viennent égayer la nomenclature. M. Duplessis était de l'école de Ménage et de La Monnoye en érudition.

Comme les hommes d'antique science, de goûts studieux et innocents, il se passait quelquefois sa belle humeur plume en main. Les doctes du XVIe siècle, les Étienne Pasquier et autres n'ont-ils pas

eu ainsi leurs gaietés et leurs jeunesses? M. Duplessis, pour obliger un éditeur de sa connaissance, a mis la main à quantité de petits recueils très-bien faits, très-agréablement assortis et honnêtement récréatifs, publiés la plupart sous le pseudonyme d'Hilaire le Gai. Il préparait dans les derniers temps une édition des Pensées de La Rochefoucauld, qui doit paraître chez le libraire Jannet (1).

C'est de près et dans l'intimité de chaque jour que l'on pouvait le mieux apprécier le genre de mérite et d'utilité littéraire de M. Duplessis; il a lui-même cité ce mot d'un savant étranger: « La connaissance des livres abrége de moitié le chemin de la science, et c'est déjà être très-avancé en érudition que de connaître exactement les ouvrages qui la donnent. » M. Duplessis savait tous ces chemins de la littérature en chaque matière, et était toujours prêt à les indiquer. Il s'était amusé à traduire un petit Discours latin prononcé dans l'Assemblée générale de Sorbonne le 23 décembre 1780 par l'abbé Cotton des Houssayes, bibliothécaire de la maison, et où toutes les qualités et les devoirs du parfait Bibliothécaire sont exposés avec élégance et candeur (Techener, 1839) : L'auteur de ce petit chef-d'œuvre presque inconnu, disait M. Duplessis, n'est guère connu lui-même que des littérateurs de profession. C'est qu'il appartenait à cette race, totalement éteinte aujourd'hui, de savants modestes et laborieux qui cultivent la science pour elle-même et qui trouvent plus de charme à orner et à fortifier leur intelligence dans le silence du cabinet, que de satisfaction à mettre l'univers dans la confidence de leurs moindres travaux ou de leurs plus insignifiantes découvertes. Cette race n'était pas aussi totalement éteinte qu'il le croyait, puisqu'il traçait là, sans y songer, son propre portrait. Ceux qui, les après-midi, avaient le plaisir de le rencontrer d'habitude dans le petit cabinet où se réunissent chez M. Potier quelques amateurs de vieux livres, et où l'on cause d'un Elzévir ou d'un Vérard, d'un classique ou d'un conteur, ceux-là ont pu vérifier chaque jour l'étendue de ses connaissances, la certitude de ses informations, sa politesse discrète, affectueuse et communicative. Ces liaisons, commencées avec lui par le goût commun des livres, finissaient bientôt par une douce et essentielle amitié.

D

On lit dans le Moniteur du 27 février 1853 :

La Commission des primes à décerner aux ouvrages dramatiques, composée de MM. Lebrun, Scribe, Mérimée, Lefèvre-Deumier, Léon de Laborde, Philarète Chasles, Perrot, Sainte-Beuve, Lassabathie, et présidée par M. Romieu, a nommé M. Sainte-Beuve pour son rapporteur. << Voici le Rapport adressé à M. le ministre de l'intérieur :

(1) Elle a paru en effet, et a été appréciée par M. de Sacy dans un article du Journal des Débats du 28 janvier 1854.

« Ce 12 février 1853.

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«Monsieur le ministre,

La Commission chargée par vous de désigner les ouvrages dramatiques dont les auteurs lui paraîtraient dignes des primes instituées par l'Arrêté ministériel du 12 octobre 1851, a l'honneur de vous soumettre le résultat de l'examen auquel elle s'est livrée.

« Le premier article de cet Arrêté propose une prime de 5,000 fr. « à << l'auteur d'un ouvrage dramatique en cinq ou quatre actes, en vers ou « en prose, représenté avec succès, pendant le cours de l'année, sur le Théâtre-Français, et qui sera jugé avoir le mieux satisfait à toutes les «< conditions désirables d'un but moral et d'une exécution brillante. >>

Si la Commission n'avait eu à se préoccuper, monsieur le ministre, que des conditions de talent, d'exécution brillante et de succès, s'il lui avait été de mandé seulement de désigner lequel des ouvrages représentés dans le cours de l'année au Théâtre-Français lui semblait le plus digne, littérairement, d'un encouragement et d'une récompense, elle aurait pu être embarrassée de faire un choix, mais elle en aurait certainement fail un. Elle avait sous les yeux, parmi les ouvrages qui se présentaient à son examen, des études de l'antiquité, lentées avec ingénuité et avec franchise (1); des drames où la passion romanesque traverse l'histoire et ne craint pas de se rencontrer en présence des plus grands noms (2); des comédies surtout, où des scènes et des caractères fort gais ont charmé le public (3), et où des figures aimables, entremêlées à d'autres qui ne sont que plaisantes, lui ont procuré et lui procurent chaque jour un divertissement plein de distinction et d'élégance (4). Mais la Commission, en rendant toute justice et à ces talents et à ces efforts, a dû se demander si l'objet principal du programme, aux termes duquel elle était convoquée, si le but moral entrait le moins du monde dans l'inspiration de ces pièces, ou s'il ressortait de l'effet qu'elles produisent; et il lui a été impossible de l'y reconnaître, et par conséquent de le couronner.

<< Sans doute, monsieur le ministre, la pensée de l'Arrêté du 12 octobre 1851 n'a pas été de provoquer sur la première scène française la création d'un genre exclusivement moral, qui ne s'attacherait à présenter que des exemples vertueux et à en tirer directement des leçons : un tel genre a été tenté en d'autres temps et n'a produit bien vite que monotonie, emphase et déclamation suivie de beaucoup d'ennui. L'effet moral vraiment digne de ce nom sur une scène élevée, doit sortir du spectacle même de la nature humaine observée et saisie dans le jeu varié de ses passions, dans ses misères et dans ses grandeurs, et jusque dans l'énergique naïveté de ses ridicules. Il est moral, l'effet qui résulte

(4) L'Ulysse, de M. Ponsard.

(2) Diane, de M. Émile Augier.

(3) Le Cœur et la Dot, de M. Mallefille.

(4) Mademoiselle de la Seiglière, de M. Jules Sandeau

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