Mais le discours académique est un genre vivant qui transforme, qui embellit, qui a pour objet avant tout de réussir et de plaire, qui a pour premier devoir et pour condition de savoir tirer parti de chaque défunt et d'en dégager, ne fût-ce que pour un jour, un immortel. M. Jules Sandeau, sans effort, a eu cet art et a usé de cette magie. De la sensibilité autant qu'il en faut, une mollesse gracieuse, une ironie douce et marquée à peine, un débit modeste et aisé introduisant une narration élégante, ont dès l'abord disposé l'auditoire en faveur du portrait comme il l'était déjà en faveur du peintre. Un noble tableau du premier Empire, une brillante image de la société sous la Restauration, un généreux et chaleureux hommage à l'Empire actuel et à l'Empereur, à la croisade italienne, grosse d'avenir, ont rehaussé le sujet et mis en jeu des sympathies diverses qui se sont confondues à la fin dans un seul et même applaudissement. M. Jules Sandeau a eu bien des succès celui de l'autre jour les lui résumait tous, ce nous semble, et les lui réfléchissait d'une manière sensible et bien touchante, qui a dû lui aller au cœur. M. Vitet, parlant au nom de l'Académie, s'est associé tout d'abord à l'élan et au vou patriotique par lequel M. Jules Sandeau avait fini. M. Vitet, dans les deux dernières séances où il présidait, dans celle-ci et dans la précédente où il avait à recevoir M. de Laprade, s'est montré un orateur académique accompli. Ce qu'il dit est réellement un discours, ayant souffle, animation et mouvement. C'est bien à quelqu'un qu'il s'adresse, il est en présence, il répond. Il intéresse l'auditoire qui est témoin, il l'entraîne avec lui dans le large courant de sa louange ou dans les sinuosités habiles de sa critique on sourit, on est charmé. On se sent aux mains d'un esprit supérieur qui vous conduit. M. Sandeau avait parlé du roman avec modestie pour son propre compte, mais avec une sorte de fierté pour le genre: il avait eu le bon goût de paraître étonné et confus d'être le premier romancier proprement dit appelé à l'honneur de siéger à l'Académie, lorsqu'autrefois ni Le Sage ni l'abbé Prévost n'y avaient été admis, et que, de nos jours, M. de Balzac et d'autres encore avaient brillé par leur absence. M. Vitet s'est attaché à répondre à cette espèce d'étonnement du récipiendaire et à justifier l'Académie. Le roman est un genre vague, mal aisément défini il touche à tout, il s'applique à l'histoire elle-même, il s'élève jusqu'à l'épopée; il tombe aussi, il se rabaisse, et, à vouloir tout peindre, il s'égare. M. Vitet, sans contester la puissance, a montré du doigt dans le lointain les égarements, et il a loué M. Sandeau d'avoir su plus qu'un autre s'y soustraire, y échapper; il l'a presque félicité d'avoir su se préserver au milieu de la contagion, et d'avoir paru dès sa jeunesse à l'épreuve du feu, comme les trois enfants dans la fournaise. A travers les charmants et bien mérités éloges auxquels prêtait ce genre de réponse toute personnelle, j'ai regretté, je l'avoue, de rencontrer deux ou trois traits piquants qui visaient au delà, qui semblaient s'adresser à de grands talents placés hors de la sphère et de la portée académique (4). L'Académie ne pouvant espérer de les comprendre jamais, ces talents ou même ces génies d'écrivains, dans ses appels et ses récompenses, ne peut vouloir les atteindre seulement par sa critique, si fine que soit cette critique, si spirituelle que soit l'épigramme. Mais je suis, en ceci, plus susceptible que l'auditoire: car il a tout goûté et tout applaudi. (1) Madame Sand. Samedi, 22 décembre 1855. RÊVES ET RÉALITÉS PAR MADAME M. B. (BLANCHECOTTE), OUVRIÈRE ET POÈTE (1). La poésie n'est pas morte; elle ne sommeille même pas. Je crois remarquer que depuis quelque temps il y a un retour plus vif et des tentatives, confuses encore, mais qui témoignent d'un désir et d'une espérance de nouvelle veine. Il est vrai que voilà bien des années déjà qu'il ne s'est point produit d'œuvre poétique qui ait appelé à un haut degré l'attention du grand public et qui lui ait fait saluer une jeune gloire. On dirait que le fleuve, en continuant de couler, traverse des plaines assez ingrates et monotones sans rencontrer un site bien mémorable ou l'une de ces cités qui immortalisent. Mais qui sait? d'ici à demain peut-être, ce cours un peu vague peut se resserrer, se creuser avec prófondeur, entrer dans quelque vallée verdoyante et sonore, réfléchir des bords plus hardis, des scènes plus animées, donner enfin le mouvement et la vie à un paysage que chacun voudra connaître et visiter. En un mot, ce n'est pas la matière de la poésie qui manque, ce n'est pas le sentiment poétique; c'est plutôt la forme et le glorieux accident. En attendant, les poëtes sont à l'œuvre, et le labeur (1) Un vol. in-18; Paris, Ledoyen, 1855. ni l'inspiration ne cessent pas. C'est ainsi qu'en ouvrant le volume que j'annonce aujourd'hui, j'ai reconnu, dès les premiers vers, un poëte et une âme, une âme douloureusement harmonieuse. On sent que ce n'est point une fiction ni une gentillesse que ce titre d'ouvrière qui se joint aux initiales de l'auteur. Une condition pénible, accablante, tient bien réellement à la gêne une intelligence qui souffre, un talent qui veut prendre l'essor. Il y a même dans ce volume quelques cris trop déchirants pour être confiés à l'art et qui font mal à entendre; mais l'auteur qui, tout en les laissant échapper par moments, sait qu'il ne faut pas tout dire, et qu'il y a la pudeur de la muse et celle de la femme, a d'ordinaire exhalé ses émotions et ses larmes par un détour et à travers un léger voile qui les laisse arriver sincères encore, mais non pas trop amères ni dévorantes. Dans une suite de petits tableaux et poëmes intitulés Blanche, Jobbie, Maria, Henriette, Lucy, etc., son imagination s'est créé comme des sœurs qu'elle transporte dans des situations diverses, qu'elle place même à plaisir dans des cadres assez brillants; mais toujours et chez toutes la note fondamentale est le délaissement intime, la plaie secrète, la douleur. Sa Jobbie, par exemple, est une jolie et svelte Écossaise, qu'on dirait la sœur d'Ariel on la croit légère, elle ne l'est pas; on la croit une enfant, mais elle a vu passer le noble et beau seigneur, elle se l'est choisi tout bas, et lorsqu'il se marie à la fière Lucy, au sortir de cette noce à laquelle elle a assisté parée et comme riante, elle arrache les fleurs de sa tête, et cache sous ses mains sa pâleur de statue; mais nul ne saura jamais son secret : Oui, qu'on te croie heureuse, ô ma Jobbie! et chante! Sauf à pleurer plus tard comme pleure le cœur, Il ne faut pas laisser lire notre douleur Par les indifférents dont le regard épie Tout ce qui sert de proie à leur sarcasme impie : La rosée est si belle au matin sur les fleurs ! Et l'Espagnole Conchita aussi, elle garde son secret et son mystère, mais elle porte et agite autrement que Jobbie l'orage intérieur; elle semble avoir emprunté à l'antique Sapho sur son promontoire un éclair de sa flamme: CONCHITA.' « Et moi, je garde aussi mon mystère et mon voile. Grondez, mers! tonnez, vents! vous ne saurez plus rien : Je n'irai plus jeter à la vague, à l'étoile, Les secrets de mon cœur que vous sûtes trop bien. «La fascination des sombres harmonies Des forêts et des flots, de la foudre et des vents, « Cet éblouissement ne me verra plus, folle, « Rien, même de mes pleurs, à celui qui s'en joue, |