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Il aimait plus tard à montrer à son fils ce logis d'où il l'avait vu passer. Il advint que M. de Roquancour, trésorier du Dauphin Henri, eut un jour besoin d'un commis, et s'adressa pour cela au procureur chez qui était le jeune Olivier Lefèvre. Celui-ci fut proposé et choisi : par son zèle, par sa bonne comptabilité, il se fit bien venir du trésorier, et aussi du Dauphin à qui il avait souvent affaire, et qui l'emmenait avec lui dans ses voyages pour payer sa dépense. Henri devint roi ; son trésorier particulier, M. de Roquancour, passa trésorier de l'Épargne, et Olivier, à vingt-deux ans, fut son premier commis. Après un exercice de six années, il acheta un office d'argentier du roi, puis fut trésorier de l'extraordinaire des guerres, puis trésorier des parties casuelles il avait parfois des traverses; les gens de finance étaient sujets alors à suspicion et à des accusations fréquentes, trop souvent justifiées; il en rencontra sur sa route et en triompha par son bonheur et par sa probité. C'est vers ce temps qu'il acquit une terre d'Ormesson (près de Saint-Denis), qui n'est pas la même que celle du même nom en Brie, plus connue, appartenant également à la famille, et il commença de se faire appeler M. d'Ormesson, le nom de Lefèvre étant trop commun. Cependant il pensait toujours à s'avancer, et une alliance en Cour lui était indispensable. Il jeta ses vues sur la famille de M. de Morvilliers, évêque d'Orléans et conseiller d'État, et rechercha une de ses nièces qui lui fut accordée : cette jeune personne appartenait du côté paternel à la famille de saint François de Paule, pour qui la famille d'Ormesson aura une dévotion toute particulière. Ainsi l'utilité s'accordait avec la sainteté, le ciel et la terre y trouvaient leur compte. Ce premier d'Ormesson, homme de tant de sens et de mérite, eut dès lors, par le crédit de M. de Morvilliers, de grands emplois, toujours dans les finan

ces, une commission extraordinaire et de confiance, qui dura deux ans; en dernier lieu, il était trésorier général de Picardie, charge qu'il avait achetée du précédent trésorier, M. le général Molé (comme on disait alors par abréviation). M. de Morvilliers étant venu à mourir, M. d'Ormesson, peu agréé de Henri III, qui l'avait trouvé rétif à ses profusions (« Il est paresseux, à la vérité, disait ce roi, mais il est homme de bien; ») pensa à la retraite, et s'étant défait de ses charges, il s'était dit qu'il achèverait paisiblement ses jours, tantôt à Paris, tantôt dans ses maisons des champs, qu'il embellirait. Mais il avait compté sans l'ennui. M. d'Ormesson était un homme pratique et d'activité; il n'était pas lettré comme son fils le sera, comme le seront les Lamoignon; il vit que son loisir manquerait de pâture et d'occupation. Il désira donc de rentrer dans les charges; et de toutes celles qui s'offraient à lui, une charge de président à la Chambre des Comptes lui · parut le plus à sa convenance. Toutefois, il pouvait y avoir quelque difficulté, ayant été lui-même si longtemps comptable et sujet à la Chambre des Comptes : cette Compagnie le voudrait-elle bien pour un de ses présidents? Il fit tåter le terrain, reçut pleine satisfaction, et put traiter de la charge dans laquelle il entra avec grand honneur. Il se croyait au port. Voilà la Ligue qui survient, la guerre civile qui éclate il faut opter. M. d'Ormesson ne jugea pas à propos de quitter Paris; il fut même choisi par le duc de Mayenne pour être du fameux Conseil, de si mauvais renom, les Seize; mais il en fut comme M. de Villeroy, comme le président Jeannin, pour modérer, s'il était possible; il était de plus capitaine de son quartier. Ce furent des temps difficiles; on mourait de faim dans Paris; ce n'est pas une métaphore; « M. d'Ormesson fut à la veille de voir ses enfants mourir de faim en sa pré

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sence. » Sa femme mourut en effet de la peur et des souffrances qu'elle avait ressenties durant le siége, en 1590. Dans un récit naïf que le fils de ce premier d'Ormesson a tracé de la vie de son père, on lit à cet endroit « Mon père fut si affligé et étonné de sa mort, qu'il fut près de six mois, comme il nous a dit, qu'il ne trouvait aucun moyen de se consoler. Enfin, il avisa, pour se divertir, d'aller voir les dames veuves de son temps et de sa connaissance, et tâcha à passer son temps doucement; et, pour ce que le malheur des guerres lui ôtait la liberté de sortir la ville et s'aller promener à Ormesson, il loua un petit jardin, proche sa maison, où il s'allait promener souvent. >>

Malgré toutes ses concessions à la force des choses et malgré sa prudence, il était trop honnête homme pour ne pas être suspect; on le taxait de modérantisme, c'est-à-dire d'être un politique. Il dut, pour se disculper d'un reproche qu'il méritait si bien, contribuer de mille écus pour la rançon du prévôt des marchands, Marteau, arrêté à Blois, et s'engager encore pour d'autres sommes plus considérables, au risque de voir sa maison, si nette auparavant, s'embrouiller pour une si mauvaise cause; mais « de deux maux, nous dit son fils, il choisit le moindre; autrement on l'eût chassé de Paris, pillé ses meubles et confisqué ses biens. >>

Henri IV avait besoin de ligueurs aussi tièdes que d'Ormesson pour rentrer dans Paris : c'étaient ses amis et auxiliaires du dedans, qui n'attendaient que sa présence à la messe pour se déclarer. Aussi, lorsqu'il prit possession de sa bonne ville, reçut-il très-bien le président de la Chambre des Comptes qui alla, le jour même, lui faire sa révérence avec ses collègues. M. d'Ormesson obtint du roi confirmation de la survivance de son office de président en faveur de son fils aîné. Il passa le reste de sa vie fort doucement; on s'amusait

fort chez lui, et l'on y dansait. Il demeurait rue Beaubourg, qui était alors une des belles rues. Il venait chez lui de belles dames et des princes. Henri IV aimait le bonhomme, comme il disait; il venait volontiers à ses assemblées, et y amena un soir le duc de Savoie, avec tous les princes et princesses. M. d'Ormesson allait toujours recevoir le roi et l'accueillait de bonne grâce: << Sans M. d'Ormesson on ne se réjouirait point dans Paris, dit un jour Henri IV en entrant; c'est le père de lajeunesse. » Mais quand il avait reçu le roi et l'avait conduit dans la salle du bal, M. d'Ormesson se retirait et s'allait coucher de bonne heure, laissant son monde en train de plaisirs. Il mourut en mai 1600, d'une chute de mulet, en revenant à Paris de sa maison d'Ormesson. Dans le récit domestique où il raconte, sans prétendre la surfaire, cette vie si honorable d'un homme de médiocre condition, son fils André avait bien raison de dire au début :

« Ceux qui liront ce discours souhaiteront peut-être sa bonne fortune et tâcheront d'imiter ses vertus et perfections; car étant aîné d'une famille médiocre en extraction et en biens, ayant perdu son père à cinq ans, sa mère s'étant remariée deux ans après, avoir par bons moyens amassé des biens suffisamment et être parvenu à des charges très-honorables, n'est-ce pas un bonheur très-grand et trèsrare? n'est-ce pas avoir tiré sa naissance de soi-même et n'avoir eu que son bras droit pour son père? Et ce qu'il a eu encore de plus admirable et comme particulier en lui, c'est d'avoir approché les rois sans médiateur, d'avoir amassé des richesses sans avarice, d'être parvenu aux grandes charges sans ambition, d'avoir bâti une bonne maison avec peu de matière, d'avoir eu beaucoup de prospérité sans orgueil, d'avoir, aimant la douceur et la tranquillité, vécu trente-cinq ans de suite dans la Cour, fait sa retraite vingt ans avant de mourir, sans aucune disgrâce précédente, d'avoir vécu soixante et seize ans d'une santé très-parfaite, rarement troublée de maladies, d'avoir joui en repos des biens qu'il avait amassés, d'avoir reçu de l'honneur aux charges qu'il a exercées, d'avoir fait grande quantité d'amis et point d'ennemis, d'avoir habité les maisons qu'il avait bâties, s'être promené à l'ombre des bois qu'il avait plantés, d'avoir reçu de ses enfants le contentement qu'il en pouvait espérer. »

André d'Ormesson, qui écrit la Vie de son père d'un style si sain et dans cet esprit de bon sens, dans un sentiment si vrai d'onction domestique, était assez lettré; il avait étudié au Collége du cardinal Lemoine et au Collège de Navarre; il a pris soin de donner la liste des auteurs classiques qu'il avait expliqués dans sa jeunesse; il les revoyait de temps en temps pour s'en rafraîchir la mémoire, et aimait à en citer des passages jusqu'à la fin de sa vie. En matière de littérature, il en était resté à ses classes et se refaisait enfant en vieillissant. Il fut successivement conseiller au Grand Conseil, conseiller au Parlement de Paris, maître des Requêtes et conseiller d'État; ayant vécu quatrevingt-huit ans, il mourut en 1665, doyen du Conseil d'État. A défaut d'une grande étendue et élévation d'esprit, on doit le vénérer pour l'intégrité et sainteté de sa vie; un sentiment moral, profond, respire dans ses Mémoires inédits, trop prolixes et trop informes pour être publiés en entier; M. Chéruel en a tiré ce qui peut servir à l'histoire. Quand on voit la suite des titres de ces magistrats et le cours des charges par où ils ont passé, on n'a qu'une idée assez vague, si l'on ne se rend bien compte de ce que c'était que ce Grand Conseil, ce Conseil d'État, ce corps et ces fonctions des maîtres des Requêtes. Aussi M. Chéruel a-t-il cru nécessaire de bien définir ces termes, et il a pris occasion de là pour tracer, dans son excellente Introduction, une histoire abrégée de ce qu'on appelait en général Conseil d'État, et des divers démembrements ou divisions auxquels il donna lieu dans la suite des temps. Le troisième d'Ormesson, le plus célèbre, et dont le Journal fournit sur ce sujet tant de lumières, était maître des Requêtes, et ne fut que cela : car c'est à ce titre qu'il alla quelques années comme intendant en Picardie et dans le Soissonnais. « Les maîtres des Re

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