Images de page
PDF
ePub

OCTO, 15.

[ocr errors]

» nous faire prier Dieu, en nous infpirant la dévotion à la Sainte Vierge & aux Saints; » ce qui commença à m'y exciter dès l'âge » de fix ou fept ans. J'avois encore un grand » avantage, celui de ne voir jamais mes pa»rents estimer ou favorifer autre chofe que » la vertu : ils en avoient l'un & l'autre beau» coup. Mon pere étoit fort charitable en» vers les Pauvres, & plein de compaffion » pour les malades; il traitoit fes domefti»ques avec une bonté finguliere; jamais il » ne voulut d'Efclaves dans fa maifon. . . . Il » étoit d'une grande fincérité dans fes paroles; jamais perfonne ne l'entendit jurer ni » médire; & pour l'honnêteté il y étoit exact au dernier point,

» Ma mere étoit auffi très-vertueufe: quoi» qu'elle fût extrêmement belle, elle faifoit > fi peu de cas de fa beauté, qu'encore qu'elle » n'eût que trente-trois ans lorfqu'elle mourut, une perfonne fort âgée n'auroit pu vi» vre d'une maniere plus édifiante. Son hu» meur étoit extrêmement douce. Elle avoit » beaucoup d'efprit, mais fi peu de fanté, » qu'elle eut de fréquentes maladies. Sa vie » fut traverfée de grandes peines, & elle la » finit chrétiennement ». Sainte Thérefe n'avoit alors que douze ans,

Son coeur naturellement tendre, se prêta bientôt aux impreffions que les premiers objets y firent naître, La lecture des Vies des Saints l'enflamma fur-tout d'un zele bien audeffus de fon âge ; & peu s'en fallut que ce zele ne dégénérât en une espece d'enthoufiafme, comme elle le raconte elle-même avec fa candeur ordinaire,

» Quoique j'aimaffe fort tous mes freres,

» & que j'en fuffe tendrement aimée, il y en OCTO. 15. » avoit un cependant que j'aimois plus ten

"

drement que les autres. Il étoit à-peu-près » de mon âge, & nous lifions enfemble les » Vies des Saints. Il me parut, en penfant » au martyre que quelques-uns d'entre eux » ont fouffert pour l'amour de Dieu, qu'ils » avoient acheté à grand marché, le bonheur » de jouir éternellement de fa présence ; & » il me prit un défir ardent de mourir com» me eux : non que ce défir fût excité en moi » par l'impreffion de l'amour divin ; je n'avois » alors d'autre motif, que celui de hâter la » jouiffance d'une auffi grande félicité, que » celle dont je lifois qu'on jouiffoit dans le » Ciel. Mon frere entra dans les mêmes fen» timents, & nous délibérions ensemble fur » les moyens de fatisfaire cet ardent défir. » Nous n'en imaginâmes point de plus propre » à produire cet effet, que de paffer chez les » Maures, en demandant l'aumône, afin d'y » mourir par leurs mains. Et quoique nous » ne fuffions encore que des enfants il me » femble que Dieu nous donnoit affez de >courage pour exécuter cette réfolution, au » cas qu'il nous fût poffible d'en trouver l'oc» cafion. Notre plus grand embarras étoit de » quitter nos parents. Mais l'éternité de gloire » ou de tourments dont ces Livres nous fai» foient la peinture, frappoit notre efprit d'un fi » étrange étonnement, que nous répétions à plufieurs reprises: Pour toujours, pour tou,, jours; en forte que toute jeune que j'étois, Dieu me faifoit la grace, lorfque je pro,, nonçois ces paroles, d'imprimer dans mon

[ocr errors]

,, cœur le défir d'entrer & de marcher dans le chemin de la vérité.

OCTO. 15.99

Cette idée fermenta tellement dans la tête de ces deux enfants, qu'ils s'échapperent un jour de la maison , pour paffer en effet chez les Maures. Ils prioient Dieu, chemin faifant, de les pénétrer de plus en plus, de fon faint amour, & d'agréer le facrifice de leur vie. Heureusement pour eux, ils furent rencontrés au fortir de la Ville, par un de leurs oncles, qui les ramena à leur mere, déja fort alarmée de leur évafion. On les gronda beaucoup l'un & l'autre ; & le frere ne manqua pas de jeter toute la faute fur fa foeur.

,,

[ocr errors]

:

,, Lorfque nous vîmes, mon frere & moi, ,, qu'il nous étoit impoffible de réuffir dans notre deffein de fouffrir le martyre, nous réfolûmes de vivre en Hermites; & nous travaillâmes à faire de petits Hermitages dans le jardin mais les pierres que nous ,, mettions pour cela les unes fur les autres tombant continuellement, faute de liaison ,, nous ne pûmes en venir à bout. Je ne faurois ,, penser encore, fans en être bien touchée, ,, que Dieu me faifoit dèflors, des graces dont j'ai fi peu profité

[ocr errors]
[ocr errors]

Dès fon enfance, Thérefe avoit déja tant de goût pour la priere, qu'on la voyoit prefque toujours chercher la folitude, pour vaquer plus librement à ce faint exercice. Là. elle s'écrioit fouvent : Eternité, éternité! Souvent auffi, jetant de tendres regards fur le Sauveur converfant avec la Samaritaine, dont elle avoit un tableau dans fa chambre elle lui difoit du fond du coeur :,, Seigneur, don,, nez-moi de cette eau,, ; elle entendoit celle de la grace & du faint amour,

Née avec une ame généreufe, elle fe faifoit un plaifir de foulager les Pauvres, fui- OCTO. 15. vant fes facultés.,, Je donnois l'aumône, ditelle, autant que je pouvois; mais mon ,, pouvoir étoit petit,,. Elle fe portoit avec le même zele, à tout ce qui annonce un cœur compatiffant & fenfible aux malheurs d'autrui.

[ocr errors]
[ocr errors]

Lorfque fa mere mourut, elle fe prosterná toute fondante en larmes, devant une Image de la Sainte Vierge, qu'elle fupplia de vouloir bien être fa mere. Cette action faite avec une grande fimplicité, lui parut dans la fuite, une des plus avantageufes de fa vie; car elle ne doutoit pas que l'interceffion d'une auffi puiffante protectrice, n'eût été le canal des graces fans nombre dont le Ciel l'avoit comblée, fur-tout dans le temps où elle courut risque de perdre tout à la fois, fon innocence & l'amour de fes devoirs.

Ce temps fut celui de fa jeuneffe, époque fi critique pour les moeurs, par les lectures dangereufes & par les mauvaises compagnies. ,, Lorfque je fus, dit-elle, un peu plus avancée en âge, je commençai à connoître les dons de la nature dont Dieu m'avoit favo,, tifée, & que l'on difoit être grands. Mais ,, au lieu d'en rendre graces à Dieu, je m'en fervis pour l'offenfer La lecture des Ro

[ocr errors]

"

[ocr errors]

mans (a) fut le principe de fes premieres

(a) Le nom de Roman vient | françois que nous parlons aude la Langue Romanciere. On jourd'hui, eft provenu de appelloit ainfi la Langue que parloit le Peuple en France, lorfque celle des Romains ceffa d'y être familiere. Le

cette efpece de jargon, for-
mé principalement des dé-
bris du latin. Vers le dixie-
me fiecle, parurent, pour la

ОСТО. 15.

fautes; & Sainte Thérefe remarque à ce fujet, combien font blâmables les peres & les

premiere fois, en Langue Romanciere, les Hiftoires de Chevalerie, qui se sont tant multipliées depuis. Mais pour les Ouvrages férieux on continua d'employer la Langue latine. (Voyez l'Histoire Lit. de la Fr. T. 6 & 7. Préf. p. 66; T. 9. p. 19, 20 ; & le Préfident Hénault Abrégé Chron. de l'Hift. de Fr. T. 1). Ces Auteurs prouvent que les Romans commencerent à paroître dans le dixieme fiecle, c'est-à-dire, 200 ans plutôt que ne l'ont penfé Fleury, Calmet, & l'Hiftorien moderne de la Ville de Paris.

Si de pareils Ouvrages font dangereux pour les mœurs ils ne nuifent pas moins à la faine littérature. Rien ne dégoûte davantage les jeunes gens, de l'étude des grands modeles, rien n'échauffe plus promptement leur tête, rien n'exalte auffi ridiculement leur imagination. Auffi combien de perfonnes, à force de lire des Romans, ont fini par être auffi Romanefques, que les Héros mêmes de leurs lectures!

Si les Anciens employoient des fables & des paraboles, avec quelle fageffe & quelle fobriété ne s'en fervoient-ils pas? Ils cachoient fous ces divers emblêmes, les divers préceptes de la morale, afin de les rendre plus aimables

[ocr errors][merged small]
[ocr errors]

Mais quand même les Romans n'auroient pas le défaut de fubftituer fans ceffe le mensonge à la vérité & la lecture la plus frivole à des inftructions folides, ce qui, à la longue ne peut manquer d'affoiblir le goût naturel que Dieu nous a donné pour le vrai & pour le beau, ils auroient au-moins l'inconvénient de remplir l'efprit de toutes fortes de vanités & de folies. Auffi l'expérience n'a-t-elle que trop prouvé qu'il n'est rien de plus creux & de plus éventé qu'un cerveau mis en combuftion par le récit d'une foule d'aventures galantes.

le

Les plus heureuses inclinations ne tiennent pas contre le poifon de ces lectures fruit d'une bonne éducation, l'innocence des premieres années l'amour du devoir. tout eft ébranlé par ces malheureux Ouvrages. Tel étoit modefte, réservé & plein d'une pudeur aimable, qui, après avoir lu des Romans n'a plus confervé les marques

« PrécédentContinuer »