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questions, M. Bignon propose une réduction de 58,000 fr. sur le budget des affaires étrangères. L'impression de son discours est. ordonnée; mais la réduction est rejetée.

(19 mars.) Le lendemain, M. de Montbron, relevant les assertions. de M. Bignon sur le parti pris dans les affaires d'Italie, dit que « la coopération de la France avec les Autrichiens eût fait pousser les hauts cris sur les bancs de l'opposition, et qu'une proclamation fût partie de cette tribune pour engager nos soldats à ne pas marcher sous les bannières autrichiennes, pour combattre les défenseurs des droits populaires. » M. de Bonald, abordant de plus près les argumens de M. Bignon, fait observer d'abord, en parlant d'équilibre politique, qu'il serait temps de laisser cette vieillerie diplomatique aux politiques de café et de collége; qu'il n'y en a jamais eu en Europe; qu'on ne peut tirer aucune force d'un système d'oscillation perpétuelle qu'un seul homme suffit pour déranger, et que pour être indépendant il faut être isolé.

Nous sortons à peine de cet état, dit-il, tout incertains encore de nos pertes, avec d'inconsolables regrets, de folles espérances, des ambitions ajournées, des fidélités chancelautes, et, ce qui est plus palpable, avec une dette immense, et d'immenses pertes à réparer; et c'est dans cet état qu'on reproche à l'ancien ministère de n'avoir pris aucune part aux affaires de Naples et de Piémont! Qu'y serions-nous allés faire? mettre de jeunes fidélités en contact avec la révolte contagieuse des Carbonari; accabler leur faiblesse de notre force, on associer notre bravoure à leur lâcheté; prendre, les armes à la main, le parti du Roi contre ses sujets égarés, ou le parti des sujets révoltés contre leur Roi? Non, le rôle des Autrichiens, qui craignoient pour leurs Etats, était une médiation armée; le rôle de la France, qui ne craignoit pas pour elle, était une médiation pacifique, et c'est ce qu'elle a fait, ce qu'elle a dù faire; et dans l'histoire des rois parens du sien, et dans l'histoire de leurs peuples, cette guerre s'est finie sans nous, qui en aurions fort mal à propos partagé le ridicule, et n'y aurions gagné que des troubles an-dedans, ou peutêtre une guerre au-dehors.

Mais, dit-on, l'Autriche est maîtresse de l'Italie. Son séjour temporaire y fait la sûreté de l'Europe dont elle contient les vrais ennemis au midi, comme la Russie les contient au nord, comme la France, quand elle vondra, les contiendra au centre. D'ailleurs, quand des puissances aussi intéressées que nous n'y redoutent pas sa domination passagère, nous n'avons pas à la craindre; et quand il ne resterait que deux puissances sur le continent, la France en serait une. D'autres, sans doute, parleront des Grecs et des affaires d'Orient; je ferai la même réponse. Notre alliance avec les Turcs, utile si l'on veut à notre commerce, devait tôt ou tard devenir à charge à notre politique, parce qu'on se compromet à vouloir sauver un peuple qui ne peut plus se défendre, et qu'aujourd'hui on ne peut défendre un peuple que lorsqu'on peut le policer,

Il se prépare en Orient un cours d'événemens amenés de loin et qu'aucune puissance ne peut changer; et si l'on ne croit pas à quelque chose, de mieux, il faut croire à la fatalité. Quand l'empire turc deviendrait antre chose, vos frontières n'en seraient pas entamées. Tout est là. Conservez votre territoire, c'est assez pour votre politique, et laissez le soin du commerce à votre esprit et à votre industrie.

« Et d'ailleurs le principe de la force extérieure d'un état est dans sa force intérieure, et sa force intérieure est dans le respect pour les lois et l'obéissance au pouvoir. Vous parlez d'envoyer des armées au loin, et il suffit d'une tête perdue et de quelques centaines de misérables pour lever en pleine paix l'étendard de la révolte! On veut tenir la balance dans l'Europe politique, il faut auparavant l'empêcher en France de pencher du côté de la partie jeune et passionnée de la société; ou vent gouverner le monde, il faut auparavant gouverner nos universités; on voudroit que toute l'Europe se tût devant nous, et nous ne pouvons pas imposer silence à un orateur factieux ! Et si le gouvernement veut se servir de la force, on crie dans cette chambre à la violence et à la tyrannie! »>

En parlant de nos rapports avec l'Amérique, l'orateur ne voit que des dangers à se mêler aux révolutions; et quant à Saint-Domingue :

« Si Saint-Domingue fournit encore du sucre, il n'en fournira pas long-temps dit l'orateur; j'aime mieux qu'il nous vienne par contrebande que par traité : nous le paierons peut-être quelque chose de plus, mais il ne faut pas, comme Ésau, vendre nos droits d'aînesse pour un peu de sucre....... Enfin, dit M. de Bonald en terminant son discours, on a donné beaucoup de conseils aux ministres, je leur en donnerai un à mon tour, mais en deux mots : soyez forts.»

D'un autre côté, M. le général Foy succédant à la tribune à M. de Bonald, et reprenant les argumens de M. Bignon sur le système de notre diplomatie, remarque que la situation est grave, et que les temps passés n'ont rien qui lui ressemble.

« La France nouvelle est une terre d'égalité, dit-il égalité dans l'exercice des droits, égalité dans les prétentions légales, égalité devant les tribunaux, égalité dans les cultes religieux, égalité dans l'impôt, égalité dans le mode d'acquérir, de posséder et de transmettre la propriété.

« La France est régie par une Charte qui garantit les droits généraux des citoyens et certains droits spéciaux créés par la révolution. Quels sont les ennemis de la Charte? Ceux qui réclament des intérêts qu'elle ne protége pas et des priviléges qu'elle repousse. Ceux-là, Messieurs, où prendront-ils le point d'appui?...... Ce ne sera pas en France, puisqu'ils s'élèvent contre la constitution et les voeux de la France. Ce sera donc au-dehors, là où regnent et sont armés les intérêts olygarchiques analogues aux leurs, les intérêts de l'aristocratie européenne conduisant et opprimant les sociétés.

« Or, les cabinets des empereurs et des rois sont exclusivement envahis par l'aristocratie; ils forment entre eux, d'un bout de l'Europe à l'autre, une ligue offensive des droits des nations. Cette vérité est prouvée; elle est incontestable.

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Croyez-vous que votre ministère, et celui-ci, comme le précédent, refuse d'adhérer à cette ligne? Il le voudrait qu'il ne le pourrait pas, parce que tous ses agens diplomatiques appartiennent à une autre France, et qu'ils ont reçu de leurs antécédans un cachet d'incapacité, pour parler le langage de la France libre et puissante. Il ne le pourrait pas, parce qu'il est lui-même le produit du triomphe momentané d'un parti que réprouve la nation et la Charte; parce qu'il est déjà débordé par ce parti; parce qu'il en serait abandonné le jour où il chercherait ailleurs un appui plus raisonnable et plus solide.

Ainsi, je ne demande point si notre ministère sera italien ou autrichien, gree on ture, anglais on russe; ce que je prévois, c'est qu'il ne sera pas français. Et pour ce motif, j'estime que l'impulsion nationale doit être portée avec plus d'énergie que jamais sur un département où je ne vois que honte pour le présent et embarras dans l'avenir.»

En revenant sur un différend avec les États-Unis, sur l'éloignement témoigné pour entrer en négociation avec les nouveaux états de l'Amérique méridionale, le général Foy reproche au gouvernement d'avoir été plus hostile envers eux que ne l'était leur métropole offenséc. Avec Saint-Domingue, il ne croira nos intérêts fixés qu'au moment « où une main noire et une main blanche signeront ensemble un traité d'oubli pour le passé et d'unon pour l'avenir.» En jetant les yeux sur les dernières transactions en Turquie, il s'indigne de n'y pas voir le nom de la France prononcé. « En Italie, dit-il,

Voyez ce que sont devenus les sentimens de prédilections auxquels la France était accoutumée de la part des Italiens, depuis notre communauté de gloire et de malheurs. Nos ministres ont encouru la haine, et, ce qui est pis encore, le mépris; oui, Messieurs, le mépris. (Violens murmures à droite. A l'ordre!) Un gouvernement est méprisable quand il ne sait faire ni le bien ni le mal pour son compte; et en effet, comment avons-nous apparu dans ce grand débat politique? Comme des ennemis à la suite, comme des auxilaires honteux et craintifs des puissans de la sainte alliance.

« On nous a faits si petits en Italie, et les Autrichiens y sont devenus si grands, que nous n'empêcherons pas le conclave de mettre un archiduc d'Autriche à la tête de l'église catholique.......

«< Mais des intérêts plus actifs et plus rapprochés doivent fixer notre plus sérieuse attention. L'Espagne dit que notre gouvernement recueille ses émigees, que les lazarets établis aux Pyrénées-Occidentales ne servent qu'à faciliter la communication des factieux espagnols avec leurs complices en France; que les bandes de Navarre, qui s'intitalent armée de la foi, reçoivent leur solde des mains de banquiers français.

« Les journaux de Madrid, celui-là même qui par sa modération doit être regardé comme le journal officiel du gouvernement, citent des faits, disent les sommes payées, les noms de ceux qui les ont reçues, le nom du banquier qui les a versées. ( Mouvement à droite.) Le rapport du ministre Martinez de la Rosa confirme les assertions des journalistes plutôt qu'il ne les dément.

"

Cependant, de ce côté des Pyrénées, les organes du parti dominateur, dans les feuilles ministérielles, et même à cette tribune, ne parlent que de calamités prêtes à fondre sur l'Espagne; ils vous montrent à l'avance le roi Ferdinand égorgé par des révoltés. ( Une voix à droite : C'est à craindre.)

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Ce sont là, Messieurs, des prévisions bien inconsidérées, je dirai même coupables. Ne savent-ils donc pas, ceux qui s'y livrent avec complaissuce, que rien ne familiarise avec un crime à commettre comme d'en annoncer sans cesse la probabilité? Eh quoi les factions spéculeraient-elles encore sur des événemens atroces pour les faire tourner à leur profit? Aurait-on calculé, par analogie avec ce qui s'est passé en 1820, que l'assassinat d'un roi, que ce qui doit faire frémir tout homme d'honneur, serait un prétexte excellent pour nous enlever le peu de liberté qui nous reste, pour donner aux électeurs du privilége un triple, un quadruple vote, pour achever l'exclusion des électeurs de la Charte,, et pour briser cette tribune consolatrice des opprimés et vengeresse des droits du peuple ?.......

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A la fin de ce discours, dont l'impression fut rejetée, le général Foy conclut à diminuer le budget de 406,500 fr., pour le réduire à ce qu'il était en 1819.

M. le ministre des affaires étrangères prenant alors la parole pour répondre aux objections et aux reproches de l'opposition, s'attache d'abord au discours de M. Bignon, dont S. Exc. combat la théorie sur l'intervention des Chambres dans les relations extérieures. «D'après les exemples mêmes que l'orateur a cités, et d'après sa doctrine générale, prise dans le sens le plus étendu, l'investigation des Chambres ne s'applique qu'à ce qui appartient au passé, et nullement à ce qui se fait actuellement. »

Passant de l'application du principe à la justification des faits, S. Exc. expose que les négociations entamées avec les États-Unis sont conduites par un homme connu pour l'un des plus loyaux et l'un des plus fidèles serviteurs de la monarchie constitutionnelle (M. Hyde de Neuville), sur des principes et avec des procédés approuvés des Américains, amis de l'équité, avec toute l'activité, tous les soins et tous les égards, tous les besoins de rapprochement que doivent inspirer les souvenirs des services et de la reconnaissance entre deux pays faits pour être éternellement amis.

Quant à nos rapports avec Saint-Domingue, dit S. Exc., cette question n'appartient pas seulement à la diplomatie, elle comprend encore les anciens droits d'une métropole et les intérêts de beaucoup de propriétaires, si malheureusement dépouillés. Enfin, les intérêts de notre commerce et les rap

ports les plus importans de la haute administration. Vous ne pouvez pas douter que le gouvernement du Roi ne s'en occupe; vous le blàmeriez vousmèmes, s'il venait vous déclarer de quelle manière il s'en occupe.

- Touchant les rapports avec les diverses parties de l'Amérique méridio nale, avec les colonies espagnoles, rien n'est plus délicat, d'après les égards et la fidélité due à des alliés, que nous ne saurions blesser sans qu'il s'élevât des mêmes bancs les plus vives réclamatious. Je pourrais opposer des dénégations formelles à plusieurs assertions des honorables orateurs : les États réunis de l'Amérique, qui pourraient avoir tant d'intérêt, et moins de considerations delicates à ménager, n'ont pas encore reconnu les nouveaux États. Aucune puissance européenne n'y a envoyé d'agens conuus; aucun fait semblable n'a été même prononcé à la Chambre des Communes. Quant aux débouchés nouveaux, les commerçans plus ou moins encouragés, peuvent s'occuper de leurs propres intérêts et de ceux de leur patrie; une des nations la plus active en ce genre a pu s'efforcer de fertiliser de tels canaux; mais je n'ai aucune raison de croire que nos commercans aient éprouvé des obstacles aux nouveaux débouchés qu'il auraient voulu s'ouvrir de ce côté. Nous sommes disposés à encourager leurs entreprises par tous les moyens légitimes... »

Répondant ensuite aux critiques faites sur les dépenses de son ministère, S. Exc. observe que la comparaison des traitemens de 1786 avec ceux de l'époque actuelle, offre une diminution de plus de 50,000 fr.; que la différence de 2,500,000 fr., observée à l'époque de la révolution, vient de ce qu'alors les consulats appartenaient à la marine, d'où ils ont été transférés en 1793; que dans cette dépense les éventualités se multiplient, que la situation nécessairement mobile de l'Europe, et les changemens que des événemens inattendus peuvent amener, ne permettent point de fixer avec une entière certitude des limites aux dépenses; que la dignité du Roi et l'honneur du nom français exigent que les personnes destinées à représenter l'un et l'autre, soient dans une position qui ne soit pas inférieure à celle des diplomates étrangers; que cependant nos agens consulaires surtout sont infiniment moins rétribués que ceux de la plupart des autres puissances avec lesquelles la France a toujours été accoutumée à marcher de pair; et qu'enfin la somme demandée, loin d'être susceptible de réduction, serait plutôt insuffisante.

« Je n'ai pas été peu étonné, ajoute S. Exc., d'entendre dire au préopinant que les Français étaient les feudataires d'autres puissances, parce qu'ils envoyaient des plénipotentiaires aux congrès où se réunissaient les ambassadeurs des grandes puissances. Il me semble que ce reproche est facile à retourner contre celui-là même qui l'a fait. Effectivement, si, lorsque les puissances se réunis

Annuaire hist. pour 1822.

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