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sorte; et l'on vient doucement se plaindre à la personne que l'on aime.

MONSIEUR HARPIN.

Moi, me plaindre doucement!

LA COMTESSE.

Oui. L'on ne vient point crier de dessus un théâtre ce qui doit se dire en particulier.

MONSIEUR HARPIN.

J'y viens, moi, morbleu! tout exprès; c'est le lieu qu'il me faut; et je souhaiterais que ce fût un théâtre public, pour vous dire avec plus d'éclat toutes vos vérités.

LA COMTESSE.

Fant-il faire un si grand vacarme pour une comédie que monsieur le vicomte me donne? Vous voyez que monsieur Tibaudier, qui m'aime, en use plus respectueusement que

vous.

MONSIEUR HARPIN.

Monsieur Tibaudier en use comme il lui plaît. Je ne sais pas de quelle façon monsieur Tibaudier a été avec vous; mais monsieur Tibaudier n'est pas un exemple pour moi, et je ne suis point d'humeur à payer les violons pour faire danser les autres.

LA COMTESSE.

Mais vraiment, monsieur le receveur, vous ne songez pas à ce que vous dites. On ne traite point de la sorte les femmes de qualité; et ceux qui vous entendent croiraient qu'il y a quelque chose d'étrange entre vous et moi.

MONSIEUR HARPIN.

Hé! ventrebleu! madame, quittons la faribole.

LA COMTESSE.

Que voulez-vous donc dire avec votre : Quittons la faribole?

MONSIEUR HARPIN.

Je veux dire que je ne trouve point étrange que vous vous rendiez au mérite de monsieur le vicomte; vous n'êtes pas la première femme qui joue dans le monde de ces sortes de caractères, et qui ait auprès d'elle un monsieur le receveur, dont on lui voit trahir et la passion et la bourse pour le premier venu qui lui donnera dans la vue. Mais ne trouvez point étrange aussi que je ne sois point la dupe d'une infidélité aussi ordinaire aux coquettes du temps, et que je vienne vous assurer devant bonne compagnie que je romps commerce avec vous, et que monsieur le receveur ne sera plus pour vous monsieur le donneur.

LA COMTESSE.

Cela est merveilleux comme les amants emportés deviennent à la mode! on ne voit autre chose de tous côtés. Là, là, monsieur le receveur, quittez votre colère, et venez prendre place pour voir la comédie.

MONSIEUR HARPIN.

Moi, morbleu, prendre place! (montrant monsieur Tibaudier.) Cherchez vos benêts à vos pieds. Je vous laisse, madame la comtesse, à monsieur le vicomte; et ce sera à lui que j'enverrai tantôt vos lettres. Voilà ma scène faite, voilà mon rôle joué. Serviteur à la compagnie.

MONSIEUR TIBAUDIER.

Monsieur le receveur, nous nous verrons autre part qu'ici; et je vous ferai voir que je suis au poil et à la plume.

MONSIEUR HARPIN en sortant.

Tu as raison, monsieur Tibaudier.

LA COMTESSE.

Pour moi, je suis confuse de cette insolence.

LE VICOMTE.

Les jaloux, madame, sont comme ceux qui perdent leut procès; ils ont permission de tout dire. Prêtons silence à la comédie.

SCÈNE XXII.

LA COMTESSE, LE VICOMTE, JULIE,
MONSIEUR TIBAUDIER, JEANNOT.

JEANNOT au vicomte.

Voilà un billet, monsieur, qu'on nous a dit de vous donner vite.

LE VICOMTE lisant.

«En cas que vous ayez quelque mesure à prendre, je vous << envoie promptement un avis. La querelle de vos parents « et de ceux de Julie vient d'être accommodée; et les condi«<tions de cet accord, c'est le mariage de vous et d'elle. « Bonsoir.» (à Julie.) Ma foi, inadame, voilà notre comédie achevée aussi.

(Le vicomte, la comtesse, Julie et monsieur Tibaudier se lèvent.)

JULIE.

Ah! Cléante, quel bonheur! Notre amour eût-il osé espérer un si heureux succès ?

LA COMTESSE.

Comment donc? Qu'est-ce que cela veut dire?

LE VICOMTE.

Cela veut dire, madame, que j'épouse Julie; et, si vous m'en croyez, pour rendre la comédie complète de tout point, vous épouserez monsieur Tibaudier, et donnerez mademoiselle Andrée à son laquais, dont il fera son valet de chambre.

LA COMTESSE.

Quoi! jouer de la sorte une personne de ma qualité!

LE VICOMTE.

C'est sans vous offenser, madame; et les comédies veulent de ces sortes de choses.

LA COMTESSE.

Oui, monsieur Tibaudier, je vous épouse, pour faire enrager tout le monde.

MONSIEUR TIBAUDIER.

Ce m'est bien de l'honneur, madame.

LE VICOMTE à la comtesse.

Souffrez, madame, qu'en enrageant nous puissions voir ici le reste du spectacle.

BOUTS-RIMÉS (1)

COMMANDÉS

Sur le bel air.

Que vous m'embarrassez avec votre..

.grenouille,

Qui traîne à ses talons le doux mot d'................. ..hypocras!
Je hais des bouts-rimés le puéril.....
Et tiens qu'il vaudrait mieux filer une.......quenouille.

..fatras,

La gloire du bel air n'a rien qui me..........chatouille;
Vous m'assommez l'esprit avec un gros......plâtras ;
Et je tiens heureux ceux qui sont morts à...Coutras,
Voyant tout le papier qu'en sonnets on......barbouille.
M'accable derechef la haine du......cagot,
Plus méchant mille fois que n'est un vieux..magot,
Plutôt qu'un bout-rimé me fasse entrer en..danse!

Je vous le chante clair comme un.............chardonneret ;
Au bout de l'univers je fuis dans une........manse.

Adieu, grand prince, adieu; tenez-vous.....guilleret.

(1) Ce sonnet fut publié pour la première fois à la suite de la Comtesse d'Escarbagnas, édition de 1682. On croit qu'il fut composé à la demande du prince de Condé. (B.)

FIN DE LA COMTESSE D'ESCARBAGNAS.

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MOLIÈRE.
HUBERT.

PHILAMINTE, femme de Chrysale.

ARMANDE, filles de Chrysale et de Phila- Mlle DE BRIE.

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La scène est à Paris, dans la maison de Chrysale.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

ARMANDE, HENRIETTE.

ARMANDE.

Quoi! le beau nom de fille est un titre, ma sœur
Dont vous voulez quitter la charmante douceur?
Et de vous marier vous osez faire fête ?

Ce vulgaire dessein vous peut monter en tête!

Oui, ma sœur.

HENRIETTE.

ARMANDE.

Ah! ce oui se peut-il supporter? Et sans un mal de cœur saurait-on l'écouter?

HENRIETTE.

Qu'a donc le mariage en soi qui vous oblige,
Ma sœur?...

(1) Une servante de Molière qui portait ce nom.

ARMANDE.

Ah! mon Dieu fi

HENRIETTE.

Comment ?

ARMANDE.

Ah! fi! vous dis-je.

Ne concevez-vous point ce que, dès qu'on l'entend,

Un tel mot à l'esprit offre de dégoûtant,

De quelle étrange image on est par lui blessée,
Sur quelle sale vue il traîne la pensée ?

N'en frissonnez-vous point? et pouvez-vous, ma sœur.
Aux suites de ce mot résoudre votre cœur ?

HENRIETTE.

Les suites de ce mot, quand je les envisage,
Me font voir un mari, des enfants, un ménage;
Et je ne vois rien là, si j'en puis raisonner,
Qui blesse la pensée, et fasse frissonner.

ARMANDE.

De tels attachements, ô ciel! sont pour vous plaire?

HENRIETTE.

Et qu'est-ce qu'à mon âge on a de mieux à faire

Que d'attacher à soi, par le titre d'époux,
Un homme qui vous aime, et soit aimé de vous;
Et de cette union, de tendresse suivie,

Se faire les douceurs d'une innocente vie?
Ce nœud bien assorti n'a-t-il pas des appas?

ARMANDE.

Mon Dieu ! que votre esprit est d'un étage bas!
Que vous jouez au monde un petit personnage,
De vous claquemurer aux choses du ménage,
Et de n'entrevoir point de plaisirs plus touchants
Qu'une idole d'époux et des marmots d'enfants!
Laissez aux gens grossiers, aux personnes vulgaires,
Les bas amusements de ces sortes d'affaires.
A de plus hauts objets élevez vos désirs,
Songez à prendre un goût des plus nobles plaisirs,
Et, traitant de mépris les sens et la matière,
A l'esprit, comme nous, donnez-vous tout entière.
Vous avez notre mère en exemple à vos yeux,
Que du nom de savante on honore en tous lieux :
'Tâchez, ainsi que moi, de vous montrer sa fille ;
Aspirez aux clartés qui sont dans la famille,

Et vous rendez sensible aux charmantes douceurs
Que l'amour de l'étude épanche dans les cœurs.

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