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comme nous l'apprend la traduction arménienne de la chronique d'Eusèbe. Des colons babyloniens furent emmenés par Salmanasar pour repeupler le royaume d'Israël. Bientôt Babylone vit à son tour dans son sein des captifs de la Judée: c'est ainsi que la guerre mêlait les peuples. Un roi dont la poésie hébraïque a immortalisé le nom, Nabuchodonosor, continua l'œuvre de Ninus et de Salmanasar. Nous avons constaté la tendance des conquérants à se rapprocher de l'Occident; la domination babylonienne prit plus que les précédentes cette direction. Elle avait à l'est et au nord des rivaux redoutables dans les Mèdes, qui déjà menaçaient P'Asie. A l'ouest, au contraire, la division et l'établissement des petits États syriens, phéniciens et juifs semblaient appeler un maitre; ils devinrent la proie de Nabuchodonosor. Un des grands prophètes de la Judée a tracé le tableau de ces invasions; nous empruntons quelques traits à Jérémie, pour caractériser les conquêtes asiatiques :

« Voici ce que dit l'Éternel: des eaux s'élèvent de l'Aquilon, elles seront comme un torrent qui inondera les campagnes, qui couvrira la terre et tout ce qu'elle contient, les villes et tous ceux qui les habitent. Les hommes crieront, et tous ceux qui sont sur la terre pousseront des hurlements, à cause du bruit éclatant de la corne des pieds de ses puissants chevaux, à cause du fracas de ses chariots et à cause du bruit de ses roues. Les pères n'ont pas seulement regardé leurs enfants, tant leur courage était tombé... Le destructeur s'abattra sur toutes les villes : pas une n'échappera; la vallée périra et la campagne sera détruite. A la voix du Dieu vengeur, les cités s'écroulent: Il vient le jour, dit l'Éternel, que je ferai entendre dans Rabbath, la ville des Hammonites, le frémissement et le bruit des armées; elle deviendra par sa ruine un monceau de pierres, ses filles seront consumées par le feu. J'ai juré par moi-même, dit le Seigneur, que Botsra sera désolée, qu'elle sera déserte, qu'elle deviendra l'objet de l'insulte et de la malédiction des hommes, et que toutes ses villes seront réduites en des solitudes éternelles. Et Hatsor deviendra un repaire de dragons; aucun fils

(1) Euseb., Chron., Pars I, p. 42, sq. (éd. de Venise).

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d'homme n'y habitera. Qui pourrait résister aux terribles Barbares? Ils sont les instruments de la Providence: Ce jour est le jour du Seigneur, du Dieu des armées, c'est le jour de la vengeance, où il se vengera de ses ennemis. L'épée dévorera leur chair et s'en soûlera et elle s'enivrera de leur sang 1.

Jusqu'où s'étendirent les conquêtes de Nabuchodonosor? On sait que Tyr, la plus puissante des cités phéniciennes, opposa une résistance héroïque aux Barbares; mais on a élevé des doutes sur la prise de la ville 2. L'incertitude augmente à mesure que le conquérant s'approche du monde encore inconnu de l'Occident. Jérémie fait tomber la colère de l'Éternel sur les Égyptiens; Josèphe, l'historien juif, dit positivement que le vainqueur mit à mort le roi d'Égypte ; mais à ces témoignages on oppose le silence d'Hérodote. Que dire des conquêtes que Strabon et Mégasthène attribuent à Nabuchodonosor en Europe, depuis l'Ibérie jusqu'à la Thrace? Reposent-elles sur une confusion de noms, comme le croit Volney? ou sont-elles une tradition populaire à laquelle les expéditions dans des contrées lointaines ont donné naissance?

La seule conquête de Nabuchodonosor sur laquelle nous ayons des détails précis, est celle de Jérusalem. Si nous en croyons Joséphe, il agit en traître plutôt qu'en guerrier reçu comme ami et protecteur, le cruel conquérant fit tuer le roi de Juda, avec la fleur de la jeunesse, et ordonna de jeter son corps hors de Jérusalem, sans lui donner de sépulture ". Enfin, le jour de la destruction vint pour cette ville, qui devait être si souvent détruite et se relever toujours de ses ruines. Le roi fut pris et conduit devant Nabuchodonosor : « On égorgea les fils de Sédécias en sa présence; après quoi, on lui creva les yeux, puis on le lia de doubles chaînes d'airain, on le mena à Babylone, et on l'enferma dans une prison jusqu'au jour de sa mort». Le supplice des enfants du roi ne satisfit pas la

(1) Jérémie, XLVII, 2, 3; XLVIII, 8; XLIX, 2, 13, 33, 22; XLVI, 20. (2) Leo, Universalgeschichte, T. I, p. 105. Heeren, Babylon., I, 2. (3) Jérémie, XLV, 25. Joseph., Antiq., X, 9, 7.

(4) Volney, Chronologie de Babylone, ch. 13.

(5) Joseph., Antiq., X, 8.

(6) II Chroniq., XXXVI, 19.— II Rois, XXV, 9, 10, 6, 7.— Jérémie, LII, 11,

fureur du conquérant; les sacrificateurs, les gardiens du temple, les principaux officiers « furent menés au roi de Babylone, et le roi de Babylone les fit tous mourir. Si, après la victoire, le vainqueur se montra sans pitié, que devait-on attendre de sa rage. dans l'enivrement du combat? Les poëtes hébreux représentent les Chaldéens égorgeant les Juifs jusque dans le sanctuaire de l'Éternel, sans épargner ni les jeunes gens, ni les jeunes filles, ni les vieillards décrépits. Ceux qui échappèrent au massacre furent transportés à Babylone, pour être esclaves du roi. On laissa seulement les plus pauvres du pays pour labourer les vignes et pour cultiver les champs 1.

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Le dernier roi de Babylone méritait peut-être plus que Sardanapale d'être flétri par l'histoire. Toute la race s'était amollie dans les plaisirs. Le jour même où Cyrus s'empara de la ville, ses habitants n'étaient occupés que de festins et de danses; les gardes du palais elles-mêmes étaient plongées dans l'ivresse 2. La prophétie d'Isaïe s'accomplit: Le Seigneur des armées a commandé toutes ses troupes; il les a fait venir des terres les plus reculées et de l'extrémité du monde... Je vais susciter contre eux les Mèdes. Ils briseront les arcs des jeunes gens, et ils n'auront point de pitié du fruit des mères. Quiconque sera trouvé, sera transpercé, et leurs petits enfants seront écrasés devant leurs yeux, leurs maisons seront pillées et leurs femmes violées... Cette grande Babylone, cette reine entre les royaumes du monde, qui avait porté dans un si grand éclat l'orgueil des Chaldéens, sera détruite, comme le Seigneur renversa Sodome et Gomorrhe. Elle ne sera plus jamais habitée les Arabes n'y dresseront pas même leurs tentes, et les pasteurs n'y viendront pas pour s'y reposer. Mais les bêtes sauvages des déserts y auront leurs repaires; elles se répondront les unes aux autres dans ses palais désolés et dans ses maisons de plaisance › 3.

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(1) Jérémie, LII, 24-27; II Rois, XXV, 18-21. - II Chroniq., XXXVI, 17, 20. II Rois, XXV, 12. Cf. Jérémie, LII, 14-16, 28-30. (2) Herod,, I, 191. Xenoph., Cyrop., VII, 5, 15, 27.

(3) Isaie, XIII, 5, 15-22.

LIVRE SECOND

LES MÈDES ET LES PERSES

CHAPITRE I

CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES.

Quels sont les peuples que l'Éternel fait venir des terres les plus reculées et de l'extrémité du monde, pour accomplir la ruine de Babylone? Ne sont-ils qu'une arme dans les mains d'un Dieu de vengeance? Les Mèdes et les Perses, branches d'une même nation, appartiennent à la race qui a peuplé l'Europe, et dont le génie actif et progressif contraste essentiellement avec l'esprit rêveur et immobile de l'Inde brâhmanique. Les Mèdes figurent comme conquérants de l'Asie, ainsi que les Perses; ils avaient déjà atteint un certain degré de civilisation, alors que ceux-ci vivaient encore dans leurs montagnes ; mais la parenté des deux peuples se montre dans la promptitude avec laquelle les derniers venus adoptèrent la religion, le gouvernement et les mœurs de leurs frères aînés. Ainsi l'empire des Mèdes et celui des Perses se confondent: la domination de l'Asie, passant des premiers aux seconds, ne fut qu'un changement

de dynastie, qui donna la prééminence à une tribu sur une autre !. Les témoignages des auteurs anciens sur le caractère et les mœurs des Perses attestent une analogie remarquable entre l'esprit des rudes montagnards et le génie du monde occidental. On les a comparés aux Germains: il y a réellement des traits de ressemblance. Les Perses sont le premier peuple de l'Orient chez lequel nous apercevions un germe de l'esprit de liberté qui distingue l'Europe de l'Asie. Ils avaient une existence plus indépendante dans leurs montagnes que les pasteurs des steppes. Le roi n'exerçait pas le despotisme patriarchal ; il était, pour ainsi dire, le premier parmi des égaux. Cette primitive égalité ne se perdit pas entièrement après la conquête. Le Grand Roi visitait parfois le pays où avaient vécu ses ancêtres, et lui qui recevait des présents de tous ses sujets, il en donnait à ses anciens compatriotes 2. Il y avait une espèce de chevalerie chez les Perses ; une partie des cavaliers formaient la garde royale; leurs repas communs offrent le spectacle de l'égalité au milieu du despotisme; ils rappellent les célèbres syssities, image de la fraternité qui régnait entre les citoyens de Sparte.

A côté des tribus nobles, Hérodote distingue des laboureurs et des nomades, et comme les mages ressaisirent l'autorité qu'ils avaient perdue dans le principe de la conquête, on pourrait croire que les castes régnaient chez les Perses comme dans les États théocratiques. Mais cette classification de la société n'a rien de commun avec l'institution indienne. La doctrine de Zoroastre ne reconnaît pas même les mages comme une classe privilégiée. Quant à la distribution de la nation en nobles, laboureurs et pasteurs, elle était le résultat de circonstances physiques aujourd'hui encore, la population de la Perse est distribuée, comme elle l'était du temps d'Hérodote.

Tel est le peuple qui le premier eut l'ambition de fonder une

(1) Anquetil du Perron, dans les Mémoires de l'Académie des Inscriptions, T. XL, p. 477.-Schlosser, Histoire universelle, T. I, p. 309 (trad. de Golbéry). (2) Aelian., V. H., I, 31. Xenoph., Cyrop., VIII, 5, 21.

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(3) Athen., IV, 26, 27. Hegel, Philosophie der Geschichte, p. 230. (4) Herod., I, 125.

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