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Ce fut probablement un personnage fort méchant de Ménandre qui prononça ces paroles cruelles: « Un esclave est ce qu'il y a de pis au monde, même lorsqu'il est bon ".

M. Guizot, dans son ouvrage sur Ménandre, nous a fait un tableau de l'esclave de la comédie nouvelle, tableau qui mérite bien d'être rapporté.

« Si l'esclave reçoit des coups, dit le savant écrivain, il s'en console par un éclat de rire, dans sa stoïque insouciance; « Car la bonne humeur, ô Tibius, est le soutien et la nourriture de l'esclave Il est nécessaire à la conduite et à la gaîté de la comédie. Il a sept masques différents, et ce nombre est encore loin d'égaler la variété de caracteres et d'emplois que le poëte lui donne.

Tantôt, ajoute-t-il, c'est un esclave économe et qui achète toujours à bon compte, tantôt c'est un fripon qui prêche ainsi à ses camarades: « A quoi te sert, dis-moi, ta sotte probité? laisser ton maître jouir seul de tous ses biens, et n'en prendre pas ta part, ce n'est pas lui rendre service, c'est te voler toi-même. "

Scapin, le fourbe de génie, dans les reproches

qu'il fait à Silvestre, le fourbe médiocre, a-t-il des paroles plus méprisantes que celles-ci? « L'esclave qui trompe un maître sot et distrait ne fait pas, selon moi, un acte bien méritoire: il abrutit une brute, voilà tout ». Et quand Scapin parle philosophie et conseille à Argante de prendre en patience et en douceur cette vie mêlée de traverses, prend-il un ton plus dogmatique que l'esclave de Ménandre pour dire O mon maître! tout obéit dans le monde. à l'une de ces trois reines: la loi, la nécessité ou l'habitude".

Il y a des esclaves qui viennent de la campagne à la ville, apportant les blés et les fruits du laboureur, leur maître plus attentifs aux bavards de l'Agora qu'aux acheteurs, ils sont menacés de ne plus quitter les champs. « Je mettrai ce maudit flâneur à creuser la terre, dit le paysan, et alors il me racontera à son aise sous quelles conditions la paix a été conclue; car il court toujours de ci et de là à la poursuite des nouvelles ». Il y a des esclaves paresseux qui se font dire « Eh! misérable, pourquoi rester à la porte, et avoir déposé ton fardeau ? Nous avons pris là un bien mauvais serviteur, qui ne sait rien faire, et qui n'est bon Figaro etc.

PIERRE TOLDO

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qu'à manger du pain n. Il y a des esclaves heureux qui s'écrient: « Combien il vaut mieux être serviteur d'un bon maître que pauvre et opprimé avec le titre d'homme libre!" Il y a des maîtres qui « n'aiment pas qu'un esclave ait plus d'esprit qu'eux-mêmes "; des maîtres, les plus durs de tous, qui jadis étaient esclaves eux-mêmes; « craignes-les, cars les boeufs dételés oublient vite le poids du joug"; des maîtres qui ne demandent jamais aux dieux de protéger leur maison, mais seulement de permettre qu'il y ait toujours mésintelligence entre leurs valets, c'est le salut de la famille "; des maîtres même qui ne dédaignent pas de rire avec Sosie As-tu jamais bu de l' ellébore, Sosie?

Qui Eh bien! bois- en plus encore, car tu es

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Mais à ce tableau si éloquemment tracé par M. Guizot, il faut ajouter les injures, les coups. d'étrivières, la torture et la mort auxquels les misérables esclaves étaient assujettis, les filles séduites et débauchées, les misères des laboureurs, les larmes et les cris de douleur de cette humanité souffrante.

Dans le plan de la comédie de Ménandre qui

a pour titre le Collier (лixóov) et qui est la seule pièce qui nous donne une idée assez complète du théâtre de notre auteur, il y a un esclave Parménon, fort attaché à la personne de son maître, dont il plaint vivement les malheurs.

Aulu-Gelle dit que les sentiments et les émotions de cet esclave étaient rendus, dans les vers du poëte Grec, avec une vivacité et un éclat admirables. Il était probablement le type du serviteur fidèle, tel qu'on le rencontre parfois dans le théâtre de Rome et qui faisait contraste, par la bonté de son âme et la propreté de son maintien, à cet esclave dont parle Ménédèmé dans la même pièce: « un serviteur que j'avais mis de côté, parce qu'il ne se peignait pas, et que, sale comme il l'était, il se grattait si bien en me donnant à boire que, de dégoût, je ne buvais plus ".

La ruse et la friponnerie devaient former les traits caractéristiques de plusieurs valets de la comédie grecque, si Properce, en parlant de Thaïs, nous fait voir la ruse de cette femme qui l'emporte sur les esclaves. Cette femme, dit-il, qui coûte cher, courtisane vraiment comique, qui éblouit et trompe les valets les plus fripons ». (Properce IV. 5, 43). Le valet, dans la comédie nou

velle, est en compagnie d'autres personnages, que la comédie latine nous fait mieux connaître et que les masques italiens ont reproduits, savoir le fanfaron, la courtisane, le vieillard libertin, le père crédule, véritable Pantalon du théâtre antique, et ce parasite, qui fort souvent y joue le rôle de valet confident.

Le Thrasonide du même auteur a pour principal personnage un capitan bravache, dont Géta est le serviteur dévoué, une espèce d' Arlequin de la première forme, qui a peur de son ombre et de la nuit. Un petit fragment de dialogue révèle la misère de l'esclave et son esprit comique; on devine qu'il devait être fort plaisant et qu'il égayait, probablement, le public aux dépens de son maître fanfaron.

N'as-tu jamais aimé? demande le capitan à son valet.

"Non certes, répond Géta, ayant toujours eu l'estomac creux (*) ».

Le personnage de l'esclave grec, dans toutes ses variétés de serviteur fidèle, rusé et fripon est passé au théâtre de Rome, mais le type a reçu des modifications profondes.

(*) Meineke Fr. Com. Grec. IV. p. 170.

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