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Son manteau lui sert pour faire l'exercice du drapeau. Revenant ensuite vers Pantalon, il lui donne un coup dans l'estomac, le renverse et tombe par terre avec lui. Ils se relèvent, Arlequin se mouche alors avec le mouchoir de Pantalon, qui le voit et

acteurs y employaient, non seulement la finesse de leur esprit, mais aussi la souplesse de leur corps. Riccoboni, dans ses études sur le théâtre italien, nous en donne un exemple:

<< Dans la pièce Arlequin devaliseur de maisons, Arlequin et Scapin sont valets de Flaminia, qui est une pauvre fille éloignée de ses parents et qui est réduite à la dernière misère. Arlequin se plaint à son camarade de sa fâcheuse situation et de la diète qu'il fait depuis longtemps. Scapin le console et lui dit qu'il va pourvoir à tout; il lui ordonne de faire du bruit devant la maison. Flaminia, attirée par les cris d'Arlequin, lui en demande la cause. Scapin lui explique le sujet de leur querelle, Arlequin crie toujours et dit qu'il veut l'abandonner, Flaminia le prie de ne point la quitter et se recommande à Scapin, qui lui fait une proposition pour la tirer honnêtement de la misère qui l'accable; pendant que Scapin explique son projet à Flaminia, Arlequin par différents lazzi interrompt la scène; tantôt il s'imagine d'avoir dans son chapeau des cerises qu'il fait semblant de manger et d'en jeter les noïaux au visage de Scapin; tantôt de vouloir attraper une mouche qui vole, de lui couper comiquement les ailes et de la manger, et choses pareilles; voilà le jeu de théâtre qu'on appelle lazzi; les lazzi interrompent toujours les discours de Scapin, mais en même temps ils lui donnent occasion de les reprendre avec plus de vigueur; ces lazzi, quoique inutiles à la scène, parce que si Arlequin ne les faisait pas,

donne des coups de poing à l'impudent valet; celui-ci les rend avec usure ". Ces tours et ces lazzi furent supprimés par le bon goût de Molière, qui sut faire de notre valet une création artistique et hautement humaine. C'est en vain que l'on chercherait dans Arlequin ces réflexions doublées de bon sens, produit d'une philosophie populaire et profonde, qui sortent de la bouche de Sganarelle. L'esprit d'Arlequin est grossier et ses saillies sont on ne pourrait plus vulgaires. Lorsqu'il sort de la mer, entouré de vessies gonflées, il en crève une, en se laissant choir sur le.... dos. « Bon, dit-il, voici le canon qui tire en signe de réjouissance". Dans le tombeau du Commandeur, en voyant que tout y est sombre: « il faut, s'écrie-t-il, que la blanchisseuse de la maison soit morte; car tout

l'action marcherait toujours sans qu'il y manquât rien, quoique absolument inutiles dis-je, ne s'éloignent point de l'intention de la scène, car s'ils la coupent plusieurs fois, ils la renouent par la même badinerie, qui est tirée du fond de l'intention de la scène ».

Et ce n'est pas seulement par les lazzi que les acteurs amusaient le public; il y eut, dans la comédie de l'art, tout ce qui pouvait frapper l'imagination par le merveilleux, le surnaturel et le féerique et tout ce qui pouvait exciter les sens; de sorte que l'on vit même des femmes nues parcourir le théâtre.

est bien noir ici, " et au banquet de don Juan il s'amuse en versant dans la salade un pot de vinaigre, quatre salières, des flots de moutarde, toute l'huile d'une lampe et la lampe elle-même, et retourne le tout avec sa batte et ses pieds. Don Juan aussi se permet des tours, où il y a de l'Arlequin tout pur, lorsque, par exemple, d'un coup de pied « adroitement placé, comme dit l'impromptu, « il fait sa réponse ordinaire à la harangue du valet ". Dans le cri de Sganarelle, à la fin de la pièce, lorsqu'il voit don Juan entraîné dans l'abîmemes gages, mes gages! " il y a bien la répétition de celui d'Arlequin, mais le valet de Molière a assez de bon sens pour ne pas se permettre les réflexions, ni spirituelles, ni à propos de son devancier.

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Sganarelle sert de transition, comme nous allons bientôt le voir, entre les types presque invariables de la comédie de l'art et les créations p'us libres auxquelles le grand poète français s'élèvera rapidement.

Le masque d' Arlequin, tel qu'il nous paraît dans cette pièce, s'est déjà transformé sensiblement et il deviendra, dans le théâtre de Gherardi, fourbe et impudent, s'approchant, peu à peu de la famille.

PIERRE TOLDO

Figaro etc.

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de Brighella. Voici de quelle manière Guillemont nous le peint dans la Revue contemporaine (livraison du 15 mai 1866):

« Arrogant dans la bonne fortune, traître et rusé dans la mauvaise; criant et pleurant à l'heure de la menace et du péril, en un mot Scapin doublé de Panurge, c'est le type du fourbe impudent, qui se sauve par son exagération même, et dont le cynisme plein de verve nous amuse précisément parce qu'il passe la mesure du possible pour tomber dans le domaine de la fantaisie ». Les tours qu'il joue deviennent criminels et on le voit, souvent, poursuivi par les sbires, chargés de s'emparer d'un maraud si redoutable.

A la mort de Molière, en 1673, Joseph Giratone ressuscita Pedrolin sous le masque de Pierrot, nom que Molière avait adopté en nommant ainsi le bon et simple paysan du Don Juan. Pierrot remplaça l'Arlequin naïf et niais de l'ancienne comédie de l'art et en cela il diffère notamment de Pedrolin. Le type de Pierrot est demeuré plus français qu'italien.

La comédie italienne, après l'apparition de Molière, vécut encore longtemps en France, se transformant lentement ou mieux tâchant de s'acclimater. Elle devint, même avant Gherardi, de plus en plus française, soit pour la forme, soit pour les

arguments, ne gardant plus que les formes extérieures de l'arte.

En réalité, dit Moland, le théâtre italien de l'hôtel de Bourgogne est une scène française, une scène de genre, comme nous disons aujourd'hui. La troupe ne joue presque plus rien de son répertoire national. Ce sont des écrivains français qui travaillent pour elle; Fatouville, Regnard, Dufresny, Palaprat, Lenoble, Boisfranc, Mongin, Delosme, etc. L'improvisation n'y a plus qu'une part très limitée et restreinte à des scènes qui sont le plus souvent inutiles à la pièce et s'y intercalent comme des intermèdes ".

Ainsi la comédie de l'art était déjà mourante, lorsque les foudres de la loi la frappèrent et que le mardi 4 mai 1697, M. d'Argenson, lieutenant-général de Police, en vertu d'une lettre de cachet du Roi, défendit aux acteurs de continuer leurs spectacles, sa Majesté ne jugeant plus à propos de les garder à son service.

Cependant Philippe d'Orléans appela en 1716 la troupe dirigée par Riccoboni et Scapin, Scaramouche et Arlequin vinrent encore à la mode. Mais ce fut le dernier souffle d'un mourant. En 1762 la Comédie italienne fut réunie au théâtre de l'Opéra Comique et en 1780 le théâtre de la Comédie ita

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