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maison de Don Bartholo, en remplaçant don Bazile, le maître de musique. L'entretien entre lui et Isidore, qui réveille à tout moment la jalousie du Sicilien et qui est fondé sur un dialogue à double sens, l'entrée d' Hali qui cherche à distraire l'attention du jaloux, tandis qu'Adraste, aux genoux d'Isidore, parle de son amour, la scène finale, où le Sicilien est trompé par un échange de rôles, ce sont là des situations, qui nous rappellent bien plus l'intrigue du Barbier que le personnage qui en est le héros (*).

Scapin, issu de la souche de Brighella et de tous les valets fourbes et intrigants du théâtre latin et italien, faisait dire à Molière, que l'on querellait à propos des Fourberies: « J'ai vu le public quitter le Misanthrope pour Scaramouche; j'ai chargé Scapin de le ramener ". Lorsque, en effet, il se présenta sur la scène, le public envahit le théâtre pour écouter sa verve brillante, que son auteur avait parsemée des traits de son génie.

(*) La scéne du Malade imaginaire, où Cléante donne une leçon de chant à Angélique, à la presence de son père et chante son amour en tenant à la main un papier sur lequel il n'y a que la musique écrite, pourrait bien avoir inspiré le Barbier. (A III S. IV).

Scapin n'est pas si fripon que son père Brighella. « Là où Brighella, dit M. Sand, jouera du poignard, Scapin ne jouera que des pieds et des mains, et encore le plus souvent ne jouera-t-il que des jambes, car il est fort lâche et ne vent pas faire mentir l'origine de son nom de Scappino, qui vient de scappare, s'enfuir ".

Scapin de Molière est moins méchant que Scapin de Regnard. Il est vrai qu'il parle de son noble métier auquel il a renoncé depuis qu'il lui arriva de se brouiller avec la justice et qu'il ajoute que trois ans de galères de plus ou de moins ne sont pas pour arrêter un noble coeur », mais on voit ici, que l'on a affaire à un fanfaron, qui se donne des airs de maître fieffé et de mauvais garnement, pour en imposer à son maître et surtout à ce pauvre Silvestre, le valet bonhomme de la pièce (*). En effet, il pose en docteur de friponnerie et lorsqu'il voit l'embarras d'Octave et de son do

(*) Sbrigani de Pourceaugnac complète Scapin et annonce déjà les valets du XVIIIe siècle. Nérine dit de lui: « Homme qui vingt fois dans sa vie, pour servir ses amis, à généreusement affronté les galères» et Sbrigani regarde ses entreprises comme << de petites bagatelles qui ne valent pas la peine qu'on en parle ».

mestique: « Est-ce là tout? s'écrie-t-il d'un air doctoral. Vous voilà bien embarrassés tous deux pour une bagatelle! C'est bien là de quoi se tant alarmer! n'as-tu point de honte, toi (à Silvestre) de demeurer court à si peu de chose? Que diable! te voilà grand et gros comme père et mère et tu ne saurois trouver dans ta tête, forger dans ton esprit quelque ruse galante, quelque honnête petit stratagème, pour ajuster vos affaires? Fi! Peste soit du butor! Je voudrois bien que l'on m'eût donné autrefois vos vieillards à duper, je les aurois joués tous deux par-dessous la jambe ".

Mais, au bout des comptes, ce Scapin, ce grand fourbe, malgré son éloquence et sa fantaisie riche. en expédients, ne saurait, comme son aïeul de la comédie latine, se tirer d'affaire sans un hasard providentiel et, malgré la méchancheté qu'il affiche, il est au fond assez bonhomme, surtout si on le rapproche de Crispin du « Légataire universel » ou de Frontin de « Turcaret. "

Scapin des Fourberies est encore le serviteur zélé de son jeune maître; il ne détache pas encore ses intérêts de ceux des personnes qu'il sert et il ne s'enrichit pas de leurs dépouilles. Fort ressemblant d'ailleurs à l'original du théâtre latin, il supPIERRE TOLDO Figaro etc.

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porte les injures et les coups, sans le moindre ressentiment et, pour échapper au châtiment qui l'attend, il a recours à une ruse qui ramène le sourire et la gaieté sur les lèvres de son seigneur.

Il y a pourtant un point où Scapin se détache de la tradition, pour n'appartenir plus qu'à son époque. C'est lorsqu'il peint la justice de son pays, les degrès de juridiction, les procédures embarassantes, les sergents, les procureurs, les avocats, les greffiers, les substituts, les rapporteurs, les juges et leurs clercs.

« Il n'y a pas, dit-il, un de tous ces gens-là qui, pour la moindre chose, ne soit capable de donner un soufflet au meilleur droit du monde. Un sergent baillera de faux exploits, sur quoi vous serez condamné sans que vous le sachiez. Votre procureur s'entendra avec votre partie, et vous vendra à beaux deniers comptants. Votre avocat, gagné de même, ne se trouvera point lorsqu'on plaidera votre cause, on dira des raisons qui ne feront que battre la campagne et n'iront point au fait. Le greffier délivrera par contumace des sentences et arrêts contre vous. Le clerc du rapporteur soustraira des pièces, ou le rapporteur même ne dira pas ce qu'il a vu; et quand, par les plus

grandes précautions du monde, vous aurez paré tout cela, vous serez ébahi que vos juges auront été sollicités contre vous, ou par des gens dévots, ou par des femmes qu'ils aimeront. Eh! Monsieur, si vous le pouvez sauvez-vous de cet enfer-là. C'est être damné dès ce monde, que d'avoir à plaider; et la seule pensée d'un procès serait capable de me faire fuir jusqu'aux Indes ".

Ce sont-là les plaintes que Racine fait entendre dans ses Plaideurs et il y a sans doute comme un écho de Scapin chez Figaro se moquant de Brid' Oison et de la justice de son époque.

Outre les Fourberies, dont Molière emprunta l'argument au théâtre latin, l'Amphitryon de Plaute donna origine à l'une des pièces les plus réjouissantes de notre auteur. En rapprochant la pièce originale de son imitation, on verra clairement la différence qu'il y a entre l'esclave de Rome et le valet français du XVIIe siècle; on ne doit pourtant pas oublier que l'Amphitryon avait été déjà imité par Rotrou dans une comédie pleine d'heureux traits, qui n'ont pas été, probablement, sans exercer une certaine influence sur la production molierienne.

A peine paraît-il sur la scène, l'esclave de Plaute

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