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Nigaud, un personnage de la pièce. Il a ordinairement cinq ou six commerces avec autant de belles. Il leur promet tour à tour de les épouser, suivant qu'il a plus ou moins besoin d'argent. L'une a soin de son équipage, l'autre lui fournit de quoi jouer, celle-ci arrête les parties de son tailleur, celle-là paye ses meubles et son appartement et toutes ses maîtresses sont comme autant de fermes qui lui font un gros revenu ».

On ne pourrait prétendre de Crispin, le valet du chevalier, une moralité plus sévère. Il a une admiration sans bornes pour ce qu'il appelle le savoir-faire de son maître et dans la scène, où celui-ci sait se tirer d'une mauvaise affaire, en trompant tout le monde, il s'écrie à plusieurs réprises: L'excellent fourbe que voilà! Cet homme vaut son pesant d'or. Le royal fourbe! n

Lui, le maître fourbe, ne pourrait ne pas admirer ce qui forme le fond de sa race, mais cependant à ces sentiments d'admiration on voit se mêler celui d'une compassion assez vive pour la pauvre femme qui est la dupe du chevalier, et au moment où celle-ci donne dans le panneau La pauvre femme! s'écrie notre valet, avec un vif sentiment de sympathie. Mais, ce moment de com

passion passé, le sentiment de son intérêt prend le dessus et il se soucie seulement de tirer profit des leçons, que son seigneur lui donne.

A cette école d'intrigue et d'escamotage, notre Crispin se forme très facilement, il tâche d'imiter le chevalier et bannit tout scrupule. Lorsque son maître lui avoue qu'il ménage pour le moment toutes ses belles et qu'il se déterminera à épouser celle qui accommodera le mieux ses affaires: « Pour accommoder les miennes, ajoute notre Crispin, j'ai envie d'en prendre quelqu'une de celles dont vous ne vondrez point; car, entre nous, monsieur, je n'aime point les soubrettes ".

Il vise à un mariage avec une femme riche et il caresse cette idée à plusieurs reprises. « S'il était vrai, dit-il, que madame la baronne ne voulut qu'un mari, je serais son fait aussi bien qu'un autre; elle pourrait bien m'épouser par dépit. Il arrive tous les jours des choses moins faisables que celles-là, et je ne serais pas le premier laquais qui aurait coupé l'herbe sous le pied de son maître ”. Il détache donc l'idée de sa fortune de celle de son seigneur auquel il voudrait bien jouer quelque tour et, au moment du danger, il établit de quitter le chevalier en tirant adroitement son épingle du jeu.

Si, à la fin de la pièce, Crispin suit encore son maître, c'est qu'il espère escamoter la fortune et à l'école du chevalier il va, sans doute, se former entièrement.

Dans Le mari retrouvé, le valet Lepine devient pour les paysans monsieur de Lépeine et porte son titre avec assez d'aisance. Les paysans de Dancourt et de Dufresny ont un fond d'égoïsme et de cupidité, qui paraît très clairement dans la coquette de village, pièce que Dufresny fit représenter en 1715, où Lucas le fermier, donne, à sa fille Lisette, qui n'a nullement l'innocence des champs, des conseils de coquetterie, pour se faire épouser par un baron libertin et ridicule.

Les valets de Dufresny sont, pour la plupart du moins, entreprenants et fripons. Gusmand, maître d'hôtel de la comtesse, dans le Double veuvage, est un maître fourbe, qui fait à son patron les éloges de la dissimulation, comme Don Bazile devait les faire au comte Almaviva de la calomnie. « Elle maintient, dit-il, parmi les hommes la société civile et matrimoniale, farde les amitiés nouvelles, et récrépit les vieilles haines, elle tient lieu de sagesse aux femmes et de bonté aux maris ". Frosine est une servante très éveillée, qui se moque

de ses maîtres, dont la moralité fort douteuse ne s'effarouche pour rien et qui, en parlant des seigneurs, expose une sentence que Figaro n'aurait peut-être pas dédaignée: «Un grand seigneur, qui prie un bourgeois de lui faire une grâce, c'est comme un sergent qui prie de payer une lettre de change ». Crispin, Pasquin, Arlequin, sont des valets qui pullulent dans toutes les comédies de ce temps. De Hauteroche, Baron, Marivaux, (*) Duché, Lafosse, Lamotte, Campistrion, Destouches, Sédaine, font jouer à ce personnage les rôles de fourbe, d'intrigant, quelquefois de sot, plus souvent encore de fripon. Arlequin est, à cette époque, à l'ordre du jour. En 1716 on donna

(*) Son théâtre, d'un mérite incontestable, pullule de laquais. et d'intendants, qui ont, parfois, le bonheur de plaire à leurs maîtresses, mais qui ont souvent aussi le défaut de parler philosophie.

Mais ce que l'on admire, surtout, chez notre auteur, ce sont les soubrettes, gaies, entreprenantes et spirituelles et Suzanne s'est formée, probablement, à leur école.

Le plus souvent, dans ces pièces, la soubrette vient doubler sa maîtresse et le valet son maître, ce qui permet, selon la juste remarque de M. Brunetière, de maintenir l'intrigue dans les régions de la moyenne comédie, toujours gaie, légèrement railleuse, également temperée dans le rire et dans les larmes.

PIERRE TOLDO

Figaro etc.

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Arlequin bouffon de cour, comédie italienne, qu'on voulut jouer d'abord en italien, mais à laquelle les sifflets du public firent changer de langue.

Arlequin-Deucalion (1722) fut le début littéraire de Piron. Ou y voit Arlequin qui, en repeuplant le monde à coups de pierre, intervertit les rangs sociaux, en donnant la première place au laboureur et la deuxième à l'artisan. Il combat d'un air bouffon, auquel on ne pourrait pourtant nier une arrière pensée philosophique, l'inégalité des hommes. Les cadets, dit-il, seront frères de leurs aînés, et, l'inégalité détruite, je réponds du bon ordre et de la félicité universelle ". C'est dans cette pièce, dit La Harpe, qu'on trouve, dans toute sa pureté, le grand principe de l'égalité et de la liberté universelle, et de la régénération du genre humain.

Nous avons encore: Arlequin poli par l'amour (1720) pièce écrite par Marivaux, où ce personnage, qui jusqu'alors avait fait seulement rire, devient intéressant par l'amour naïf.

Consultez les articles de M. Ferdinand Brunetière (Revue des deux mondes - 1881, Revue Bleue - 1892), le livre de M. G. Larroumet (Marivaux, sa vie et ses oeuvres. Paris 1882) et une étude de M. Émile Faguet dans son Dix-huitième siècle (Paris 1890).

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