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Enfin, affublé des habits du malade, il fait, devant notaire, testament en faveur de son maître, visant surtout à son propre intérêt et lorsque le malade paraît mourir, le conseil que Crispin donne à son seigneur, c'est de

Courir au coffre-fort, sonder les cabinets, Démeubler la maison, s'emparer des effets ".

Crispin n'est pas en proie à la jalousie. Tout au contraire il se complaît de ce que sa première femme était assez gentille.

Une bretonne vive, et coquette surtout,

Qu' Eraste que je sers, trouvait fort à son goût ”. et en présentant à Eraste sa nouvelle femme, il dit, d'un air, qui semble inviter à de nouvelles

amours:

« Regardez-là, Monsieur, elle est jeune et belle N'allez pas en user comme de l'autre.... "

Qu'on est loin des craintes de Sganarelle! Mais c'est surtout par son esprit aventurier et par sa passion de faire fortune, que le valet de notre auteur se détache, notamment, de ses devanciers.

Crispin du Légataire a connu un peu tous les métiers et Crispin des Folies amoureuses a couru des aventures, qu'il expose de la manière suivante: « J'ai tant fait de métiers, d'après le naturel Que je puis m'appeler un homme universel.

J'ai couru l'univers, le monde est ma patrie;
Faute de revenu, je vis de l'industrie,

Comme bien d'autres font: selon l'occasion,
Quelquefois honnête homme, et quelquefois fri-
[pon.

J'ai servi volontaire un an dans la marine;
Et me sentant le cœur enclin à la rapine
Après avoir été dix-huit mois filibustier
Un mien parent me fit apprenti maltôtier.
J'ai porté le mousquet en Flandre, en Allemagne;
Et j'étais miquelet dans les guerres d'Espagne ”.
Et ailleurs il ajoute qu'il a frisé la corde:
"Certain jour me trouvant le long d'un grand
[chemin,

Moi troisième, et le jour étant à son declin,
En un certain bourbier j'aperçus certain coche:
En homme secourable aussitôt je m'approche,
Et pour le soulager du poids qui l'arrêtait,
J'ôtai des magasins les paquets qu'il portait.
On a voulu depuis, pour ce trait charitable,
De ces paquets perdus me rendre responsable;
Le prévôt s'en mêlait; c'est pourquoi mes amis
Me conseillèrent tous de quitter le pays ".
Le désir de faire son chemin forme toujours le
rêve le plus ardent du valet de Regnard, mais il

ne souhaite pas une fortune, pour jouir de la liberté, il aime seulement les plaisirs matériels de la vie, la bonne chère, la paresse, une cave bien remplie et..... les jours libertins, comme il dit.

Si je pouvais devenir laquais d'un fermier, dit Hector, le valet du Joueur:

« Je ronflerais mon soûl la grasse matinée,
Et je m'énivrerais le long de la journée;

Je ferais mon chemin; j'aurais un bon emploi,
Je serais dans la suite un conseiller du roi,
Rat-de-cave ou commis: et que sait-on peut-être
Je deviendrais un jour aussi gras que mon maître.
J'aurais un bon carrosse à ressorts bien liants;
De ma rotondité j'emplirai le dedans ».

Valentin des Ménechmes, veut lui-aussi faire son chemin et cela surtout pour jouir largement

de la vie.

Devant qu'il soit deux ans,

Je veux que l'on me voie, avec des airs fendants,
Dans un char magnifique, allant à la campagne,
Ébranler les pavés sous six chevaux d'Espagne.
Un Suisse à barbe torse, et nombre de valets,
Intendants, cuisiniers, rempliront mon palais;
Mon buffet ne sera qu'or et que porcelaine;
Le vin y coulera, comme l'eau de la Seine;

Table ouverte à dîner; et les jours libertins,
Quand je voudrais donner des soupers clandestins,
J'aurai, vers le rempart, quelque réduit commode,
Où je régalerai les beautés à la mode ".

Ces valets, cependant, ne peuvent pas encore réaliser leurs rêves; ils naissent, ils vivent et ils meurent dans la servitude. Chez Lesage, au contraire, Scapin devient vraiment un homme à bonnes fortunes, on voit que son règne commence et il marche déjà à la conquête d'un meilleur état. Scapin est Gil Blas au théâtre.

Il n'y a pas de doute que le traducteur des comédies espagnoles, qui débuta par Le point d'honneur, pièce imitée de Don Francisco de Rojas et qui dans le diable boiteux suivit El diablo cojuelo de Luis Valez de Guevara, dût subir l'influence de la littérature espagnole. Il subit encore l'influence de la comédie de l'art, témoin les emprunts faits à Gherardi, mais, cependant, ses personnages sont, on ne pourrait plus, français, et les sentiments qui l'animent sont propres à cette époque de trasaction. Crispin rival de son maître fut joué le 15 mars 1707. Ce n'est à la verité qu'une bluette en un acte très agréable pourtant, et Turcaret qui la suivit quatre années après, mar

que le passage de la farce à la comédie de mœurs et réfléchit le XVIIIe siècle.

Crispin, de la première de ces deux pièces, a encore quelque chose du valet de Regnard; il est mauvais sujet et affiche un cynisme digne de Polichinelle. La Branche est le frère du Crispin des Folies soit par ses aventures, soit par la manière dont il les expose. Le dialogue suivant nous fera connaître au juste les deux camarades qui ont fort l'air de ressembler à Pilucca et Marabeo de la comédie italienne écrite et en général aux valets de Gherardi. "Crispin (a La Branche) Franchement, ne te voyant plus paraître à Paris, je craignais que quelque arrêt de la Cour ne t'en eût éloigné.

La Branche

-

Ma foi, mon ami, je l'ai échappé belle, depuis que je ne t'ai vu. On m'a voulu don

ner de l'occupation sur mer; j'ai pensé être du dernier détachement de la Tournelle.

Crispin -Tudieu! qu'avais-tu fait?

La Branche

Une nuit, je m'avisai d'arrêter dans une rue détournée, un marchand étranger, pour lui demander, par curiosité, des nouvelles de son pays. Comme il n'entendait pas le français, il crut que je lui demandais la bourse. Il crie au voleur. Le guet vient: on me prend pour un fri

PIERRE TOLDO

Figaro etc.

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