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qui n'avait pas toit en le croyant un aventurier, il revint enfin en France, où son caractère remuant, incapable d'un seul moment de repos, le lança, à corps perdu, dans la fameuse entreprise d'Amérique, tandis, qu'en menant de front plusieurs affaires dans le même temps, il faisait jouer, pour la première fois, son Barbier de Seville.

Dans cet esprit d'aventure et d'intrigue, dans ce penchant pour les petites manoeuvres dignes

A cette intrigue il voulait en joindre une autre plus effrontée encore, qu'il révèle dans un mémoire adressé au duc de Choiseul. « Il représentait à cet homme d'état, dit M. Valbert, que pour mettre l'Espagne dans la dépendance du cabinet de Versailles, il fallait, par l'entremise du valet de chambre Piny, tout puissant sur son auguste maître, donner à Charles III une maîtresse en titre, une Pompadour, et il proposait pour cet office la belle marquise de La Croix, nièce de l'évêque d'Orléans, laquelle, au vu et au su de tout Madrid, était la maîtresse de Beaumarchais ».

A ce propos, M. Valbert ajoute la remarque suivante: « Toutes les fois que Beaumarchais s'est trouvé en présence d'un homme d'esprit ou de caractère, d'un Charles III ou d'un Choiseul, d'un Franklin ou d'un Vergennes, d'un Kaunitz ou d'un Mirabeau, il a eu le chagrin de voir éventer ses mines ».

Il manquera toujours à la mémoire de Beaumarchais, a dit, justement, Jules Sandeau, cette fleur d'estime, que ne remplacent ni la renommée, ni la popularité, ni la gloire, et qui s'appelle tout simplement la considération.

d'un simple chevalier d'industrie, il y a du Figaro tout pur, mais notre auteur, il faut en convenir, est supérieur à son valet. Il sait s'élever à une place digne de son esprit et il devient, à cette époque, un vrai miracle d'activité et de diplomatie, un conseiller du roi, qui confère chaque matin avec les ministres et un capitaine, qui arme une flotte contre l'Angleterre.

Mais est-ce le spéculateur ou le patriote qui arme ces navires? (*) La réponse n'est pas difficile, surtout si l'on considère que même lorsqu'il publia les œuvres de Voltaire, tout en assurant que l'édition, coûte que coûte, aurait été complète, il sut cependant ménager les exigences des puissants et son propre intérêt.

« Je vous avais prié, mon prince, écrit-il à Nassau, de savoir de Sa Majesté l'Imperatrice, (Caterine II de Russie, qui voulait supprimer ou cartonner sa correspondance avec Voltaire) si elle avait donné quelque ordre au sujet du dédommagement équitable que l'on m'a garanti en son nom,

(*) Mirabeau, aprés l'avoir traité de charlatan, de baladin, de proxénète, lui reprochera d'avoir armé pour l'Amérique <<< trente vaisseaux chargés de fournitures avariées, de munitions éventées, de vieux fusils, que l'on revend pour neufs ».

lorsque j'ai proposé à M. M. de Montmorin et Grimm de mettre des cartons à tous les exemplaires de toutes les éditions de Voltaire, aux endroits où Sa Majesté a paru le désirer ». Beaumarchais, comme dit M. Valbert, n'est pas un homme de lettres qui a trop aimé les affaires et l'argent; Beaumarchais est, avant tout, un homme d'argent, de finance et de bourse, un industriel, un spéculateur, qui s'est trouvé avoir un prodigieux talent de pamphlétaire et d'écrivain, dont l'occasion a fait un tribun et dont les circostances ont fait un poète.

Moyennant de l'argent on peut toujours facilement apaiser ses scrupules et cette passion du gain l'obsède à tout moment et forme un des traits les plus saillants de son caractère. Dans ses dernières années, à Hambourg, à Paris, sourd, malade, on le voit poursuivre sa lutte acharnée pour la conquête de la richesse et il se cramponne à sa créance américaine pour le payement des fournitures, avec toute l'énergie de son caractère et du désespoir.

Beaumarchais ressemble donc à son protagoniste pour cette passion de l'argent, pour sa morale aisée, pour ce penchant à une vie d'aventures et

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d'intrigue et pour cette souplesse de courtisan et de serviteur doué d'une bonne tête, de bons bras et point de langue.

Figaro a, de même que son auteur, la bosse des procès et des débats publics et ce n'est pas, sans doute, un lieu commun tiré des Plaideurs de Racine, la plaidoirie de l'adroit valet, dans le troisième acte du Mariage.

Don Bartolo, don Bazile et le comte Almaviva veulent, par un procès, le contraindre à épouser Marceline. Ce sont des scènes écrites admirablement et l'on y voit le bon sens de l'homme du peuple, doublé de la ruse du courtisan, qui se moque des juges et des avocats et qui appelle à son aide ce pouvoir naissant de l'opinion publique, dont les esprits les plus clairvoyants de son époque paraissent souvent douter.

Brid' oison, ce juge qui comprend tout sans rien comprendre, est le prototype des magistrats auxquels notre auteur avait eu si souvent affaire et en faisant de lui la dupe de son héros, Beaumarchais se venge des injures qu'il avait dû essuyer des gens de chicane, pendant sa longue carrière de plaideur.

De même que Beaumarchais dans son procès

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Goezman, l'ex barbier plaide ici sa cause en se passant des avocats. « Le client un peu instruit, dit-il, sait toujours mieux sa cause que certains avocats, qui, suant à froid, criant à tue-tête, et connaissant tout hors le fait, s'embarrassent aussi peu de ruiner le plaideur que d'ennuyer l'auditoire ".

On voit, dans les scènes compliquées de cet acte, le plaisir que l'auteur éprouve en exposant, par la bouche de Figaro, ses théories judiciaires, et le procès de son personnage sert, jusqu'à un certain point, de commentaire à ses Mémoires.

Les mangeries des tribunaux lui suggèrent des saillies piquantes. « On doit remplir les formes,” dit, Brid'oison à notre valet, qui se plaint de ce que le greffier Double-main dévore le bien des plaideurs, dans les frais de justice. « Assurément, Monsieur, repartit notre protagoniste, si le fond des procès appartient aux plaideurs, on sait bien que la forme est le patrimoine des tribunaux ».

Ailleurs, se souvenant des injures des avocats adversaires, l'auteur fait dire à Figaro offensé par Bartholo, avocat de Marceline, qui l'a appelé fripon: Est-ce votre cause, avocat, que vous plaidez ?

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