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ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de l'Opéra, ni des autres spectacles, ni de personne qui tienne à quelque chose, il peut tout imprimer librement, sous l'inspection de deux ou trois censeurs. En proie au désespoir, il demande une place, mais par malheur il y était propre et ce fut un danseur qui l'obtint. Ainsi d'injustice en injustice, de malheur en malheur, il se voit réduit à un tel point de misère qu'il médite le suicide et le gai descendant de Crispin nous parle de vingt brasses d'eau qui vont le séparer du monde. Pour lui l'illusion est détruite, il a tout vu, tout fait, tout usé et il contemple désormais le monde en philosophe désabusé. L'ex-barbier est devenu économiste, politiqueur, journaliste; peu s'en faut qu'il ne demande une charge d'homme d'Etat!

Il est vrai que M. de Loménie remarque, que nous jugeons aujourd'hui l'ouvrage de Beaumarchais d'après les évènements qui l'ont suivi et que probablement notre auteur était loin de s'imaginer qu'il concourait à un bouleversement général.

Nous ne pourrions, cependant, voir en Figaro, qu'un personnage issu de la révolution de la pensée, un de ces libres penseurs frondant le privi

lège, drapant la société, souhaitant une ère nouvelle, que Voltaire et les Encyclopédistes avaient mis à la mode. Pour nous le Mariage est toujours quoi qu'en dise, entre autres, Louis Ganderax, le premier acte de la Révolution et Voltaire, lui-même, ne réprésente pas plus fidèlement la première moitié du dix-huitième siècle, que le valet du comte Almaviva la seconde. Ce monologue est la vie de la pièce: sans lui Figaro ne serait qu'un Frontin prétentieux ou un Sganarelle ridicule: c'est là surtout qu'on voit Beaumarchais en personne, parti de rien pour arriver à tout (*).

Il serait trop long de recueillir tous les sarcasmes, que notre valet lance contre la société; il a même trop de pessimisme et il le dépense à tout propos. C'est bien la justice de son époque celle qu'il définit indulgente aux grands et dure aux petits et Brid'oison, le représentant de cette justice seigneuriale, est en butte non seulement aux traits

(*) La révolution comprit l'importance de Figaro. Entre autres, le rédacteur des Révolutions de Paris, (t. VI p. 455-460), gourmandant l'Assemblée nationale, dans les premiers jours de décembre 1790, de sa lenteur à statuer sur la pétition des auteurs dramatiques, établissait les services qu'avaient rendus, à la cause de la liberté, les représentations du Mariage de Figaro.

mordants de Figaro, mais aussi à ceux des autres personnages, de Marceline, par exemple, qui se plaint de la vente des charges de la justice, ainsi que de la corruption des juges.

C'est Figaro qui parle des soldats qui tuent et se font tuer pour des intérêts qu'ils ignorent, c'est lui qui dit au comte qu'il vaut moins que sa réputation, c'est lui enfin qui fête la suppression du droit de seigneur et qui fêterait bien volontiers la suppression des autres abus.

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Il ne faut pourtant pas le prendre pour un apôtre. Figaro du Mariage a encore cà et là des airs du Figaro du Barbier et il se rattache par là à sa souche féconde. Il a encore l'air de Scapin lorsque, au moment même, où le comte Almaviva veut obtenir de sa fiancée un certain quart d'heure, au lieu de s'emporter contre la violence du rang, il s'écrie tout bonnement: « Ah! s'il y avait moyen d'attraper ce grand trompeur, de la faire donner dans un bon piège et d'empocher son or!

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Dans la même scène, il nous rappelle Sganarelle du Mariage forcé, lorsque en se frottant le front:

«Ma tête, dit-il, s'amollit de surprise et mon fiont fertilisé....

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quelque petit bouton, des gens superstitieux......... ” Ces airs de Polichinelle ne le quittent pas même au moment le plus saillant de la pièce. Lorsque, au cinquième acte, après avoir débité son monologue célèbre, il reçoit un soufflet du Comte et un autre de Suzanne, déguisée en Comtesse, et qu'il dit en riant et en se frottant la joue: « Est-ce ici la journée des tapes?" ce n'est plus le personnage à réflexions politiques et philosophiques, c'est le valet de la vieille comédie, qui revient sur les planches.

Ainsi, si notre héros, semble menacer le déluge au moment où il lutte contre le Comte, il redevient son humble serviteur, lorsqu'il a la permission d'épouser Suzanne et d'empocher l'or et les présents de noces. Figaro, coûte que coûte, veut brusquer la fortune et par là il représente la marche des dernières classes à la conquête du pouvoir.

"Cent fois, lui dit le Comte, je t'ai vu marcher à la fortune et jamais aller droit.

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Figaro

Comment voulez-vous? La foule

est là; chacun veut courir; on se presse, on coudoie, on renverse, arrive qui peut; le reste est

écrasé ",

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Il exagère, il généralise sa théorie de l'intrigue et il voit dans les autres ce qui est au fond le défaut de sa propre race et ce qui forme, surtout, le cachet particulier de son caractère.

"Médiocre et rampant, dit-il, et l'on arrive à tout "; et lorsque, à la présence de son maître élu ambassadeur d'Espagne à Paris, il donne la définition suivante de la politique, le Comte n'a pas tort s'il repartit: « Mais ce n'est pas la politique, c'est l'intrigue que tu définis ".

Voici cette définition, où il peint, d'ailleurs, les ministres ineptes et prétentieux de cette époque de petits expédients. « Feindre d'ignorer ce qu'on sait, de savoir tout ce qu'on ignore; d'entendre ce qu'on ne comprend pas, de ne point ouïr ce qu'on entend, surtout de pouvoir au delà de ses forces; avoir souvent pour grand secret de cacher qu'il n'y en a point, s'enfermer pour tailler des plumes, et paraître profond quand on n'est, comme on dit, que vide et creux; jouer bien ou mal un personnage, répandre des espions et pensionner des traîtres; amollir des cachets, intercepter des lettres et tâcher d'ennoblir la pauvreté des moyens par l'importance des objets: voilà toute la politique",

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