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délit de contrefaçon; qu'elle a donc contrevenu aux articles cités de la loi du 19 juillet 1793; Casse. »

La cour royale de Lyon a rendu, le 5 août 1819, l'arrêt suivant : « Attendu qu'il est constant que l'abbé Bonardet a cédé, en l'an VIII, à la veuve Rusand un ouvrage intitulé: Dévotion au sacré Cœur de Jésus ;... que cet ouvrage ne saurait être compris dans le domaine public, parce qu'il ne contient pas la copie matérielle et suivie d'autres ouvrages; mais qu'il est le fruit du travail et d'une conception d'esprit, pour la plus grande partie; ce qui en attribue la propriété à l'auteur; qu'on ne peut le considérer, non plus, comme livre d'église, d'heures et prières, quoiqu'il contienne des prières généralement adoptées par les catholiques, parce qu'il contient d'ailleurs des instructions, des idées et un travail qui sont encore le fruit du génie et de la conception de l'auteur (1). » Le sieur Rivoire s'était pourvu en cassation; mais un arrêt du 7 octobre 1819 l'a déclaré non recevable pour défaut de consignation d'amende.

Conformément à cette jurisprudence, le tribunal correctionnel de la Seine (2) a condamné comme contrefacteur M. Briand qui, après avoir vendu une compilation dont il était l'auteur, en avait ensuite vendu des extraits à un autre libraire.

Le droit des auteurs d'abrégés a été formellement consacré par jugement du même tribunal du 22 mars 1834 (3):« Attendu, en droit, que l'abbréviation d'un ouvrage peut, par la composi→ tion et l'ordonnance des matières, le choix et la nature des extraits, faire un acte de création d'intelligence et d'industrie, et constituer par le fait un droit de propriété; attendu qu'en fait le Nouvel abrégé de Géographie publié par Delalain n'est la reproduction d'aucun des ouvrages publiés précédemment, et qui sont représentés par Ardant; qu'ainsi il n'est pas établi

(1) Journal de la Librairie, 1820, p. 68.

(2) Jugement du 4 février 1835; Gaz. des trib. 8 février. (3) Gaz. des trib. 23 mars 1834.

que l'abrégé dont s'agit soit du domaine public, et qu'Ardant ait eu le droit de se l'approprier........... »

49. Un ouvrage écrit en langue étrangère est objet de privilège aussi bien qu'un ouvrage écrit en langue française. 50. Une traduction est objet de privilège; la copier, c'est contrefaire.

En France comme en Angleterre, la jurisprudence est constante sur ce point. La loi de 1817 pour les Pays-Bas, et la loi russe assimilent entièrement le traducteur à l'auteur. L'article 1027 du code prussien considère les traductions, relativement au droit d'édition, comme des ouvrages nouveaux. Dans les travaux préparatoires sur le décret impérial du 5 février 1810 (1), le projet discuté au conseil d'état contenait un article ainsi conçu : « L'individu qui aura fait le premier sa déclaration pour la traduction ou publication d'un ouvrage imprimé et publié à l'étranger, jouira en France des droits d'auteurs. » Autant cette disposition, en ce qui concernait les droits du traducteur, était facile à justifier, comme suppléant au silence des lois antérieures par une interprétation entièrement conforme à l'esprit général de leurs dispositions, autant l'innovation était considérable à l'égard des publications d'ouvrages étrangers. On recula devant l'établissement de ces privilèges d'importation. On avait, dans la discussion, commencé par restreindre l'article proposé en ne donnant privilège au traducteur que pour sa traduction, et à l'importateur que pour sa publication en langue originale; on avait ajouté : « Toutefois tout autre traducteur pourra imprimér une traduction nouvelle et le texte en regard. » Mais l'article entier fut définitivement supprimé. Malgré cette suppression, le droit du traducteur sur son œuvre demeure incontestable. Il est parfaitement distinct du droit de traduire les ouvrages, même de domaine privé, sur lequel nous nous sommes expliqués no 16, et qui appartient à toute personne.

(1) Voy. t. 1, p. 389.

Les exemples suivans suffiront pour attester la jurisprudence:

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Voici comment s'exprime un jugement du tribunal correctionnel de la Seine, du 28 janvier 1824, confirmé par les mêmes motifs par arrêt du 30 avril suivant : <<< Attendu que la traduction publiée par Ladvocat est, principalement dans les trois premiers actes, et à la seule exception de quelques mots changés et de quelques membres de phrase omis ou transportés, la copie de celle publiée antérieurement par Bobée; que Ladvocat ne peut prétendre que Bobée a luimême copié la traduction de cette même pièce Goetz de Berlichingen dans l'ouvrage de MM. Friedel de Bonneville, puisque l'ouvrage publié par Bobée n'a, avec celui des susnommés, que des rapports et des ressemblances inévitables lorsqu'il s'agit de la traduction du même original. » La cour de cassation, chambre criminelle, a rejeté le pourvoi contre cet arrêt, le 23 juillet 1824. « Attendu que, d'après les faits déclarés dans le jugement confirmé par l'arrêt attaqué, cet arrêt, en jugeant que l'ouvrage dont il s'agit était au nombre des propriétés littéraires auxquelles le fait et le délit de contrefaçon pouvaient être applicables, n'a pas fait une fausse application de la loi du 19 juillet 1793; Rejette. » (1)

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La même doctrine a été appliquée par arrêt de la cour royale de Paris, rendu, sur ma plaidoirie, le 14 janvier 1830, contre M. Albert de Montémont, pour contrefaçon de la traduction de Walter Scott par M. de Fauconpret. Il ne s'agissait pas, dans cette cause, d'une copie textuelle et d'une contrefaçon totale; et il a été jugé que, pour une traduction, comme pour tout autre genre d'écrit, le plagiat peut être porté jusqu'à la contrefaçon. (2)

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51. Il est presque superflu de faire remarquer que le compilateur, l'abbréviateur, le traducteur, n'ont droit qu'à leur propre travail, et n'ôtent à personne le droit de compiler les

(1) Dalloz, Jur. générale, vo PROPRIÉTÉ LITTÉRAIRE, p. 469. (2) Dalloz, 1833, 2, 133.

mêmes matériaux, d'abréger les mêmes ouvrages, de traduire le même auteur original.

52. Des notes, des additions, des commentaires appartiennent à leurs auteurs, même lorsque ceux-ci les ont imprimés et publiés avec un ouvrage de domaine public.

Un arrêt rendu sur cette question par la section criminelle de la cour de cassation, le 23 octobre 1806, me paraît contenir plusieurs graves erreurs (1). Il est ainsi conçu :

<< Considérant qu'il s'agissait de décider si, à l'aide de quelques légères augmentations faites à un ouvrage devenu depuis long-temps une propriété publique, on peut s'appliquer un droit de propriété exclusive, surtout lorsque ces légères augmentations ont été confondues dans l'ouvrage qui était dans le domaine du commerce et de la librairie; que la Grammaire de Veneroni était devenue depuis long-temps une propriété publique; qu'il a été reconnu en point de fait que Gattel, dont Bruysset porte droit, n'avait fait que de très légères augmentations à cet ouvrage ; que la cour dont l'arrêt est attaqué a pu induire des circonstances, qu'en confondant ces légères augmentations avec un corps d'ouvrage devenu essentiellement propriété publique, Gattel n'avait pas pu acquérir un droit de propriété exclusive; qu'en effet, d'après le règlement du 30 août 1777, les augmentations faites à un ouvrage n'attribuaient un droit de propriété particulière qu'autant que ces augmentations étaient du quart de l'ouvrage; que le décret du 1er germinal an xIII a consacré en principe que les ouvrages des auteurs morts depuis plus de dix ans sont des propriétés publiques; que, d'après ce décret, les héritiers de ces auteurs ne sont reconnus propriétaires des ouvrages posthumes qu'à la charge de les imprimer séparément et de ne pas les confondre avec des éditions d'ouvrages déjà devenus propriété publique; que, par conséquent, la cour dont l'arrêt est attaqué a légalement opéré

(1) Répertoire, CONTREFAÇON, S.XI, sotmejka) t

en rapprochant de la loi de 1793 le règlement de 1777 sous le rapport de l'insuffisance des augmentations, et le décret du 1°r germinal an XIII sous le rapport de l'incorporation et de la confusion prohibées par ce décret; Rejette. »

Le règlement de 1777 et le décret du 1er germinal an xIII devaient demeurer entièrement étrangers à l'espèce jugée par cet arrêt. Le règlement de 1777 prévoyait le cas où un libraire, après avoir obtenu un privilège pour un livre nouveau, voudrait, après l'expiration de ce privilège, en obtenir le renouvellement. On a vu, dans la première partie de cet ouvrage, à quelles nombreuses contestations ces renouvellemens de privilège avaient donné lieu. Le règlement de 1777 dispose que l'augmentation d'un quart est nécessaire pour que le renouvellement soit accordé. Mais que l'on fasse attention qu'il s'agissait de renouveler le privilège de l'ouvrage entier, et de déterminer à quelle étendue d'augmentations on attacherait l'effet de donner droit à un privilège nouveau, par la considération que les augmentations auraient en quelque façon constitué un nouveau livre. Rien de semblable sous l'empire de la loi de 1793 et dans l'espèce de l'arrêt. Il s'agissait, en effet, de savoir, non pas si l'auteur des augmentations de la Grammaire de Veneroni avait acquis, au moyen de ces augmentations, un droit exclusif sur cette grammaire, qui demeurait irrévocablement acquise au domaine public, mais s'il avait un droit exclusif sur les augmentations qui étaient la production de son esprit. Or, il est certain que le droit d'un auteur ne se mesure ni sur l'étendue, ni sur l'importance de son œuvre; d'où il suit que peu importe, pour l'appréciation de son droit, la comparaison de l'étendue ou de l'importance de son œuvre avec celles d'autres ouvrages auxquels il aura jugé à propos de la joindre.

Le décret de germinal an xr, sur les œuvres posthumes, était également étranger à l'espèce. Il ne s'agissait pas d'augmentations de Veneroni, qui, ouvrage posthume de cet auteur, auraient été jointes et incorporées à son ouvrage déjà

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