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on avait tâché de masquer la contrefaçon en mêlant quelques notes nouvelles aux anciennes; mais le petit nombre de notes nouvelles (dix ) fit voir qu'elles n'avaient été insérées que dans cette intention. D'un autre côté, des notes ou ornemens ajoutés à un livre dont le droit de copie n'est pas expiré ne confèrent aucune faculté d'imprimer l'original. >>

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53. La jurisprudence a adopté un sens fort large pour l'application du droit privilégié en faveur des écrits de tous genres.

Ainsi, un arrêt de la cour royale de Paris du 22 mars 1830 (1) a reconnu comme objet de privilège un tableau synoptique du budget de l'état. Un arrêt de la même cour du 21 décembre 1831 (2) en a décidé de même à l'égard d'un travail qui se bornait à encadrer dans un plan figuratif les noms des membres de la Chambre des députés : « Considérant que l'objet principal de ce tableau est l'indication exacte de la place occupée par chacun des députés; que le surplus (les ornemens du plan) ne constitue que des accessoires sans intérêt, et qu'il est constant au procès, et avoué par Marquis graveur, qu'il a reproduit dans le plan figuratif qu'il a fait de la Chambre des députés le classement des députés tel qu'il avait été disposé dans le tableau publié antérieurement par SaintEloy; que l'imitation de cette partie de l'ouvrage a eu lieu avec une telle servilité qu'on y voit le nom de plusieurs députés qui n'avaient pas encore pris séance et auxquels SaintEloy n'avait assigné de places que d'après ses conjectures ; qu'il suffit, du reste, que l'imitation ait eu lieu en partie pour constituer la contrefaçon. » On voit que l'un des motifs de l'arrêt a été puisé dans la reproduction de désignations con+ jecturales ou erronées qui accusaient manifestement la servilité de la copie. Nous avons déjà fait remarquer, no 12, que ce genre d'observations entraîne fréquemment la décision des tribunaux, et doit être, dans la pratique des affaires, l'objet d'une attention spéciale.

(1) Gaz, des trib. du 23 mars 1830.

(2) Gaz. des trib. du a3 décembre 1831.

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Un jugement du tribunal correctionnel de la Seine, du 16 mai 1834 (1), condamne comme contrefacteur M. Lallemand, auteur d'un tableau, en une feuille, des Révolutions de la France depuis 1787, comme ayant imité et contrefait ce tableau, et l'ayant vendu à un second éditeur, sous un autre titre et avec quelques changemens.

Faut-il citer aussi, comme témoignage de la sollicitude des tribunaux pour les plus chétives productions, un jugement du tribunal correctionnel de la Seine du 29 janvier 1836 (2) qui condamne le contrefacteur d'une notice sur le clysopompe ?

Godson (3) cite des exemples de protection accordée en Angleterre à des nomenclatures de livres de routes et de chemins, à des listes chronologiques, à des calendriers, à des tables de logarithmes, de calculs d'intérêts, et autres ouvrages de ce genre, lorsqu'ils ont supposé un travail particulier de la part de leur auteur.

54. Les écrits épistolaires sont des objets de privilèges comme tous les autres genres d'écrits. De graves questions sont à examiner sur la propriété des lettres que leur auteur n'a pas écrites pour qu'elles fussent publiées, ainsi que sur le droit d'en faire ou d'en autoriser la publication. Nous nous en occuperons dans le chapitre relatif aux sujets de privilèges. 55. Des morceaux et articles publiés dans les journaux sont-ils un objet de privilège ?

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En droit, cette question ne peut pas être douteuse; aucune loi, aucun motifraisonnable n'excluent les écrits insérés dans les journaux des garanties assurées à tous les genres d'écrits.

En fait et dans l'usage, cette question, si simple par ellemême, s'obscurcit et se complique. Une habitude d'emprunts réciproques entre les feuilles périodiques s'est établie par

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la force des choses et s'exerce avec une latitude qui dégénère souvent en abus. Ce n'est pas seulement la réciprocité de copie qui explique cette tolérance, c'est aussi la communauté en même temps que la variété des sources auxquelles la rédaction des journaux est ordinairement puisée.

Si, non content des échanges de chaque jour, que la réciprocité autorise et que l'inévitable précipitation de la rédaction excuse, un journal s'habituait à en copier un autre, surtout sans le citer; si, le citant ou non, il cherchait à le supplanter et à lui surprendre ses abonnés, les tribunaux n'hésiteraient sans doute pas à voir une contrefaçon dans cette suite de larcins.

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Mais il n'arrive guère que les emprunts se limitent ainsi à ceux qu'un journal fait à un autre. Ils s'étendent sur l'uni-' versalité de la presse périodique; et le préjudice particulier causé à chaque emprunté s'atténue par la multiplicité même des sources auxquelles puise l'emprunteur. La difficulté de la répression tient donc surtout à une insuffisance d'intérêt de la part individuellé de chacun de ceux qui sont collective-"" ment exploités par ce pillage. Il tient aussi à ce que, les emprunts étant réciproques, le plaignant est très ordinaire- " mẹnt habitué lui-même à faire des emprunts à son tour.

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La tolérance sur les emprunts réciproques des journaux étant devenue inévitable, l'usage a dégénéré en abus; car, en toute occasion, il se rencontre des gens qui se chargent de démontrer par les faits jusqu'à quelles limites extrêmes la plus légère concession sur les principes peut logiquement être portée. Il s'est donc établi une industrie d'une rapacité presque cynique. Elle a consisté à créer des journaux dont toute la rédaction best empruntée à d'autres; concurrence commode, puisque son unique artifice pour économiser les frais de rédaction, consiste à s'approprier celle que d'autres ont payée. Un de ces journaux, de peur que l'on ne s'y měl prît, a poussé la logique jusqu'à s'intituler, avec une audacieuse franchise, le Voleur; un autre, le Pirate 81, vlka (1)

Les tribunaux ont été appelés assez fréquemment à prononcer sur ces méfaits. Je me contenterai de citer les arrêts suivans :

M. Gauja, éditeur de la Gazette littéraire, avait porté plainte en contrefaçon contre M. Petetin, éditeur du journal le Pirate. Ce dernier journal fut condamné par jugement du tribunal correctionnel de la Seine du 12 juin 1830, confirmé par arrêt de la cour royale de Paris du 21 juillet suivant. Sur le pourvoi, la cour de cassation a rendu, le 29 octobre 1830, l'arrêt de rejet suivant (1): «Attendu que, d'après les termes généraux de la loi du 19 juillet 1793, les tribunaux peuvent, selon les circonstances, en faire l'application aux journaux et feuilles périodiques; attendu qu'en décidant que, par l'insertion de plusieurs articles de la Gazette littéraire, faite, sans le consentement de son éditeur, dans le journal intitulé le Pirate, l'éditeur-gérant de ce dernier journal avait commis un délit de contrefaçon préjudiciable à celui de la Gazette littéraire, et qu'en appliquant à ce fait, ainsi déclaré, les dispositions prohibitives et pénales de la loi du 19 juillet 1793 et de l'article 425 du code pénal, la cour royale de Paris n'a pas fait une fausse application de ces dispositions. D

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Sur la plainte des gérans de plusieurs journaux parisiens, M. Boulé, gérant du journal l'Estafette, fut condamné à des dommages et intérêts par jugement du tribunal de commerce de la Seine, en date du 13 juillet 1836. Le tribunal crut pouvoir terminer son jugement par la disposition suivante Il est défendu à Boulé de reproduire à l'avenir, dans les colonnes de son journal, un article de polémique, littéraire ou de correspondance particulière, de chacun des journaux le Constitutionnel, l'Impartial, la Gazette de France, avant l'expiration d'un délai de cinq jours francs entre le jour de la publication et celui de la reproduction. » Cette disposition avait été dictée par le désir de concilier les principes d'é-chure Car 19. (1) Dalloz, 1831, 1, XI.

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quité naturelle, qui ne veulent pas que l'on s'enrichisse aux dépens d'autrui, avec la nécessité de laisser une certaine latitude aux emprunts réciproques des divers organes de la presse périodique et à la circulation des nouvelles. Elle se retrouve dans plusieurs autres jugemens émanés du même tribunal, qui toutefois a varié dans la détermination arbitraire du délai après lequel il a autorisé la reproduction des articles. Mais, indépendamment des inconvéniens qu'une pareille disposition présente en elle-même, et particulièrement de ceux qu'elle pourrait entraîner dans un grand nombre de cas où, ne s'agissant pas de simples nouvelles, le préjudice causé au journal contrefait par le journal contrefaisant subsiste même après un assez long intervalle, il est impossible de ne pas reconnaître que de telles injonctions dépassent les limites dans lesquelles l'autorité judiciaire est tenue de se renfermer. C'est avec raison que les magistrats supérieurs ont infirmé cette partie du jugement. Voici en quels termes la cour royale de Paris a statué par arrêt du 25 novembre 1836 (1): « Considérant qu'aux termes de l'article 1382 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer; que celui qui reproduit textuellement dans un journal les articles d'un autre journal, et notamment des articles de fonds, politiques et littéraires, cause à celui-ci un préjudice qui doit être réparé; considérant que ce préjudice est d'autant plus grave que cette reproduction est plus fréquente et plus rapprochée de l'époque de la publication du journal auquel les emprunts ont été faits: considérant, en fait, que le journal l'Estafette a reproduit textuellement des articles politiques ou littéraires, publiés. par la Gazette de France, les Débats, le Constitutionnel, le Courrier français, l'Impartial, la Quotidienne et le Temps, ayant'égard', pour la fixation des dommages-intérêts, à la

(1) Dalloz, 37, 2, 13

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