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Que les tribunaux civils et de commerce sont toujours compétens pour atteindre cette usurpation par des dommages et intérêts; que, dans certains cas, on y peut trouver un élément de contrefaçon, appréciation laissée à l'arbitraire des tribunaux juges de ce délit;

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Qu'un titre sans cachet d'individualité propre, et dont l'emprunt n'est point de nature à faire prendre le change au public et à porter préjudice à l'ouvrage auquel il a été primitivement attribué, ne donne point droit à sa possession exclusive;

Que le titre d'un journal lui appartient pendant toute la durée de son existence, quelque longue qu'elle puisse être. On peut même dire que plus cette durée a été longue, plus le titre a acquis d'importance et est devenu une partie notable de ce genre de propriété.

« Le titre d'un journal qui a cessé d'exister peut être adopté par toute personne voulant fonder un autre journal sous le même titre, à la condition, toutefois, que les précautions nécessaires seront prises pour que la responsabilité légale, pécuniaire ou même morale des propriétaires et rédacteurs du journal qui existait précédemment sous ce titre, ne se trouve en rien engagée par la publication du journal nouveau. » C'est en ces termes que j'ai adhéré à une consultation délibérée en faveur d'un journal qui avait pris le titre de l' Album (1). La même doctrine a été consacrée par la cour.. royale de Paris (2), qui a autorisé la publication d'un journal sous le titre de Gazette de santé, lorsqu'un autre journal, qui avait précédemment porté le même titre, subsistait encore, mais avait, depuis sept mois, abandonné ce titre pour celui de Gazette médicale de Paris.

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57. Le nom est une propriété qui ne peut pas impunément être envahie. Une telle usurpation est moralement plus ré

(1) Voir no 4 de l'Album, 15 novembre 1828.

(2) Arrêt du 15 avril 1834. Gaz. des trib. du ao.

préhensible que celle du titre. Si elle n'est accompagnée d'aucune reproduction de tout ou partie d'un ouvrage de domaine privé, elle ne constitue pas une contrefaçon; mais c'est un fait grave qui appelle une répression sévère.

La cour de cassation, dans un arrêt du 17 nivose an XIII(1), a énoncé le motif suivant : « Que si plusieurs traductions de compositions musicales ont été publiées et vendues en France, par Sieber, avec l'indication de Pleyel pour auteur, cette circonstance ne constituerait pas le délit de contrefaçon et ne présenterait qu'un abus de nom. »>

La publication de mémoires mis sous le nom du duc d'Otrante, a donné lieu à un procès célèbre intenté par ses héritiers, et terminé par l'arrêt suivant de la cour royale de Paris en date du 20 mars 1826 (2): « Considérant, en droit, que le nom des familles est leur propriété exclusive; qu'à chacun de leurs membres seulement appartient le droit d'attacher ce nom à des productions de l'esprit ou de l'art; considérant que l'emploi abusivement fait du nom d'autrui par l'attribution mensongère d'un ouvrage constitue aussi une violation de propriété dont le préjudice ne peut être réparé que par la suppression de cet ouvrage, c'est-à-dire par la décomposition des formes d'impression et la représentation de tous les exemplaires; mais considérant que la condamnation à représenter tous les mémoires imprimés serait illusoire si l'on ne fixait pas en même temps une somme à payer pour chaque exemplaire non représenté; considérant, en fait, que Lerouge a publié, sous le nom du duc d'Otrante, des Mémoires dont il ne justifie pas avoir acquis la propriété, et que les enfans d'Otrante déclarent ne point émaner de leur père.... ordonne que le jugement sera exécuté, mais par les voies ordinaires de droit seulement. » Les premiers juges avaient ordonné l'exécution avec contrainte pár corps.

L'usurpation de nom se confond quelquefois soit avec la (1) Répertoire, CONTREFAÇON, Sx.

¿ (2) Da1loz, 1827, 2,55.

contrefaçon, soit avec l'usurpation de titre. J'ai cité, n. 52, un cas dans lequel l'usurpation du nom de M. Maury, comme éditeur des œuvres du cardinal, son oncle, a été considérée, avec raison, comme un des élémens constitutifs du caractère de contrefaçon qui a été attaché à la reproduction des notes ajoutées à ces œuvres. Un éditeur de musique avait publié une méthode de guitare, dont le titre ne portait qu'en petits caractères le nom du véritable auteur, tandis qu'on y lisait en grosses lettres le nom de Carulli. Il fut condamné par jugement du tribunal de commerce de Paris du 1er avril 1834.

C'est abuser du nom d'un auteur que d'annoncer comme revue, corrigée, ou augmentée par lui une édition qui ne fait que reproduire, sans changemens, son ancien travail. Le docteur Pariset avait vendu au libraire Méquignon-Marvis une traduction des Aphorismes d'Hippocrate. Après l'épui-' sement de deux éditions, et à l'occasion d'une troisième, une contestation s'éleva; et le docteur Pariset, prétendant n'avoir autorisé que deux éditions, vendit sa traduction à un autre libraire. Par jugement du 2 novembre 1832, le tribunal de commerce (1) décida que la première vente, effectuée sans conditions et lorsqu'il était constant, d'après les circonstances de la cause, que le docteur Pariset n'avait nullement l'intention de se réserver un droit de propriété, avait transféré cette propriété à Méquignon-Marvis ; mais que, celui-ci ayant mis à tort, sur le frontispice de la troisième édition, un énoncé qui pouvait faire supposer qu'elle avait été revue et corrigée par le docteur Pariset, ce frontispice devait être changé.

58. La loi, qui protège les écrits de tous genres, étend-elle aussi sa garantie sur les œuvres non écrites; considère-t-elle comme une contrefaçon l'impression d'un discours?

Si l'on s'attache strictement à l'interprétation littérale du texte des lois existantes, cette question peut donner lieu à quelques doutes.

En effet, l'article 1er de la loi du 19 juillet 1793 n'accorde (1) Gaz, des trib. 8 et 29 novembre 1832.

un droit exclusif qu'aux auteurs d'écrits. De plus on peut ajouter que l'expression même de contrefaçon employée par le code pénal suppose deux fabrications, deux façons, dont la seconde contrarie les droits de la première, et que cette qualification n'est point applicable à la première impression d'un discours qui n'a antérieurement été connu qu'oralement. Mais lorsqu'on sort de l'interprétation judaïque de quelques termes équivoques pour s'élever jusqu'à l'esprit de la législation, on reconnaît de suite que l'auteur d'une production orale a seul le droit de la publier par la voie de l'impression. Personne ne songe à élever de doute sur le droit exclusif de l'auteur d'un manuscrit : de même que la pensée écrite et non imprimée, la pensée parlée et non imprimée doit demeurer le privilège de son auteur.

soit

Un orateur doit conserver le privilège de son discours, qu'il l'ait ou non fixé par écrit; un improvisateur doit rester le maître de son improvisation.

Quand même il ne s'agirait que d'une stricte interprétation des textes, on pourrait opposer aux expressions de l'article 1er de la loi de 1793 celles de l'article 3, qui autorise la confiscation de toute édition imprimée ou gravée sans la permission des auteurs.

Quant à l'expression contrefaçon, nous avons déjà fait remarquer, no 4, qu'elle n'a pas été employée par la loi dans les étroites limites de sa signification étymologique. La contrefaçon n'est pas seulement la façon ou fabrication faite contre une façon ou fabrication légitime; elle est une façon faite contre les droits d'auteurs, soit que les auteurs aient imprimé leur ouvrage, soit qu'ils l'aient conservé en manuscrit, soit qu'ils ne l'aient publié qu'oralement.

Mais lorsque, dans ce combat des textes, la signification générale de la loi, sa volonté de protéger toutes les productions de l'intelligence, l'évidence du droit de l'auteur, l'évidence du défaut de droit de tout autre que lui, frappent l'esprit si manifestement, aucune hésitation n'est possible. Nous

pouvons donc poser en principe que si les écrits en tous genres sont objets de privilèges, il en est, à cet égard, des écrits manuscrits comme des écrits imprimés, et des paroles réalisables en écrits comme des écrits eux-mêmes.

Il est des écrits et des discours qui ne sont pas susceptibles de privilèges. Ce sont des exceptions que nous allons examiner.

59–65. Ouvrages d'esprit qui, en eux-mêmes, ne sont jamais objets de privilèges. 59. Les ouvrages qui, par leur destination, n'existent que pour un service public, n'appartiennent pas au domaine privé.

60. Lois et règlemens.

61. Actes officiels.

62. Jugemens et arrêts.

63. Autres applications du même principe.

64. Discours prononcés dans les chambres législatives.

65. Plaidoyers et mémoires.

59. Nous avons insisté jusqu'ici sur la généralité du principe qui étend à tous les genres de productions de l'esprit la garantie assurée aux droits des auteurs. Nous devons examiner maintenant quels ouvrages doivent être exceptés de cette règle générale. Il en est qui, essentiellement destinés au service du public, entrent dans le domaine de tous dès le moment où ils sont mis au jour, et qui ne sont pas susceptibles d'être affectés à un privilège exclusif.

60. Les lois et règlemens ne peuvent tomber dans le domaine ni de certains particuliers, ni du gouvernement, ni même de l'état. Ils n'appartiennent pas exclusivement, et en propre, à l'unité nationale; mais, dévolus au domaine de tous, ils appartiennent, dans leur plénitude, à chacun des plus humbles d'entre les citoyens, aussi bien qu'à l'universalité des citoyens pris collectivement. Obligatoires pour tous et destinés à fournir à tous des garanties, les lois et règlemens, que nul n'est censé ignorer, doivent pouvoir être reproduits sous toutes les formes et à tous les instans; et ils ne sauraient être répandus avec assez de profusion au sein de la société pour la direction de laquelle ils existent.

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