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cours, pris à part, ne peut pas ne pas appartenir au public. Sans doute, dans une telle collection, la personnalité de l'orateur apparaît dans toute sa force; mais c'est pour le service de tous, et pour accomplir un devoir public qu'elle s'est ainsi manifestée. La réimpression de discours qui, par leur destination, appartiennent à la publicité et à la nation toute entière, ne dépouille ni l'orateur, ni ses héritiers, d'aucun fruit de son travail sur lequel, soit lui, soit les siens, aient jamais eu à spéculer. Ce n'a pas été pour tirer un profit pécuniaire de ses travaux d'écrivain que l'orateur a été envoyé à la tribune.

En appliquant ces principes, il ne faut pas se contenter de dire qu'après la mort d'un orateur de nos chambres la collection de ses discours appartiendra au public: il faut aller plus loin, et décider que chacun sera libre, même du vivant d'un orateur, de publier, fût-ce malgré lui, toutes et chacune de ses œuvres de tribune. Il ne peut pas répudier cet hommage, si une conscience pure a constamment dicté ses paroles: il ne peut pas fuir ce supplice, si, changeant de langage non par le progrès d'un esprit qui s'améliore, mais par des motifs honteux, il a déserté ses professions de foi et réfuté à l'avance ses propres paroles. La tribune nationale, et toutes les paroles qui en tombent, appartiennent au public; c'est l'arbre politique de la science du bien et du mal, dont notre constitution veut que chacun puisse librement cueillir les fruits. Tout ce qu'un orateur se permet à la tribune, tout ce qu'il y ose, entre dans le domaine de tous; il n'en peut soustraire ni ses bonnes actions, ni ses écarts, ni ses contradictions dont le contrôle ajoute à la puissance des bonnes paroles et affaiblit le danger des mauvaises. Une action en justice lui appartiendra si on le diffame par des altérations.

Il est évident que ces principes n'ont d'application qu'aux discours prononcés à la tribune, ou imprimés par ordre des chambres. Une opinion publiée en dehors de la tribune demeure dans le domaine privé. Il n'existe pour elle ni le

même genre de publicité, ni influence directe sur les votes, ni irresponsabilité judiciaire.

65. Je pense qu'il en doit être de même des plaidoyers; et quoique la solution de cette question ne soit pas sans difficulté, néanmoins la nécessité de maintenir, dans toute son extension, la publicité judiciaire me porte à croire que les plaidoyers n'appartiennent ni à l'avocat, ni au plaideur, mais au domaine public, comme les jugemens et arrêts dont ils sont la préparation.

En sera-t-il de même des mémoires et consultations distribués dans une cause et non prononcés à l'audience? Je le crois. Le cas n'est pas le même que celui des opinions du pair ou du député non prononcées à la tribune. Ce sont des pièces produites au procès: les juges en ont été saisis ; ils ont eu à statuer sur leur suppression en cas de calomnies ou d'excès hors des limites de la défense.

Par suite des mêmes principes, on pourra réunir et publier les plaidoyers d'un avocat, même malgré lui.

66. Des argumens analogues ont été invoqués pour conférer à toute personne la faculté de publier les leçons publiques des professeurs. Mais ils sont loin d'avoir, en ce cas, la même force; et la jurisprudence a consacré, avec raison selon moi, le privilège exclusif des professeurs sur leurs leçons écrites ou orales.

Nous avons réfuté précédemment, n° 58, l'argument que l'on a voulu tirer de ce que la loi n'aurait protégé que les écrits; et nous avons reconnu que les discours sont objets de privilèges.

Nous n'avons pas à nous occuper des leçons données par les professeurs qui ne reçoivent point un salaire de l'état. Dès le moment où il est prouvé que les discours sont susceptibles de privilèges, il ne reste aucun prétexte pour contester au professeur privé son droit sur la publication de ses leçons.

Il reste un seul argument qui mérite réfutation; c'est celui que l'on tire de la qualité de fonctionnaire public appartenant

au professeur salarié par l'état. Le professeur, dit-on, a été institué pour donner publiquement ses leçons; publier ses leçons, c'est agrandir les limites de son auditoire; c'est étendre l'utilité de sa mission et la gloire de ses travaux. Ses leçons, dont il a reçu le salaire et qui ne sont que l'accomplissement des fonctions dont il a été investi, ne lui appartiennent pas; elles sont acquises, par avance, à l'état qui les paic, au public pour l'utilité duquel la chaire a été ouverte.

La réponse à cette argumentation est facile. Ce que le professeur doit à sa mission et au public, c'est sa leçon: il est quitte envers son devoir lorsqu'il l'a donnée. Un salaire n'était promis qu'à son enseignement et à sa parole: ce qui reste, après cette parole émise, lui demeure propre. Il n'en est pas de la leçon comme du discours qui a préparé une loi, comme du plaidoyer qui a préparé un arrêt; aucune œuvre publique ne s'y vient identifier, et tout l'effet de l'enseignement est accompli lorsque chaque personne admise à l'entendre a emporté avec elle l'impression qu'elle a éprouvée, l'exemple qui lui a été donné, l'instruction qui lui a été communiquée, les notes qu'elle a recueillies. Livrer sans discrétion à tout spé→ culateur la parole du professeur, ce n'est pas seulement exposer sa réputation à la responsabilité des inexactitudes d'un sténographe maladroit, c'est l'empêcher de compléter et de revoir ses travaux, d'élaborer ses premières pensées, de corriger ses improvisations; c'est faire passer en des mains étrangères le fruit de ses veilles.

.. Comme il ne faut rien exagérer, on ne devra pas aller jusqu'à considérer comme contrefaçon le compte rendu dans un journal d'une ou plusieurs leçons; quand même ce compte serait accompagné de longues citations; car il est impossible de ne pas voir là une conséquence nécessaire de la publicité. Cette opinion est conforme à celle de M. Pardessus. (1)

La jurisprudence a consacré le droit des professeurs, ad

(1) Cours de droit commercial, no 165.

mis implicitement par la législation russe, et explicitement par la législation prussienne.

1

La loi russe (1) considère comme contrefacteur quiconque, sans le consentement de l'auteur, ímprime un discours ou toute autre composition prononcée ou lue en public.

La loi prussienne de 1837 (2) répute contrefaçon l'impres→ sion faite sans l'approbation de l'auteur ou de ses ayant-droit de sermons prononcés: ou de cours professés oralement, et écrits par un des auditeurs, soit que la publication ait eu lieu sous le véritable nom de l'auteur, soit qu'elle ait été faite sans son nom.

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Au contraire, une loi anglaise de 1835 (3), tout en garan tissant à l'auteur d'une œuvre oralement émise un droit exclusif, excepte formellement de ce bénéfice les œuvres oralement émises dans une université, une école ou un collège public, ou dans une fondation' publique ; ou par des person nes qui y seraient obligées en vertu d'une donation, vente ou fondation.

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La cour royale de Paris a été appelée à statuer sur cette question. Elle avait en même temps à juger si, lorsqu'un cours oral est la reproduction d'un ouvrage précédemment publié par le professeur, l'éditeur du cours oral sténographié pouvait être poursuivi comme contrefacteur par l'éditeur de l'ouvrage ainsi reproduit. Gette question a été, et a dû être, affirmativement résolue. T

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Voici l'arrêt, qui est à la date du 27 août 1828 (4):

« Considérant que les leçons publiées par Grosselin sont la reproduction de l'ouvrage vendu par Pouillet à Béchet sous le titre d'Élémens de physique, publié et déposé par ce li braire; qu'elles présentent les mêmes divisions, le même orlady a opise * p 16"

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dre de matières, les mêmes démonstrations, les mêmes systèmes et leurs développemens; qu'il y a analogie dans les élémens, et même ordre dans l'exécution...;

<< Considérant, sur les leçons non imprimées du cours de Pouillet, que sans doute un professeur doit à ses élèves, dans son cours, le tribut de ses études, de ses travaux, de ses méditations, mais qu'il ne les leur doit que pour leur instruction personnelle et non pour qu'ils puissent s'en emparer et les publier en corps d'ouvrage pour en recueillir le bénéfice pécuniaire; que ces leçons, envisagées sous cet aspect, sont la propriété du professeur, le fruit de ses veilles, de ses re-, cherches, de ses réflexions, de son génie, et que nul n'a le droit de s'en emparer et de les publier contre sa volonté ; que vainement on excipe de l'article 6 de la loi du 19 juillet 1793 pour faire déclarer Pouillet non recevable dans son action parce qu'il n'a pas fait le dépôt de ses leçons, puisque cet article ne s'applique qu'aux ouvrages imprimés et gravés; que ces leçons ne sont point encore imprimées, et qu'il est impossible de faire le dépôt de paroles et de pensées; que ces leçons, ces pensées n'en sont pas moins la propriété de Pouillet seul, et que, selon les dispositions qui nous régissent, les auteurs sont propriétaires exclusifs de leurs ouvrages, et qu'aucune édition ne peut en être donnée au public sans leur consentement; que ce motif acquiert encore un nouveau degré d'énergie lorsqu'on l'applique aux ouvrages dramatiques non imprimés, aux discours improvisés et à ces compositions oratoires consacrées à des occasions solennelles, et dont nul ne peut s'emparer au préjudice de leurs auteurs; que ce principe qui, se reproduit, et dans le code pénal art. 425, et dans le décret du 5 février 1810 art. 41, et dans la loi de 1793 art. 1, 3 et 7, ne peut être restreint par une exception posée seulement, pour les ouvrages imprimés et gravés, exception qui, sortie du cercle tracé par le législateur, conduirait à l'in justice et à la violation du droit sacré de propriété... Condamne par corps Grosselin à payer à Béchet la somme de 1000

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