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chef de leur père une moitié du privilège dont la veuve aurait l'autre moitié, et que vingt ans leur fussent en outre accordés, ce serait leur donner double part; si la jouissance qu'on leur attribuerait sur la moitié du privilège devait être imputée sur leur période vicennale, ils n'auraient pas ce que la loi leur a donné; puisqu'elle leur confère vingt années d'un privilège complet et non d'une fraction de privilège.

M. Duranton tranche ces difficultés de la manière suivante : « La femme, dit-il, ne pourrait prétendre qu'elle a seule droit aux éditions à faire après la mort du mari, et pendant sa vie, à l'exclusion des enfans ou autres héritiers du mari; elle n'y aurait que les droits de femme commune, c'està-dire pour moitié, pour le temps qui est attribué aux enfans ou autres héritiers; en d'autres termes, le droit lui serait commun pendant vingt ans avec les enfans, et pendant dix ans avec les autres héritiers du mari. Mais, passé ce temps, il lui demeurerait en totalité jusqu'à la mort, pour recommencer dans la personne des enfans, et durer vingt ans depuis cette époque. >> Cette solution est inconciliable avec le texte du décret qui, en étendant à vingt années le privilège des enfans, borne leur droit à ces vingt années.

Plus on multipliera les hypothèses, plus on verra que tout serait injustice et chaos si le privilège était partageable.

Que l'on n'espère pas échapper à ces inconvéniens en concentrant le privilège entier dans une seule main par l'évènement d'un partage ou d'une licitation. Toujours faudrait-il déterminer la part pour laquelle les droits de chacun figureraient dans la liquidation, et là se retrouve la difficulté tout entière. En outre, on ne saurait perdre de vue que le public est intéressé à connaître quelles personnes sont légalement appelées au privilège, puisque l'existence et la durée de ce droit, et l'époque de son expiration au profit du domaine public, se règlent, non en considération des conventions particulières qui en auront fait passer, en telles ou telles mains,

l'exercice et les produits, mais suivant l'ordre de vocation de la loi.

Etre conduit par ces résultats jusqu'à nier, avec MM. Toullier et Pardessus, le caractère mobilier du privilège, afin de ne pas l'exposer à figurer dans la communauté au même titre et avec les mêmes conséquences qué les autres biens mobie liers, c'est fausser les principes sur la distinction des biens, pour éluder une difficulté. Décider, avec M. Duranton, que le privilège, parce qu'il est mobilier, est un bien partageable comme tous les biens de communauté, c'est bouleverser la législation spéciale.

Ce qu'il faut dire, c'est que le privilège, quoique droit mo bilier, ne peut pas, comme les biens de communauté, être partagé entre les époux lorsque la communauté se dissout. Sa nature particulière, et les dispositions de la loi en vertu desquelles il existe s'y opposent. La loi de 1793 déclare en termes formels que les auteurs, pendant leur vie entières jouissent d'un droit exclusif. Ce droit, donc, conformément à la loi qui le créé et le constitue, s'attache à la personne de l'auteur, chez lequel cette qualité n'est point effacée par là qualité d'époux. Tant que l'auteur vivra, son existence aura pour conséquence l'existence du privilège. L'exploitation du privilège produira des valeurs qui suivront les conditions ordinaires des biens de communauté; mais le droit constitutif de l'essence du privilège, le droit d'exploiter, demeurera l'attribution légale, exclusive et nécessaire de l'auteur en faveur auquel il a été créé et garanti, ou des personnes que l'auteur aurait jugé à propos de substituer en sa place par une ces sion qui, elle-même, serait un mode d'exercice de son droit.

De même que, durant la vie des auteurs, le privilège est constitué à leur profit par un établissement particulier de la loi, de même, après leur durée, lorsqu'il est dévolu à leurs veuves, il appartient à celles-ci, par la volonté de la loi, tout entier et pour toute leur vie. C'est un bien qui, eu égard à sa

nature, est soumis, par des lois spéciales, à un mode spécial de transmission.

130. La loi s'étant contentée de conférer le privilège à la veuve pour toute sa vie, si ses conventions matrimoniales lui en donnent droit, que décider, en l'absence de convention spéciale, si les époux, au lieu de se marier sous le régime dotal, ou avec séparation de biens, ou avec la clause qui exclut de la communauté le mobilier, se sont placés, au contraire, sous le régime de la communauté?

Refuser tout droît à la femme, lorsqu'elle a droit à une moitié sur les biens mobiliers, c'est la priver de cette moitié que les lois générales lui accordént; lui accorder le privilège entier, c'est lui donner en totalité un bien dont les lois générafes ne lui conféreraient que la moitié.

Et cependant, nous l'avons démontre, ce bien est impartageable entre la veuve ét, soit les enfans, soit les héritiers, par une conséquence forcée de la diversité de conditions faité par la foi aux divers successeurs de l'auteur; en sorte qu'on est obligé de reconnaître à la femme ou plus de droits, ou moins de droits qu'elle n'aurait à en attendre de la légisfation générale. 199

**Une pareille incertitude accuse la loi elle-même qui, par une facheuse lacune, se tait là où elle devait parler.

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Je crois qu'il est équitable d'interpréter ce silence en faveur de la femme; et de lui accorder le privilège, toutes les fois qu'il ne lui est pas dénié par les conventions matrimoniales; et, par exemple, lorsque, sans stipulation spéciale, il y a communauté entre les époux.? Lars Mi

C'est se conformer à l'esprit du régime de la communauté'; Car pourquoi la communauté existe-t-elle, si ce n'est pour associer à un même sort la fortune du mari et celle de la femme; pour les confondre comme en une seule personne en les faisant entrer en partage des bonnes et des mauvaises chances de la vie; pour identifier leurs intérêts et leurs espérances, en leur présentant un égal avenir, dû au concours de

leurs efforts; pour exciter enfin chacun des deux à travailler

pour tous les deux ?

C'est se conformer à l'esprit du décret de 1810; car ce qu'il a voulu a été d'améliorer la condition des veuves; de ne pas

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leur ôter, sur leurs vieux jours, et à l'âge des besoins, le fruit des travaux de leur époux; de remettre à la veuve la portion la plus délicate de l'héritage du mari, celle qui intéresse la mémoire de l'homme dont elle porte le nom.

Telle est aussi l'opinion de M. Parant (1). Il pense qu'une stipulation expresse dans le contrat de mariage n'est pas nécessaire pour conférer des droits à la veuve, et qu'il suffit à celle-ci que son contrat ne soit pas exclusif, en général de la communauté, ou spécialement du droit de co-propriété sur les ouvrages. Il s'appuie de renseignemens qui lui ont été fournis personnellement par M. Locré, et desquels il résulterait que l'intention des rédacteurs du décret aurait été de se borner à exclure la femme lorsque le régime sous lequel elle est mariée ne lui permet de rien prétendre sur les biens acquis par son mari. « La veuve, ajoute M. Parant, n'avait aucun titre à réclamer une portion de la propriété si elle n'était commune, et les auteurs du décret ne devaient pas songer à lui attribuer des droits; mais si elle était commune en biens, et si le contrat de mariage ne contenait aucune réserve quant à la propriété littéraire, la conséquence pour elle était le droit de prendre part à cette propriété qui n'est autre chose qu'un meuble; on ne pouvait le lui contester. Il ne restait plus qu'à déterminer cette part; c'est ce qu'a fait le décret en accordant à la veuve l'usage de la propriété pendant sa survivance. >>

131. Les droits au privilège que la femme tient de son contrat de mariage ou de son état de communauté s'anéantissent par la renonciation à la communauté et par l'annulation

(1) Lois de la presse. Supplément, p. 458.

du contrat, ou des avantages qu'il contient au profit de la femme.

132. Lorsque le privilège est refusé à la femme, soit par ses conventions matrimoniales, soit par l'effet de leur annulation, soit par sa renonciation à la communauté, elle peut néanmoins s'en trouver investie à autre titre, par vente, donation ou testament, à titre de créance, enfin par tout acte valable; mais alors elle n'a plus les droits de veuve, tels qu'ils se trouvent réglés par le décret de 1810; elle n'a plus la jouissance viagère du privilège; elle y est appelée, ainsi que le serait tout autre ayant-cause, pour vingt ans si l'auteur a laissé des enfans, pour dix ans s'il n'en a pas laissé.

133. Le droit que la veuve tient du décret de 1810 lui étant conféré viagèrement, à titre purement personnel, elle ne le transmet pas à ses héritiers; elle n'en jouit en quelque sorte que comme usufruitière, et ce privilège ne repose entre ses mains qu'à la charge par elle de le rendre aux enfans de l'auteur pour vingt ans, et, s'il n'y a pas d'enfans, aux héritiers de l'auteur pour ce qui, au décès de la veuve, pourra rester de la période décennale écoulée depuis la mort de l'auteur. Les motifs qui font décider que le privilège ne fera pas partie de l'hérédité de la veuve doivent faire penser également qu'elle n'est pas maîtresse de l'aliéner pour le temps postérieur à son décès. Elle prendrait au-delà de sa part légale si, disposant du privilège pour l'époque où elle n'existera plus, elle escomptait ainsi, à son profit personnel, la période de jouissance que la loi destine à d'autres; nos 122, 123, 142. (1)

Il ne faut pas, néanmoins, interprétant ce qui précède dans un sens trop absolu, dispenser ceux qui seront appelés au privilège après la veuve de respecter les traités passés par elle de bonne foi. Si, par exemple, la veuve avait vendu à un libraire le droit de faire une édition, les successeurs au pri

(1) Cette opinion est soutenue par M. Pardessus. Cours de droit commercial, no 311.

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