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d'une foule de cas analogues par une circonstance que les jugemens et arrêts n'ont pas relevée et qui a pu influer sur la décision. La Géographie de Malte-Brun se recommandait par la réputation d'une véritable valeur littéraire; la Biographie Universelle, spéculation importante, comptait, parmi ses nombreux rédacteurs, beaucoup d'hommes qui l'enrichissaient de graves et consciencieux travaux: on a pu croire qu'à de plus habiles emprunteurs on pouvait passer de plus larges emprunts; on a pu avoir égard à la valeur que leur travail personnel ajoutait à leurs emprunts mêmes; plus on a fait cas de l'ouvrage, et plus on s'est laissé aller à penser qu'il s'était aidé de ses devanciers plutôt pour mieux faire intellectuellement que pour leur susciter une concurrence commerciale.

L'étendue du plagiat, son degré de servilité, la nature et l'étendue de l'ouvrage copié, son plus ou moins d'originalité, les chances de concurrence mercantile, toutes ces circonstances entreront dans l'appréciation du fait. Il est telle servilité de copiste qui écarte toute supposition d'appropriation intellectuelle pour laisser voir à nu la spéculation à coup de ciseaux, et plus d'une fois la reproduction matérielle de pures erreurs typographiques a fourni de curieuses preuves à cet égard. Il importe, dans la pratique, de toujours donner une attention particulière à la constatation de ce dernier point, qui manque rarement d'exercer, sur la décision du fait, une grande influence. Ces sortes de cas sont habituellement appréciés par les tribunaux avec une juste sévérité.

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Dans les journaux et au théâtre, l'usage a laissé prendre au plagiat de grandes libertés qui, en toute autre matière, seraient appelées des contrefaçons. Les tribunaux les ont quelquefois arrêtées. Nous en rapporterons ultérieurement quelques exemples en ce qui concerne les journaux. Les plagiats dramatiques ne sont habituellement pas réprimés; et il faut dire qu'ils ne sont même pas poursuivis. Voici un exemple d'une condamnation, mais qui est intervenue dans des circonstan

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ces toutes spéciales où il s'agissait d'un plagiat fait par un auteur sur lui-même. M. Carmouche, auteur du vaudeville la Servante justifiée, après avoir fait représenter cet ouvrage sur le théâtre de la Porte-Saint-Martin et l'avoir vendu au libraire Quoy, avait voulu le transporter au théâtre des Variétés. Le théâtre de la Porte-Saint-Martin n'ayant pas donné son consentement, l'auteur composa pour les Variétés une autre pièce, sous le même titre, qui ne différait de la première que par quelques détails et par le changement des couplets. Sur la plainte de M. Quoy, la pièce prétendue nouvelle fut condamnée comme contrefaçon par jugement du tribunal correctionnel de la Seine du 15 novembre 1822, confirmé par arrêt de la cour royale de Paris du 19 mars 1823. (1)

Qu'arriverait-il au cas où les tribunaux seraient appelés à apprécier si des contrefaçons résultent de ces nombreux emprunts qui transportent immédiatement sur plusieurs théâtres le sujet, le titre, les données principales de la pièce qui a réussi sur l'un d'eux; que diraient-ils de ces imitations serviles qui s'emparent de tout roman, de tout conte, de toute nouvelle, de tout proverbe auxquels advient un moment de vogue ? J'ai peine à croire que, parmi la multitude de faits de ce genre dont le public est journellement le témoin, et qui fanent tant de succès, plusieurs n'eussent été réprimés par des condamnations.

Toutes ces appréciations de faits étant entièrement abandonnées à l'arbitrage des magistrats, c'est à leur sagesse à tenir la balance entre les droits privilégiés réservés aux auteurs comme légitime rémunération de leur travail, et la nécessité d'une suffisante latitude dans l'échange des idées entre les hommes.

13. Le droit de publier l'abrégé d'un livre de domaine privé n'appartient-il qu'au propriétaire du privilège ?

Je n'hésite pas à penser qu'en termes généraux, et pour

(1) Vulpian et Gauthier, p. 167.

la plupart des cas, cette question doit être résolue affirmati

vement.

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Si le texte même de l'auteur est emprunté par l'abbréviateur, si son plan, ses idées, ses argumens, son récit, se trouvent exactement reproduits, ce sera une contrefaçon partielle identique...

On a été quelquefois jusqu'à se permettre de prendre avec l'addition des mots abrégé, résume, le titre même de l'ouvrage avec le nom de son auteur. Ainsi l'on a publié: abrégé de l'histoire de*** par ***; resume des mémoires de***. Cette circonstance aggrave la contrefaçon,

Qui ne comprend en effet que publier un abrégé de l'ouvrage d'autrui, c'est attenter doublement aux droits de l'auteur? c'est, en premier lieu, engager la responsabilité de l'auteur, presque au même degré que pourrait le faire une publication de l'œuvre originale; c'est ensuite employer à une spéculation pécuniaire une chose placée dans le domaine d'autrui; c'est faire servir les travaux d'un auteur à élever contre lui une concurrence commerciale, qui presque toujours sera des plus dangereuses, car l'abrégé pourra diminuer ou paralyser le débit de l'œuvre originale en se mettant, sous une moindre étendue et moyennant un moindre prix, à la portée d'un nombre plus grand de lecteurs et d'acheteurs; c'est enfin faire obstacle à l'exercice du droit qui appartient au légitime propriétaire de donner lui-même au public son ouvrage sous une forme ainsi réduite.

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... Mais les termes de la question cessent d'être aussi simples lorsque l'abrégé n'est plus une contrefaçon partielle identique; et alors apparaissent toutes les difficultés de distinction entre la contrefaçon déguisée et le plagiat. C'est ce qui arrive si le titre de l'ouvrage a été changé, si l'abrégé ne se rapporte plus de tous points à la même matière, si la rédaction a subi des modifications notables, si certaines parties, certains passages, provenant de l'abbréviateur lui-même, ou empruntés ailleurs par lui, se joignent et se mêlent à l'abbréviation de

l'ouvrage principal. Ces divers cas, dont les combinaisons varient à l'infini, se résolvent alors en pures appréciations de faits, et la question se réduit à une option à faire entre la qualification de contrefaçon et celle de plagiat.

Napoléon, à Sainte-Hélène, a dicté des Mémoires dignes du génie de leur auteur, et qui ont été publiés en France, par les généraux Montholon et Gourgaud. D'autres ouvrages, aų premier rang desquels se place le Mémorial de Las-Cases, ont aussi publié les récits et les paroles du grand homme qui, dans la haute intelligence de sa gloire, voulut que sa capti vité lui servit à expliquer et à justifier sa vie auprès des contemporains et de la postérité. M. Léonard Gallois, compilant et abrégeant ces matériaux, a publié une Histoire de Napoleon en un volume, et a déclaré, dans sa préface, n'avoir compris dans ce livre rien qui n'ait été dicté, corrigé, expliqué, commenté par Napoléon, ou recueilli de sa bouche. Les éditeurs des mémoires de MM. Montholon et Gourgaud, ouvrages qui, plus que tous les autres, avaient été mis à contribution, ont intenté à M, Gallois et à son libraire, un procès en contrefaçon. Ils ont succombé devant le tribunal correctionnel de la Seine. Un appel avait été interjeté, mais n'a pas été suivi, Voici le jugement, en date du 4 janvier 1826, rendu contre ma plaidoirie. Je réclamais une appréciation des faits plus sévère,

« Attendu que l'ouvrage publié par Léonard Gallois et Bé chet, ayant pour titre Histoire de Napoléon d'après lui même, ne présente pas les caractères d'une contrefaçon de l'ouvrage publié par les frères Bossange; qu'en effet non-seu→ lement il ne reproduit ni la totalité de cet ouvrage, ni des portions distinctes assez importantes pour constituer la contrefaçon, mais encore qu'un grand nombre de passages sont extraits d'autres ouvrages publiés sur le même objet; le tribunal renvoie Léonard Gallois et Béchet de la plainte en contrefaçon dirigée contre eux. » (1)

(1) Gazette des tribunaux, 31 décembre 18a5 et 5 janvier 1836.

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14. Il paraît que la jurisprudence anglaise, après avoir montré long-temps une tolérance extrême en faveur des abrégés, a fini par s'arrêter à la règle qui fait dépendre, en cette matière, la question de contrefaçon par des abrégés, de l'appréciation des faits. Je vais citer plusieurs passages de Godson à ce sujet; on y trouvera des assertions qui pourront paraître contradictoires. Je suis loin de contester qu'un abrégé puisse être un ouvrage d'esprit susceptible de privilège, et moi-même j'établirai cette opinion dans le chapitre suivant; mais je crois que Godson sacrifie beaucoup trop les droits de l'auteur original, et qu'il a tort surtout de faire aussi bon marché du préjudice que la concurrence des abrégés lui cause. Je crois aussi que les juges Apsley et Blackstone se sont arrêtés à une raison erronée de décider lorsqu'ils ont pensé qu'il y a lieu d'absoudre du reproche de contrefaçon l'auteur d'un abrégé, s'il y a supériorité de l'abrégé sur l'original. L'opinion de lord Hardwicke, et la jurisprudence contre les encyclopédies, qui sont d'une époque plus récente que les décisions contraires, me semblent plus conformes aux vrais principes. Quant à l'abrégé d'un conte de Johnson, la décision ne paraît avoir été fondée que sur le peu d'importance relative des passages copiés. Quoi qu'il en soit, voici comment s'exprime Godson: (1)

<< Plusieurs ouvrages de prix sont tellement volumineux que des abrégés en sont très utiles. Pour faire ces abrégés, il faut un certain jugement et du travail; dès-lors, les auteurs de ces productions doivent certainement être encouragés. En général, un abrégé tend à l'avantage de l'auteur, si la composition de celui-ci est bonne; et peut lui servir d'annonce. Il n'y a pas lieu de rechercher si la manière dont l'abrégé est fait, cause préjudice à l'ouvrage original.

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«<< On refusa une injonction demandée pour empêcher la publication, dans un recueil, d'un abrégé d'un conte de Ras

(1) Ch. II, § 3.

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