Images de page
PDF
ePub

selas, par Johnson. De l'instruction, il résultait que l'analyse ne portait pas même sur un dixième du premier volume, et que le tort dont l'auteur se plaignait provenait dè ce que l'abrégé contenait la partie narrative du conte avec suppression des réflexions morales.

« Une cour de droit coutumier protégea un abrégé des voyages du docteur Hawkesworth. Une injonction était sollicitée contre Newberry, éditeur de cet abrégé. M. Apsley fut d'avis qu'à proprement parler, il ne peut exister de véritable abrégé d'un ouvrage qu'autant que l'on conserve le sens de l'ensemble: alors, le fait de l'abrégé est un acte de l'intelligence employé à réduire dans un espace plus restreint un ouvrage étendu, à le procurer à meilleur marché et sous une forme plus commode pour le temps et l'usage du lecteur. Telles sont les qualités d'un abrégé considéré comme ouvrage nouveau et digne de ce nom. C'est ce qui se rencontre dans l'ouvrage de Newberry, lequel peut se lire en quatre fois moins de temps, qui conserve tout le fond de l'original, qui est rendu dans un style aussi bon ou même meilleur, et dans une forme plus agréable et plus utile. M. Apsley dit avoir consulté M. le juge Blackstone, homme universellement estimé pour son savoir et son expérience dans sa profession, et qui, comme auteur lui-même, a fait honneur à son pays; qu'ils avaient passé plusieurs heures ensemble, et qu'ils étaient tombés, d'accord qu'un abrégé, où l'on avait employé son intelligence à retrancher les circonstances inutiles et sans intérêt qui ne faisaient que ralentir le récit, n'est point un plagiat commis sur l'ouvrage original, ni sur la propriété de l'auteur; que c'est au contraire un ouvrage estimable et digne de ce nom; que ces motifs et observations sont favorables à l'ouvrage de Newberry. Le bill fut rejeté. >>

Godson cite ensuite un autre cas dans lequel une injonction fut accordée parce qu'il y avait copie textuelle de plusieurs passages. Lord Hardwicke déclara que la question de contrefaçon résultant d'un abrégé, était un cas à examiner

plutôt dans une cour d'équité que dans une cour de droit, à raison de la nécessité de comparer les deux livres.

Godson dit ailleurs (1): « On pensait autrefois que la substance de tout ouvrage pouvait être publiée dans un dictionnaire de sciences, parce que ce dictionnaire ne pouvait pas nuire à la vente de l'original; parce que personne ne voudrait acheter un ouvrage volumineux au lieu d'un petit volume; et dès-lors, disait-on, il ne pouvait y avoir, dans ce cas, aucune intention de piller. Il a été démontré jusqu'à quel point poùvaient s'étendre les citations, et qu'il y avait nécessairement intention de piller lorsque l'on prenait des passages considérables d'un ouvrage. La cour décida qu'il y avait contrefaçon dans une affaire où il fut établi que, sur 118 pages d'un ouvrage, 75 avaient été transcrites dans une encyclopédie. Une compilation peut n'être pas semblable à un traité spécial publié, mais il doit y avoir des bornes fixées pour les extraits. Il ne doit pas être permis de faire raffle sur tous les ouvrages modernes; car alors une encyclopédie détruirait complètement toute propriété littéraire. »

1.15. M. Nodier (2) dit que les dictionnaires sont en général des plagiats par ordre alphabétique. Il remarque avec raison que toute la partie positive, celle des définitions, des dates et des faits, passe nécessairement du dernier venu à son successeur; et, comme cette partie est celle qui exige une industrie vraiment laborieuse, il voudrait qu'elle occupât seule le jugement du public dans une contestation entre lexicographes.

(1) Ch. II, § 1.

(2) Questions de littérature légale, p. 37 à 40. Cet ouvrage a pour second titre : Du plagiat, de la supposition d'auteurs, des supercheries qui ont rapport aux livres. Il contient un grand nombre de faits curieux. On serait trompé par son titre si l'on y cherchait la solution légale des questions que les supercheries littéraires font naître. Le seul tribunal pour la juridiction duquel l'auteur ait prétendu écrire est celui de la critique et de la morale littéraires, dont il lui appartenait, à très bon droit, de faire connaître les lois et de formuler les arrêts. Voy. t. 1er, p. 15.

Mais, ajoute-t-il, le public a peu d'égard au travail assidu d'un utile compilateur, et se laisse charmer par un tour élégant et nouveau qui n'a d'autre mérite réel que d'habiller à la moderne des richesses anciennement explorées. Puis il cite l'exemple de Bayle qui n'avait d'abord entrepris son dictionnaire que comme une critique de Moréri: «< Tant, dit M. Nodier, il était plus honorable, en ce temps, de discuter de livre à livre avec un écrivain médiocre, que de ruiner son entreprise par une spéculation mercantile.»-« C'est une question toute particulière, dit-il plus loin, de savoir s'il est permis à l'éditeur d'un ouvrage quelconque de s'enrichir des travaux d'un émule dont il détruit du même coup la propriété, fût-ce à l'avantage des sciences; question qui me semble moins du ressort de la critique littéraire que de celui de la conscience morale. »

J'irai au-delà de cette critique, que j'appellerais volontiers extrà-judiciaire ; et je n'hésite pas à dire que la destruction d'une ancienne propriété par un ouvrage même meilleur qui tue celui à qui il emprunte est une contrefaçon que les tribunaux doivent atteindre, si les emprunts sont assez considérables pour que la vie du premier ouvrage ait passé dans le second.

Mais, pour qu'il y ait contrefaçon, il faut que l'ouvrage pillé soit lui-même de domaine privé; et cette condition met habituellement à l'abri de la répression judiciaire les auteurs de dictionnaires et de biographies, voire même les auteurs d'encyclopédies, surtout quant à cette partie de l'œuvre què M. Nodier appelle la partie principale, et qui en est comme la charpente et la substance. On peut, sans témérité, affirmer à l'avance de toutes compilations de ce genre, que cette partie positive et technique est celle qui est le plus largement et avec le moins de scrupules copiée dans les devanciers; or il suit de là que, le caractère d'originalité manquant aux ouvrages contrefaits, les contrefacteurs des copistes se défendent valablement en fournissant la preuve qu'ils se sont emparés de travaux déjà tombés dans le domaine public.

L'emprunt des formes extérieures du langage, l'usurpation du vêtement nouveau qui habille de vieilles pensées, pourront n'être que secondaires aux yeux de la critique, mais auront une importance réelle pour les tribunaux en leur rendant visible la preuve du larcin.

Parmi les emprunts de formes extérieures, l'un des plus dangereux pour ce genre de compilations est l'emprunt du titre. Il aggrave notablement le préjudice causé par les plagiats partiels; car il donne le change au public, et jette la confusion entre l'ouvrage contrefaisant et l'ouvrage contrefait. Cette circonstance a été avec raison considérée comme fort importante dans l'affaire relative à la contrefaçon du Dictionnaire de l'Académie, ainsi que nous le verrons au chapitre suivant.

16. Le propriétaire du privilège a-t-il seul le droit de publier une traduction de son ouvrage, ou d'autoriser une telle publication; en d'autres termes, est-ce contrefaire un ouvrage du domaine privé que de le traduire?

Cette question n'est pas de celles qui, par leur nature, doivent être abandonnées à l'appréciation des juges. Elle est par elle-même assez précise et assez générale tout à-la-fois pour ne pas varier avec les circonstances particulières à chaque espèce. Le silence de nos lois sur ce point est une lacune véritable.

Plusieurs législations étrangères se sont occupées de régler cette matière.

L'arrêté du 23 septembre 1814 pour la Belgique (1) s'exprime ainsi, article 12 : « Il est défendu de publier la tra«<duction d'un ouvrage sur lequel l'auteur ou ses héritiers « exercent encore leur droit de propriété, à moins qu'ils << n'en donnent leur consentement par écrit, ou que l'ouvrage << traduit ne soit parvenu à la seconde édition. » La restriction contenue dans ces derniers mots ne se retrouve pas dans la

(1) Voy. tom. Ier, p. 248.

loi du 25 janvier 1817 (1) qui a été rendue pour tout le royaume des Pays-Bas, et qui, sans s'expliquer aussi clairement que l'article précité, n'accorde cependant droit de copie aux traducteurs que pour les traductions d'ouvrages originairement publiés en pays étranger.

La loi russe (2) statue ainsi : « Il est permis de publier << des traductions, dans une langue quelconque, d'un ouvrage « réimprimé en Russie, mais sans adjonction du texte origi<«<< nal. Les auteurs d'ouvrages pour lesquels il a fallu faire des << recherches scientifiques spéciales jouissent du droit exclu«<sif de les faire publier en Russie dans d'autres langues; << mais ils sont tenus de l'annoncer lors de l'apparition de l'ou« vrage original, et de publier leur traduction dans l'espace << de deux ans à partir du jour où la censure aura délivré le << permis de vente. Faute d'avoir rempli ces conditions, il sera << libre à chacun de publier la traduction de cet ouvrage. >>

La loi prussienne de 1837 contient § 4 des dispositions analogues (3): «Ne sont point considérées comme contrefaçons... << 3o la publication des traductions d'ouvrages déjà imprimés. << Par exception, cependant, les traductions sont assimilées << à la contrefaçon dans les cas suivans: a. Lorsqu'il a été << publié, sans la permission de l'auteur, une traduction alle<< mande d'un ouvrage que celui-ci avait publié dans un lan« gue morte; —b. Lorsque l'auteur d'un ouvrage l'a fait pa<< raître simultanément en plusieurs langues vivantes et que, << sans son approbation, il se publie une traduction du même << ouvrage en l'une des langues dans lesquelles il a paru ori<<<< ginairement. Si l'auteur d'un ouvrage a déclaré sur le titre << de la première édition qu'il se propose de publier une tra<< duction dans une langue désignée par lui, cette traduction << sera considérée comme ayant été publiée conjointement

(1) Voy. tom. Ior, p. 249.

(2) Ibid. P. 288.

(3) Ibid. p. 269.

« PrécédentContinuer »