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vent être considérés commes des éditions contrefaites, imprimées ou gravées en entier dans le sens de l'article 425 du code pénal; attendu que cette spéculation, de la part de Fay, cause d'autant moins de préjudice à Pollet, éditeur du vaudeville dont il s'agit, que l'usage pour les théâtres de province, comme pour ceux de la capitale, a toujours été de faire extraire à la main, ou par le mode autographe, les rôles destinés aux différens acteurs, sans qu'on ait imaginé d'incriminer ce procédé sous le prétexte de contrefaçon, ou de prétendre que, dans l'intérêt des éditeurs des pièces, chaque acteur soit obligé de se pourvoir d'un exemplaire complet et imprimé; attendu que les copies des partitions de la musique manuscrites ou autographiées peuvent, bien moins encore, être réputées contrefaites au préjudice de Jouve, Frey, Janet et Cotelle et de la veuve Leduc, prétendus éditeurs de la musique des opéras ou autres ouvrages qui paraissent servir de modèle à la musique appliquée aux paroles chantées dans le Mariage de raison, airs incomplètement imités; que si le système de ces éditeurs était admis, les acteurs chargés des différens rôles seraient obligés, pour chanter un air de vaudeville, d'acheter les partitions gravées des opéras ou autres ouvrages dont quelques airs auraient en tout ou en partie été adaptés à ces vaudevilles, ce qui n'est pas raisonnable: par tous ces motifs, le tribunal renvoie Fay de la plainte, ordonne la main levée de la saisie, la restitution des objets saisis, et condamne les parties civiles aux dépens. >>

Ce jugement portait évidemment beaucoup trop loin la tolérance sur les copies à la main faites dans des vues de spéculation commerciale, et consacrait une double erreur en déniant dans tous les cas à toute copie manuscrite le caractère de contrefaçon et en ne considérant l'autographie que comme manuscrit; il a été réformé, et suivant moi avec raison, par la cour royale de Paris, le 29 juin 1827.

<<< Considérant qu'il résulte de l'instruction et des débats que Etienne Fay a, dans le cours de 1827, imprimé, au moyen de

l'autographie, tous les rôles séparés de l'ouvrage dramatique ayant pour titre Mariage de raison; que la réunion de ces rôles présente l'ouvrage entier; que, quel que soit le mode d'impression employé par Fay pour la reproduction en tout ou en partie de l'ouvrage dont il s'agit, le fait lui-même n'en constitue pas moins une véritable contrefaçon, qui a pu causer et a causé à Pollet, libraire éditeur, propriétaire dudit ouvrage, un préjudice plus ou moins considérable; considérant qu'il résulte pareillement de l'instruction et des débats, qu'à la même époque ledit Fay a imprimé, au moyen de l'autographie, divers cahiers de musique, format in-4°, ayant pour titre Mariage de raison, chant; que ces cahiers renferment, outre les paroles des couplets de l'ouvrage dramatique dont il s'agit, la musique de différens airs dont la propriété appartient, savoir. ...; considérant qu'en reproduisant ainsi, à l'aide d'un procédé quelconque d'impression, les œuvres musicales sus-énoncées, sans l'autorisation des éditeurs propriétaires, Fay a commis au préjudice des éditeurs propriétaires le délit de contrefaçon prévu par l'art. 425 du code pénal; par ces motifs, la cour déclare Etienne Fay coupable du délit de contrefaçon; le condamne à 100 francs d'amende; 200 francs de dommages et intérêts; déclare bonne et valable la saisie des exemplaires contrefaits, ordonne qu'il demeureront confisqués au profit des parties civiles..... >>

La même cour royale s'est montrée plus indulgente, et, suivant moi, trop indulgente, dans une espèce qui n'est pas sans analogie avec celle qui vient d'être citée, et qui offrait à juger des faits de fabrication d'un ouvrage de domaine privé qui n'ont point été réputés contrefaçon. Il s'agissait du Traite' d'escrime par le capitaine Muller, ouvrage qui a donné lieu à plusieurs procès et à deux arrêts de la cour de cassation.

Le gouverneur de l'École militaire de Saint-Cyr avait fait faire de cet ouvrage, pour l'usage des élèves de l'École, des extraits à la main, qui avaient même été lithographiés. Il fut allégué, dans les débats du procès, que ces extraits étaient

vendus aux élèves au prix de 1 fr. 25 c. par exemplaire; cette circonstance, qui était de nature à influer sur la décision, n'est point discutée dans le jugement; mais l'arrêt de la cour royale semble reconnaîre le fait de cette vente aux élèves. (1)

Le jugement rendu par le tribunal civil de la Seine, le 30 août 1827, est ainsi conçu : « Attendu qu'en admettant que les théories contenues dans l'ouvrage du capitaine Muller soient tout entières de son invention, et qu'en admettant aussi que le cahier rédigé par le comte de Durfort soit extrait de l'ouvrage dont il s'agit, il serait toujours constant que ce cahier n'en est point la reproduction textuelle et littérale, et qu'il ne peut même, sous aucun rapport, être considéré comme une contrefaçon destinée à tromper le public; qu'à la vérité ce cahier était lithographié comme le sont les divers cours de l'école de Saint-Cyr; mais que ce cahier n'était destiné qu'aux élèves de l'école, et qu'il n'a point été distribué hors de l'enceinte de ladite école ; attendu que l'usage admis dans les écoles de donner aux élèves des extraits ou résumés des ouvrages relatifs à la matière qui fait l'objet de l'enseignement ne porte aucun préjudice aux auteurs, et ne nuit point aux ventes desdits ouvrages. »

Je n'ai point à discuter ici les faits spéciaux de ce procès; et si le tribunal s'était contenté de déclarer que, dans le cas particulier, aucun préjudice n'avait été porté à l'auteur ni à la vente de son ouvrage, il aurait tiré de ce fait une juste conclusion de droit, en déclarant qu'il n'y avait pas contrefaçon. Mais poser, en thèse générale, que la distribution dans les écoles d'extraits ou résumés d'un ouvrage de domaine privé ne peut jamais porter aucun préjudice à l'exploitation vénale des auteurs, c'est aller beaucoup trop loin. Nous verrons que l'arrêt de la cour royale de Paris a accepté cette thèse dans toute sa généralité.

(1) Dalloz, 1828, 2, 114. — 1829, 1, 123,

é

Le jugement contient une autre erreur de droit lorsque, admettant l'hypothèse où l'ouvrage poursuivi ne serait qu'un extrait de l'ouvrage original, il pense que ce ne serait point là une contrefaçon, parce qu'il semble n'attacher ce caractère qu'à une reproduction textuelle et littérale destinée à tromper le public; no 6, 12 et 13.

Sur l'appel, la cour royale de Paris a, le 22 mars 1828 confirmé ce jugement par l'arrêt suivant «< : Considérant que tout chef d'école a le droit de rédiger et distribuer à ses 'élèves des élémens d'instruction extraits de tous les ouvrages publiés relativement aux matières enseignées dans l'école; que, dans l'espèce, l'intimé n'a fait qu'user de ce droit, et qu'il n'est pas justifié qu'aucun exemplaire ait été vendu ou distribué à d'autres qu'à ses élèves. >>

Cette doctrine, beaucoup trop absolue, me paraît dépasser les limites dans lesquelles doit être raisonnablement renfermé le droit qui appartient à tout citoyen sur la jouissance intellectuelle des ouvrages même de domaine privé, après qu'ils ont été livrés à la publicité. Sans doute on peut considérer l'intérieur d'une école comme l'enceinte d'une maison particulière, et il ne faut pas soumettre à une inquisition sévère le mode de communication intellectuelle du maître avec ses élèves; mais ériger en un droit la distribution des extraits lithographiés d'un livre, c'est aller fort au-delà de cette réserve, et, c'est ôter aux auteurs d'ouvrages destinés à l'enseignement une partie notable des produits légitimes qu'une distribution de ces ouvrages, faite à leur profit et par leur entremise, est de nature à leur procurer.

La chambre des requêtes de la cour de cassation, saisie du pourvoi contre cet arrêt, n'a point abordé de front la question de droit qu'il offrait à juger. Elle n'a voulu voir dans la cause qu'une question jugée en fait, et a rendu, contre les conclusions de M. l'avocat général Lebeau, le 29 janvier 1829, l'arrêt suivant, qui n'est qu'un arrêt d'espèce et non un arrêt de

doctrine; et qui, par conséquent, ne saurait fixer la jurisprudence:

<< Attendu que c'était à Muller, en sa qualité de demandeur originaire, à prouver l'existence du fait de contrefaçon; que loin de reconnaître que cette preuve existait au procès, l'arrêt attaqué a reconnu qu'il ne s'agissait, dans l'espèce, que d'une rédaction et distribution faite par un chef d'école militaire à ses élèves des élémens d'instruction extraits de tous les ouvrages publiés relatifs aux matières enseignées dans l'école; que, d'après ce fait ainsi déclaré constant, en jugeant qu'il n'y avait pas preuve de contrefaçon, l'arrêt attaqué ne s'est mis en contradiction ni avec la loi du 19 juillet 1793, ni avec aucune loi. »

Voici une autre espèce, relative aussi a un travail fait dans l'intérieur d'une école, et dans laquelle le tribunal d'Angers me paraît au contraire s'être arrêté aux justes limites qui, relativement à la faculté de fabrication, séparent la jouissance permise et l'exploitation défendue.

Le directeur de l'école des arts-et-métiers d'Angers avait fait contremouler en bronze par ses élèves un buste de Napoléon dont le modèle en plâtre appartenait au sieur Franceschi, figuriste. Le tribunal correctionnel d'Angers a jugé, le 15 janvier 1836 (1), qu'un chef d'école, ainsi qu'un simple particulier, peut imiter, par quelque procédé que ce soit, ou donnerà imiter à ses élèves un objet d'art qu'il aurait acheté ou emprunté, et qui ne serait pas dans le domaine public, pourvu qu'il ne se propose qu'un sujet d'étude, et qu'il ne tire de ce travail aucun profit au préjudice du propriétaire du modèle.

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M. le comte Mac-Carthy avait acheté de MM. Marin et Prina deux meubles en ébène avec des ornemens en mosaïque et en bronze doré. L'acheteur de ces deux meubles en fit contremouler les ornemens et les fit adapter à deux Jona

(1) Gaz, des trib. 21 janvier 1836.

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