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par l'armée française et conduit à Metz comme otage, avait obtenu la restitution de ses marchandises séquestrées, à la condition de s'établir dans cette dernière ville, avait pu, tant qu'il avait demeuré en pays étranger, y contrefaire et y débiter les œuvres de Buffon sans être atteint par les lois françaises; mais que, du moment où il avait fait ce débit sur l'ancien territoire de la France, la veuve Buffon avait pu employer contre lui la voie que les lois de la France lui donnaient pour arrêter et réprimer la vente d'une édition faite contre le droit de l'auteur et de ses héritiers.

La même cour a jugé, par arrêt du 29 frimaire an xiv (1), pour Guillaume de Paris contre Vahlen de Gand, qui avait réimprimé le don Quichotte et le Numa de Florian, que, sans avoir besoin d'examiner si ces ouvrages avaient été contrefaits avant la réunion de la Belgique à la France, au moins leur exposition en vente, opérée depuis cette réunion, avait suffi pour rendre applicable la loi du 19 juillet 1793.

N'est pas coupable de contrefaçon le libraire qui vend en France des livres imprimés en France pour compte de l'éditeur et envoyés par celui-ci en Belgique pour y éviter la concurrence des contrefacteurs belges, puis réexpédiés en France. Ainsi jugé par le tribunal correctionnel de la Seine le 5 mars 1834. (2)

<< Attendu qu'il résulte de l'instruction et des débats que, suivant un usage adopté par les libraires de Paris pour prévenir la contrefaçon en Belgique des ouvrages dont ils sont éditeurs, le sieur Béchet, propriétaire des Nouveaux élémens de Physiologie du baron Richerand, 10o édition, a vendu à différens libraires belges, au dessous du prix ordinaire, un certain nombre d'exemplaires de cet ouvrage, sous la condition expresse qu'ils ne pourraient être réexportés en France, et qu'à cet effet il a pris la précaution d'enlever les

(1) Répertoire; CONTREFAÇON, S IX.

(2) Gaz, des trib. 7 décembre 1833, 7 et 14 mars 1834.

titres et couvertures des exemplaires, et d'exiger qu'ils fussent revêtus de titres et couvertures imprimés en Belgique, et portant le nom d'un imprimeur et d'un libraire belges; que cependant il a été saisi au domicile du sieur Crochard, libraire à Paris, des exemplaires de l'ouvrage dont il s'agit, lesquels sont reconnus pour faire partie de ceux que le sieur Béchet avait vendus à des libraires belges; qu'il est constant que les titres et couvertures dont se trouvent revêtus les exemplaires saisi chez Crochard, quoique semblables, en apparence, à l'édition originale, ne sont pourtant pas sortis des presses de Locquin, imprimeur de cette édition, et qu'ils ont été substitués aux titres et couvertures dont ils avaient été revêtus en Belgique, lesquels portaient les noms d'un imprimeur et d'un libraire belges; mais qu'il n'est pas établi que cette substitution soit le fait du sieur Crochard; qu'il résulte, au contraire, des documens de la cause que les exemplaires dont il s'agit lui ont été expédiés de Bruxelles avec les titres et couvertures dont ils sont maintenant revêtus; que, dèslors, il ne peut être considéré comme s'étant rendu coupable du délit prévu par l'article 425 du code pénal; par ces motifs, le tribunal renvoie Crochard des fins de l'action contre lui intentée, et condamne Béchet, partie civile, aux dépens. »

Un arrêt de la cour royale de Paris du 20 février 1835, confirmatif d'un jugement du 17 janvier, a prononcé, sur la plainte de Jules Renouard, libraire, une condamnation à 2000 fr. d'amende et 18,000 fr. de dommages-intérêts pour introduction en France de 116 exemplaires du Droit civil français par Toullier. (1)

Ce jugement décide que le seul fait de l'introduction en France de contrefaçons étrangères constitue le délit, alors même qu'il y a eu réexportation postérieure, surtout si cette réexportation n'a pas été purement volontaire. On lit, en effet, dans une partie des motifs : « Attendu que Granger et

(1) Gaz, des trib. 23 janvier et 21 février 1835.

Roret reconnaissent que 66 exemplaires ont été reçus par eux et débités en France; qu'ils reconnaissent également que les 50 autres sont arrivés à Paris le 2 octobre 1833; qu'ils prétendent seulement que ces derniers ayant été, par leur ordre, expédiés en Belgique le 14 novembre, on ne peut pas les considérer comme introduits en France: mais qu'il est évident qu'à l'instant même où ces exemplaires, adressés aux prévenus, sur leur propre demande, et en exécution du marché passé par eux avec Tarlier, libraire à Bruxelles, sont arrivés sur le territoire français, le délit s'est trouvé consommé; qu'il est constant, d'ailleurs, que s'ils les ont réexpédiés, ce n'est point spontanément et parce qu'ils auraient enfin senti combien étaient coupables de pareilles spéculations, mais uniquement parce que, ayant été avertis des recherches auxquelles se livrait alors Jules Renouard, ils ont craint que leur fraude ne fût découverte. »

Il résulte également de cette affaire qu'un individu quoique non-commerçant est passible de condamnations lorsqu'il s'est associé en participation avec un libraire pour introduire des contrefaçons: «Considérant, dit l'arrêt, qui adopte en outre les motifs des premiers juges, qu'il résulte des faits et circonstances de la cause et même des aveux de Granger qu'il s'était associé à Roret pour l'introduction en France d'ouvrages imprimés à l'étranger, laquelle introduction avait été effectuée au préjudice de la propriété qui appartenait à des auteurs français. >>

Enfin, il a été déclaré par le jugement que des ouvrages restés en douane à Marseille ne pouvaient pas être réputés introduits en France; et que des marchés passés avec Tarlier de Bruxelles pour des contrefaçons belges d'ouvrages de MM. Toullier, Duranton, Dalloz, Henrion de Pansey, Rogron, Dupin, Pardessus, ouvrages revendus en partie à Liège en Belgique, et restés, pour autres parties, soit en douane à Marseille, soit en Suisse et à Bruxelles, ne pouvaient pas donner lieu, en France, à des condamnations contre

Granger et Roret, quoique ceux-ci eussent un intérêt dans la vente de ces contrefaçons.

25. La représentation est un mode de publication et d'exploitation particulière aux ouvrages dramatiques; elle fait partie du droit exclusif des auteurs. Nous verrons, dans le chapitre relatif aux sujets de privilège, qu'après la mort des auteurs, elle est soumise à des règles spéciales quant à sa durée.

Le droit de représentation appartenait aux auteurs dramatiques dans l'ancienne législation française, mais avec de nombreuses restrictions. La législation nouvelle s'est occupée de ces droits, avant même que, par la loi générale de 1793, elle eût établi, en faveur de toutes les productions de l'esprit, un droit commun en vertu duquel le droit de représentation se trouverait garanti, alors même qu'il n'aurait pas été l'objet de dispositions spéciales.

L'article 3 de la loi du 13-19 janvier 1791 dispose que les ouvrages des auteurs vivans ne pourront être représentés sur aucun théâtre public, dans toute l'étendue de la France, sans le consentement formel et par écrit des auteurs. Cette disposition est confirmée par la loi du 19 août 1791, même à l'égard des ouvrages représentés antérieurement, soit qu'ils fussent ou non gravés ou imprimés.

La loi du 19 juillet-30 août 1792 imposait aux auteurs, lorsqu'ils vendraient leurs pièces aux imprimeurs ou aux graveurs, l'obligation de stipuler formellement la réserve qu'ils entendront faire de leur droit de faire représenter lesdites pièces. Le traité portant cette réserve devait être déposé chez un notaire et imprimé en tête de la pièce. La même loi décidait que les pièces imprimées ou gravées, mises en vente avant le décret du 13 janvier 1791, et qui avaient été jouées, avant cette époque, sur des théâtres autres que ceux de Paris, sans convention écrite des auteurs, et cependant, sans aucune réclamation légalement constatée de leur part, pourraient être jouées sur ces mêmes théâtres, sans aucune rétri

bution pour les auteurs. Mais cette loi a été rapportée par la loi du 1er septembre 1793 qui a ordonné que les lois des 13 janvier 1791 et 19 juillet 1793 seraient appliquées aux ouvrages dramatiques dans toutes leurs dispositions.

L'abrogation de la loi du 30 août 1792 a nettement consacré le principe d'équité et de raison qui veut que le droit de représentation appartienne, de plein droit, aux auteurs, alors même qu'ils auraient, auparavant, fait connaître leurs pièces par une autre voie de publication, sans avoir accompagné cette publication d'aucune réserve. Ce droit spécial de représentation, qui survit tout entier et sans atteinte même après que l'œuvre dramatique a été publiée par quelque autre mode que ce soit, n'a été consacré en Angleterre que par acte du 10 juin 1833 (1); mais, en France, ce principe a toujours été reconnu, sauf pendant le court intervalle durant lequel la loi du 30 août 1792 a été en vigueur.

Le décret impérial du 8 juin 1806 reconnaît les droits des auteurs et la liberté des conventions entre eux et les entrepreneurs de spectacles. Les articles 428 et 429 du code pénal consacrent explicitement ces mêmes droits, desquels on retrouve encore la consécration dans le décret de Moscou du 15 octobre 1812.

De l'abrogation de la loi du 30 août 1792 résulte aussi la reconnaissance formelle du droit qui appartient aux auteurs d'empêcher que leurs ouvrages soient représentés, sans leur consentement, sur tous théâtres de toute ville de France.

Les théâtres des provinces et des départemens ont de tout temps essayé de s'arroger le droit de représenter les ouvrages joués sur les théâtres de la capitale, sans obtenir consentement des auteurs et sans leur payer de rétributions.Beaumarchais (2) entre dans beaucoup de détails sur cet envahissement que la loi de 1792 consacrait comme un droit. On voit, par la dis

(1) Voy. t. 1, p. 237. (2) Voy. t. Ier, p. 3193

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