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comme une statuette par une statue. Cette solution, à l'égard surtout des copies par réduction, devient de jour en jour plus évidente, à mesure que l'industrie arrive, par des procédés presque mécaniques, à des reproductions de plus en plus

exactes.

38. Le tribunal correctionnel de la Seine a jugé, le 1°* août 1829 (1), qu'il y avait eu contrefaçon à reproduire des lithographies dans des tableaux exécutés par la lithochromie. Ce procédé, objet d'un brevet d'invention, consiste à transporter les lithographies sur la toile, pour les enduire ensuite de couleurs.Le tribunal a jugé que diverses lithographies, propriété exclusive de la dame Delpech, avaient été mises en œuvre par Meulien et compagnie, avec une telle identité que le calque des lithographies se rapportait exactement sur les lithochromies, et que, quel que fût le mode employé par Meulien et compagnie, il y avait de leur part contrefaçon.

On devrait décider la même chose si des gravures, lithographies ou dessins étaient copiés ou calqués, pour être ensuite coloriés ou enluminés par toute autre méthode.

Mais s'il n'y avait ni copie, ni calque, on ne pourrait pas considérer comme contrefacteur celui qui enduirait de cou-* leurs, ou couvrirait d'enluminage, les exemplaires mêmes qu'il aurait achetés au légitime propriétaire. C'est un acte régulier de dommerce que d'acheter un objet pour le travailler et le revendre. Ajoutons toutefois que si la gravure ou le dessin était la copie d'un tableau, on ne pourrait pas faire concurrence au tableau, au moyen des couleurs dont on les couvrirait. Ce n'est point là une vaine hypothèse, et le cas pourrait facilement se présenter, surtout par l'emploi de la lithochromie. Mais alors ce ne serait pas le propriétaire de la gravure ou du dessin qui aurait à se plaindre, ce serait le propriétaire du tableau.

39. Le droit de gravure est consacré en ces termes par

(1) Gaz, des trib, a août 1829.

l'article 1er de la loi du 19 juillet 1793 : « Les peintres ou des«sinateurs qui feront graver des tableaux ou dessins, joui<< ront du droit exclusif de vendre, faire vendre, distribuer <«<< leurs ouvrages, et d'en céder la propriété. » On s'est demandé si les peintres ou dessinateurs qui n'auront pas fait graver leurs tableaux ou dessins, jouiront du droit exclusif.

A ne s'en tenir qu'à la stricte interprétation des termes de la loi, le doute serait grave, et il pourrait grammaticalement se résoudre contre les peintres et dessinateurs qui n'auraient pas usé de leur droit de gravure. La jurisprudence ne s'est point arrêtée devant la rédaction vicieuse de la loi, et remontant à son esprit, elle a constamment appliqué l'interprétation la plus favorable au droit des auteurs: la jurisprudence a bien fait. Anéantir tout droit des artistes, par cela seul qu'ils n'auront pas usé du droit de gravure, ou même leur interdire le droit exclusif de gravure lorsqu'ils n'auront pas été les plus diligens à en user, ce serait jouer sur une équivoque de la loi pour tuer son esprit. La gravure d'un dessin, d'un tableau en reproduit le plan et la pensée. Le droit de gravure, comme tout autre exercice du droit de copie, se trouve, par la nature même des choses, compris implicitement dans le privilège d'auteur. Ce n'est pas seulement par l'exécution des détails, c'est aussi par la conception du sujet, par l'ensemble de la composition, que son dessin, son tableau lui appartiennent; et il y aurait évidente injustice à ce que d'autres s'arrogeassent les fruits pécuniaires produits par la création émanée de lui. Or, chacun sait que l'exploitation par la gravure ou la lithographie est pour l'artiste une des plus profitables émanations de son privilège; et que, par là surtout, les ouvrages d'art s'étendent, se multiplient et se popularisent. Concluons donc que le droit de gravure, comme reproduction de son œuvre, est essentiellement inhérent à son privilège.

La gravure par le procédé de la lithographie n'était point connue en 1793. Il n'en demeure pas moins certain que ce mode spécial de gravure, comme tous autres qui viendraient

à être inventés par la suite, se trouve nécessairement compris dans la disposition de la loi.

40. Un changement de destination dans la copie de l'œuvre privilégiée ôte-t-il à cette copie le caractère de contrefaçon?

Cette question a été souvent débattue. Aucun doute ne pourrait s'élever si le changement de destination n'était que peu sensible. Mais la difficulté devient grave lorsque les des tinations diffèrent essentiellement.

Ainsi on a beaucoup plaidé pour savoir si un tableau ou un dessin pouvait, sans contrefaçon, être transporté sur des papiers peints, des devans de cheminées, des dessus de portes. La jurisprudence a varié à cet égard.

Simon, marchand de papiers peints, avait été condamné comme contrefacteur, pour avoir transporté sur des papiers de tenture des sujets de gravure, dont Bance, marchand d'estampes, était propriétaire. Sur l'appel et par jugement du tribunal criminel de la Seine, du 14 nivose an xr, Simon fut ac quitté. On a conservé la spirituelle plaidoirie prononcée pour sa défense par Lépidor. (1)

La même question a, plus tard, été décidée autrement par jugement du tribunal correctionnel de la Seine du 11 février 1836 (2): « attendu que les sieur Maurial, Roux et Farine ont, sans l'autorisation des auteurs ou de leurs cessionnaires, fait lithographier pour paravens ou devans de cheminées des gravures qui n'étaient pas tombées dans le domaine public; que ces lithographies, quelles que soient leurs dimensions, leur exécution plus ou moins imparfaite, et leur destination, sont une reproduction ou entière ou partielle des gravures dont il s'agit; que cette reproduction non autorisée par les propriétaires leur porte préjudice, d'une part en les privant

(1) Annales du barreau français, Barreau moderne, 1. iv. Lépidor est mort à Paris, le 9 décembre 1807.

(2) Gaz. des trib, 12 février 1836.

du bénéfice qu'ils pouvaient retirer de la vente du droit de reproduire les trois gravures qui sont leur propriété exclusive, et quant au dessin et quant à la composition; d'une autre part en dépréciant les compositions des mêmes gravures auxquelles la faveur s'attache d'autant moins qu'elles deviennent plus communes. »

Dans une espèce dont l'importance commerciale était très faible, mais où les destinations des originaux et des copies pouvaient plus facilement se confondre, la cour royale de Paris, par arrêt du 7 avril 1829 (1), confirmatif d'un jugement du tribunal correctionnel de la Seine, du 14 février, a déclaré qu'il y avait contrefaçon dans la reproduction des spirituelles caricatures de Grandville, les Métamorphoses du jour, que des confiseurs avaient copiées pour des enveloppes de bonbons.

Je pense que le dernier état de la jurisprudence qui, ainsi qu'on vient de le voir, considère toute copie comme contrefaçon quelle que soit sa destination, est conforme à l'état actuel de la législation.

44. Une question qui n'est pas sans analogie avec celle que nous venons d'examiner, et pour la solution de laquelle on invoque, de part et d'autre, une partie des mêmes argumens, est celle qui consiste à savoir s'il y a contrefaçon lorsqu'on reproduit la composition d'un artiste par un des arts du dessin autre que celui qui a été employé par l'auteur pour sa composition originale.

La loi a formellement prévu et prohibé un de ces modes de traduction; celui qui s'exécute au moyen de la gravure. De part et d'autre, on argumente de cette disposition de la loi. On dit, d'un côté, que la loi est énonciative et non limitative; qu'elle consacre le principe de propriété de la composition ou de l'idée; et que, pour être conséquent, on doit appliquer à toutes les usurpations de composition les déductions logi

(1) Gaz, des trib. 8 et 15 février; et 8 avril 1829.

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ques de ce principe. On dit, d'un autre côté, que l'énonciation de ce cas exclut les autres ; et que si le législateur, auquel il était facile de parler, en termes généraux, de tous les modes de reproduction, s'est borné à parler de la gravure, c'est qu'il a voulu éviter de tomber dans les conséquences exagérées d'un principe absolu dont il aurait été facile d'abuser.

Pour soutenir qu'il y a contrefaçon, on s'appuie de la jurisprudence qui prohibe la copie des œuvres d'art alors même qu'on les transporté à des destinations dont la différence exclut toute possibilité de concurrence et de rivalité, et l'on fait principalement valoir les deux argumens suivans qui sont, en effet, ceux qui paraissent avoir plus particulièrement décidé la jurisprudence à se prononcer dans le sens que nous avons fait connaître au paragraphe précédent.

On dit d'abord que le privilège assure à celui qui en est investi l'exploitation de tous les produits commerciaux qui peuvent naître de l'idée privilégiée. Peu importe si l'auteur a prévu, dès l'origine, tous les modes d'exploitation que sa pensée pourra ultérieurement produire; ces modes divers font partie de son droit exclusif, puisqu'ils ne dérivent que de l'emploi de sa composition génératrice de laquelle les applications lui appartiennent puisqu'elles n'existeraient pas sans lui. De ce qu'il n'a pas donné à sa pensée, au moment même où il l'a publiée, toutes les applications dont elle est susceptible sous toutes les formes, il ne faut pas conclure que la pensée a cessé d'être à lui, et qu'il est déchu du droit exclusif de l'exploiter plus tard, ainsi qu'il l'aurait pu faire dès le premier jour. Les produits prévus ou imprévus qui ne découlent que de son idée font partie de cette idée même; ils ne peuvent être enlevés au domaine de l'auteur et être envahis par d'autres sans son consentement et à son préjudice. L'autre argument consiste à dire qu'au propriétaire seul appartient le droit de décider si tel ou tel usage de son œuvre deviendra préjudiciable à ses intérêts ou à sa renommée. Il peut avoir de justes motifs de craindre que, trop vulgarisée,

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