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CHAPITRE II.

DES OBJETS DE PRIVILÈGES.

46. Division de ce chapitre.

47-55. Les écrits en tous genres sont objets de privilège.

56. Titres d'ouvrages.

57. Noms des auteurs.

58. Les compositions orales sont objets de privilège.

59-65. Ouvrages d'esprit qui, en eux-mêmes, ne sont jamais objets de pri

vilège.

66. Les leçons des professeurs sont objets de privilège.'

67. Les discours prononcés par ordre de l'autorité publique demeurent susceptibles de privilège.

68. Les œuvres du ministère ecclésiastique sont-elles objets de privilège? 69–74. Ouvrages qui ne peuvent entrer dans le domaine privé, quoique étant, en eux-mêmes, susceptibles de privilège. 75-78. Les compositions musicales de tous genres sont objets de privilège, 79-83. Arts du dessin.

46. Le précédent chapitre a été consacré à l'énumération et à l'examen de chacun des droits dont la réunion et l'ensemble composent le droit général qui résulte pour les auteurs de leur privilège exclusif.

Nous avons à rechercher, dans le présent chapitre, à quelles œuvres de l'esprit ce droit est applicable, ou, en d'autres termes, quels ouvrages sont les objets de ces privilèges que nous avons définis, et peuvent conférer la jouissance des droits dont nous avons constaté l'existence.

Nous rechercherons d'abord les caractères généraux par

lesquels les objets de privilèges peuvent se reconnaître. Nous énumérerons ensuite les exceptions en vertu desquelles certaines productions de l'esprit ne peuvent jamais être objets de privilèges, ou doivent cesser de l'être; nous examinerons en même temps certains cas que l'on a quelquefois voulu, à tort, ranger parmi ces exceptions.

47-55. Les écrits en tous genres sont objets de privilège.

47. La loi a bien fait d'accorder un privilège aux écrits en tous genres, quel que soit le degré de leur mérite.

48. Compilations et abrégés.

49. Ouvrages en langues étrangères.

50. Traductions.

51. Le droit de compiler, d'abréger, de traduire les mêmes ouvrages par un autre travail, appartient à toute personne.

52. Notes, additions et commentaires.

53. Les mots écrits en tous genres doivent être interprétés dans un sens

large.

54. Ecrits épistolaires.

55. Articles de journaux.

47, A considérer en elles-mêmes les productions de l'esprit, il est certain que, loin de mériter toutes, au même degré, la reconnaissance sociale, elles ont une valeur intrinsèque fort inégale, et que beaucoup d'entre elles sont peu dignes d'être favorisées ou même garanties par la loi. L'œu vre de génie qui est une bonne action, qui rend les hommes meilleurs, épure et dirige les idées, éclaire l'opinion publique, popularise les sentimens louables et généreux, qui facilite le travail et l'instruction, qui augmente l'aisance générale, doit-elle être traitée comme l'ouvrage qui se met au service des passions mauvaises, courtisé les préjugés, favorise les faiblesses, travaille au relâchement, quelquefois au déréglement des mœurs? Faut-il que les débauches d'esprit corruptrices du langage, symptômes de vieillesse et cause de discrédit pour la littérature nationale, profitent des avantages

que l'intérêt public commande d'assurer aux écrits destinés à accroître la gloire d'une nation, à fixer, agrandir ou propager sa langue? Toutes ces spéculations, plus mercantiles que littéraires, dont les magasins de librairie sont journellement encombrés, qui usent les plus nobles idées en les travestissant en langage médiocre, qui emploient tout leur art à habiller des apparences d'une forme nouvelle ce qui a été dit et redit mille fois, remporteront-elles le même prix que les travaux consciencieux, que les doctes recherches, que les patientes études? En un mot, les écrits de tout genre, de toute qualité, seront-ils égaux devant la loi?

Ils seront égaux. C'est la condition des lois de soumettre au niveau de dispositions communes des faits souvent dissemblables, et de n'échapper à l'arbitraire des jugemens humains qu'au prix de cet autre arbitraire qui naît de l'égalité de la loi. La nature imparfaite de l'homme et les besoins des sociétés s'opposent à ce qu'il en soit autrement. L'égalité légale entre Brébeuf et Corneille, entre Racine et Pradon, entre Bossuet et d'Holbach, est une choquante inégalité, si l'on regarde au fond des choses; pour les hommes, c'est la justice. Où irait-on? à quelles incertitudes, à quel désordre serait-on conduit, s'il fallait classer légalement les ouvrages d'esprit par leur utilité, leur moralité, leur style, leur nouveauté, leur originalité? La loi n'intervient, avec l'inflexible généralité de ses mesures, qu'à raison de l'impossibilité où la société se trouve d'accommoder à chaque cas particulier une décision spéciale, proportionnellement et souverainement équitable. Lois civiles, lois pénales, lois politiques, toutes seraient vulnérables par ce côté.

Dans la matière qui nous occupe, comme en toute autre, la loi sera égale pour tous. Elle ne pénétrera pas jusque dans le for intérieur; elle ne recherchera pas si les ouvrages sont bons ou mauvais, utiles ou inutiles; elle n'entreprendra pas un classement impossible pour elle, et ne s'arrêtera qu'aux caractères extérieurs de l'œuvre.

Ce sera aux suffrages du public, qui ont aussi leur incertitude, mais qui, à la longue, finissent par être généralement assez justes, à classer les productions de l'esprit, et à leur assigner leur véritable rang. Après la conscience d'avoir voulu le bien, après l'émotion et le plaisir que les créations d'art procurent à ceux qui les produisent, la récompense des auteurs est dans le succès, tout faillibles que soient les jugemens du public. Le rôle de la loi, c'est d'ouvrir, indistinctement en faveur de tous les auteurs une période égale de temps, pendant laquelle ils seront exclusivement appelés à jouir du fruit de leurs travaux; ce sera par le plus ou moins de succès auprès du public, que l'utilité de cette jouissance se mesurera pour les auteurs, et qu'elle portera des fruits, ou demeurera stérile.

La loi ne doit intervenir pour atteindre un ouvrage comme mauvais, que lorsqu'il est mauvais jusqu'au délit. Mais les peines prononcées dans ces sortes de cas sont entièrement indépendantes du privilège de jouissance exclusive. La jurisprudence anglaise confond ces deux ordres d'idées, et refuse toute action pour contrefaçon des ouvrages obscènes, immoraux, séditieux, diffamatoires (1). La loi française n'admet pas cette exception qui, indépendamment de la confusion qu'elle introduirait entre deux ordres fort divers de législation, n'arriverait, d'ailleurs, qu'à favoriser la propagation des mauvais livres; et qui, en outre, est sans utilité, puisque l'auteur d'un pareil livre, par cela seul qu'il le produirait en justice, s'exposerait à une action répressive.

C'est donc avec raison que la loi à étendu des garanties égales sur les écrits en tout genre. Ce sont les termes dont se sért la loi de juillet 1793. La jurisprudence les a constamment interprétés dans un sens fort large; et a considéré comme légitime objet de privilège tout écrit qui suppose l'intervention d'un travail quelconque de l'esprit.

(1) Voy. t. 1, p. 239.

48. Par arrêt du 2 décembre 1814, la cour de cassation a décidé, sur les conclusions conformes de Merlin, qu'une compilation faite avec des ouvrages de domaine public, mais exécutée avec choix et discernement, est susceptible de privilège (1): « Attendu que la loi de 1793 s'applique, d'après ses expressions littérales, aux auteurs d'écrits en tous genres; que si elle énonce particulièrement les ouvrages qui sont le fruit du génie, elle énonce aussi expressément les productions de l'esprit; qu'elle s'étend donc aux recueils, aux com pilations, et autres ouvrages de cette nature, lorsque ces ouvrages ont exigé dans leur exécution le discernement du goût,' le choix de la science, le travail de l'esprit; lorsque, en un mot, loin d'être la copie d'un ou de plusieurs autres ouvrages, ils ont été tout à-la-fois les produits de conceptions étrangères à l'auteur, et de conceptions qui lui ont été propres et d'après lesquelles l'ouvrage a pris une forme nouvelle et un caractère nouveau; attendu 1o..... 2o qu'il a été déclaré par la cour royale de Lyon que l'ouvrage intitulé Lectures chré tiennes n'était que la copie des prônes de Cochin et d'autres ouvrages anciens, et que ce qui y avait été ajouté par Cardon ne formait pas le quart de l'ouvrage; mais qu'il n'a pas été jugé par cette cour que cette copie fût purément matérielle, que les parties copiées eussent été rassemblées et enchaînées les unes aux autres sans que cette réunion eût exigé ni science, ni discernement, ni intelligence; qu'en un mót la cour n'a pas jugé que les Lectures chrétiennes, telles qu'elles avaient été mises au jour par Cardon, ne constituassent pas une production de l'esprit dudit Cardon; que sur les faits, tels qu'ils ont été déclarés par la cour de Lyon, cette cour n'a donc pu juger que l'impression par les sieurs Villeprent et Brunet de l'ouvrage de Cardon, sans la permission du sieur Leclère, cessionnaire du sieur Cardon, ne présentait pas le

(1) Répertoire, CONTREFAÇON, S XI.

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