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serait à souhaiter que les circonstances permissent la réalisation des projets d'un ministre aussi bien intentionné.

Le crédit de l'Espagne a souffert, naturellement, de la longueur d'une lutte poursuivie au delà des mers à Cuba et aux Philippines. La guerre de Cuba est des plus coûteuses. L'Extérieure, qui avait commencé l'année au-dessus de 66, est tombée en novembre 10 points plus bas, pour se relever ensuite au-dessus de 61. Chargé d'une dette flottante considérable, on a senti la nécessité de contracter un grand emprunt de consolidation. A la suite de péripéties connues, le marché de Paris, qui fut le grand débouché pour les valeurs de chemins de fer espagnols, s'est trouvé fermé aux nouvelles opérations du gouvernement. Les Compagnies, qui avaient eu à souffrir de la baisse du change, ont demandé des compensations à l'État sous forme de prolongation de concessions, ce qui permettait d'allonger la période d'amortissement des obligations.

Les négociations poursuivies entre l'État et les Compagnies furent difficiles, elles n'aboutirent que sous le coup de la nécessité; et encore, par une maladresse véritable, les fit-on dépendre du concours effectif que les Compagnies devaient prêter pour le placement d'une partie de l'emprunt à l'étranger. Le capital à emprunter fut fixé à un milliard effectif dont 300 millions en or à l'étranger. Les négociations engagées avec les banquiers à Paris échouèrent, le gage sur lequel on voulait emprunter était cependant de premier ordre le produit des tabacs, qui dépasse 95 millions par an. La crise de l'automne 1896 empêcha l'émission à Londres de l'emprunt gagé sur les mines de mercure d'Almaden. Dans ces conditions, le gouvernement se tourna vers le marché intérieur pour y placer des obligations à amortissement rapide gagées sur les douanes (400 millions 5 p. 100 à 93). L'emprunt fat couvert une fois et demie et le nom des souscripteurs publié dans les journaux. Si difficile que soit la situation de l'Espagne, il ne faut pas oublier que si la dette consolidée atteint près de 6 milliards, près de 5 se trouvent à l'intérieur du pays. L'Espagne a racheté énormément de rente extérieure depuis quelques années, et cela explique le fléchissement du change. Malheureusement la circulation fiduciaire est considérable : elle dépasse 1.066 millions.

Si l'on a publié dans les journaux, le nom des souscripteurs de l'emprunt espagnol, le sultan a fait distribuer des médailles nominatives à ceux de ses sujets qui ont contribué à un emprunt volontaire. Tandis que les revenus concédés aux créanciers euro

péens rentrent relativement bien, malgré les troubles, et que la moins-value ne dépasse pas, pour 1895-96, 46 mille livres, le gouvernement ottoman est à bout de ressources. Il arrivait dans les années précédentes à se tirer d'affaire grâce à l'engouement des marchés occidentaux qui avaient fini par considérer les valeurs turques comme des valeurs de placement, en oubliant le côté aléatoire. Une série de conversions qui donnèrent de bons bénéfices aux banquiers et aux intermédiaires et qui laissèrent un peu d'argent à la Porte furent faites. On négocia des emprunts comme celui des douanes qui représentaient d'anciennes avances. Cela a marché ainsi tant que cela était possible; puis, à partir de l'année dernière, la Turquie s'est trouvée privée de ces ressources. La Banque ottomane elle-même est affaiblie par la crise de Constantinople, crise dont elle est, en partie, responsable elle-même.

Elle ne peut plus faire les avances qu'elle accordait si libéralement jadis. Il faut de l'argent pour la Turquie, ne serait-ce que pour payer les indemnités dues aux Européens pour les pertes subies pendant les troubles.

On doit constater malheureusement que les capitalistes francais sont détenteurs de sommes très considérables de fonds et de valeurs tures. D'après un tableau publié sous l'inspiration de sir Edgard Vincent, la France détiendrait pour 53 millions de livres de valeurs ottomanes, soit 67 p. 100 du total, l'Angleterre seulement pour 9 millions ou 12 p. 100, l'Allemagne pour 13 millions ou 17 p. 100, l'Autriche pour 3 millions ou 4 p. 100. Les recettes totales de l'exercice 1895-96 ont été de 2.700.000 livres. (Il s'agit du budget de la commission de la dette, soit 28.0 0 livres ou 11 p. 100 de plus que la moyenne décennale.)

Les branches qui ont le plus souffert sont le tabac, le timbre et la soie. On se plaint de ce que le gouvernement ottoman se montre indifférent et passif devant les propositions que lui fait le Conseil de la Dette en vue d'augmenter les recettes. Le point le plus faible, au point de vue des capitaux européens, ce sont les garanties de chemin de fer que la Porte a accordées avec une extrème libéralité et qui s'élèveront un jour, lorsque la ligne de Cassaba aura été achevée, à 850.000 livres. Le Times a donné quelques détails intéressants sur cette question des chemins de fer que sir Vincent Caillard a d'ailleurs traitée avec indépendance dans son rapport annuel. Le chemin de fer d'Anatolie est au capital actions de 2.460.000 livres et de 6.490.000 livres en obligations 5 p. 100. Sur les 8.800.000 livres, probablement les trois quarts ont été placés dans le public, principalement en Alle

magne. La garantie du gouvernement turc est de 417.000 livres. Or, pour quarante-deux semaines, les recettes de la ligne se sont élevées à 160.000 livres. On voit de quels sacrifices la construction des chemins de fer chargeait la Porte. Au 1er août 1896, la longueur des lignes turques était de 2.422 milles.

L'espace nous manque et nous ne pouvons qu'énumérer l'aggravation du change au Portugal, les persistances de la crise au Brésil, où l'agio dépasse 240 p. 100 (le réis dont le pair est de 27 pence est tombé au-dessous de 8 pence à Rio-de-Janeiro). La Grèce ne s'entend toujours pas avec ses créanciers et les propositions qu'elle leur transmet ne sont guère de nature à attirer à ce ays les sympathies.

Nous aurions eu encore à parler de la hausse de la roupie et de la détermination du gouvernement indien de persister dans la réforme inaugurée en 1893.

ARTHUR RAFFALOVICH.

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Je n'essaye point, comme l'a fait M. Michael G. Mulhall, dans sa Balance sheet of the world d'établir un bilan du commerce du monde. Je vais essayer plutôt de montrer combien toute étude du commerce extérieur des diverses nations est difficile et avec quelle prudence l'économiste doit se servir des chiffres authentiques et officiels que lui donnent la douane et les autres administrations. Je ne parlerai ici ni de la monnaie, ni du change, ni de la marine, ni des frais de transport, ni du commerce de transit. Cette étude ne s'applique qu'au commerce spécial des marchandises, c'est-à-dire pour l'importation, au commerce des objets

1 Voir le Journal des Economistes du 15 nov. 1895: Les chiffres de douanes et la valeur du commerce en France et du 15 août 1896: L'ironie des faits et le protectionnisme, par Yves Guyot.

* Dans cette étude, je me suis servi des tableaux publiés par les Annales du commerce extérieur sur le commerce et la navigation des principaux pays étrangers. Le dernier fascicule paru, au mois de novembre, contient l'année 1895. J'ai complété ces documents par la série des Annuaires de l'Économie et de la statistique, de M. Maurice Block, publiés par la librairie Guillaumin, l'Almanach Gotha, les Statistical abstracts for the foreign countries, le Stateman's year book, le Financial Reform almanack, the Economist, l'Économiste français, le Moniteur officiel du Commerce et la Revue du commerce extérieur.

destinés à la consommation et pour l'exportation, au commerce des objets produits par chaque pays ou qui y ont été nationalisés. Rien de plus difficile que de comparer des tableaux de douanes entre eux. Tous les États n'ont pas la même manière de classer les marchandises, à plus forte raison d'en évaluer la valeur. Les douanes connaissent tant bien que mal, la part de fraude déduite, la quantité et même la valeur des produits importés, mais quand ils ne sont pas frappés de droits de sortie; et sauf dans quelques pays barbares tous les droits de sortie ont été supprimés, comment con

naître la valeur des objets exportés? En France, l'exportateur n'est limité dans les fantaisies de sa déclaration que par la crainte, pour son destinataire, de la douane du pays importateur mais que lui importe, par exemple, quand il expédie en Angleterre des produits qui ne sont frappés d'aucun droit? et il n'y a qu'une dizaine d'articles qui y soient inscrits au tarif de douanes alcool, vin, café, thé, cacao, parfumerie, fruits secs; mais les lainages, les soieries, le beurre, la viande, échappent à tout droit et, par conséquent, à toute vérification sérieuse.

Jamais un douanier francais ne fera ouvrir à la sortie la malle d'un voyageur. Cependant une dame peut exporter des bijoux, des toilettes, des articles de Paris pour une grande valeur. D'après un relevé fait sur ses livres, un des grands magasins de Paris, vend 30 millions pour l'exportation; mais 6 seulement sont expédiés à l'étranger. Le reste est livré à des clients qui viennent acheter en personne, et en prennent possession à Paris. Les dames portent même quelque peu les objets de toilette de manière à les faire échapper, non pas seulement aux investigations de la douane française qui ne s'en préoccupe pas, mais à les dérober à la fiscalité de la douane du pays de destination.

Il y a donc toute une part des marchandises exportées qui n'est pas mentionnée à la douane, surtout quand il s'agit de bijouterie et d'objets de toilette et qui altère les comparaisons que l'on peut faire entre les chiffres de l'importation et de l'exportation.

Outre ces difficultés, il n'est pas toujours facile de distinguer entre le commerce spécial et le commerce général. Ainsi dans le commerce spécial de la France, vous voyez à l'exportation pour 1895, 6 millions de coton en laine. Ce coton n'a pas été produit en France. Il a été acheté pour être consommé en France. Il en a été réexpédié. Mais les Suisses considèrent que le coton en laine doit toujours appartenir au commerce général.

Les Anglais comptent l'ensemble de leurs importations, puis ils font deux catégories à l'exportation : 1° celle des objets produits

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