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ter à la délicate fantaisie de M. Jules Lemaitre sur le snobisme, les snobs de Tolstoï et de l'évangélisme russe, les snobs d'Ibsen et de l'individualisme norvégien, les snobs de Nietzsche et les snobs du culte du moi, etc., etc.

Le spirituel académicien dit très bien l'homme est ainsi fait qu'il tire vanité de ses admirations et se pique d'admirer pour des raisons qui lui appartiennent, et il s'admire alors lui-même d'admirer avec tant d'originalité..... il arrive à un état d'auto-suggestion, d'auto-snobisme.

Pour conclure, il nous semble que M. Henri Mazel a été quelque peu victime de son invention; ayant trouvé ce mot synergie, il a voulu lui donner une vie, il a tenu à se montrer en belle posture de synergiste au cœur alme1, et alors est venu l'auto-suggestion.

Le livre pourtant ne doit pas être jugé d'après les travers que son auteur s'est donnés; qu'il ait été, ou non, pensé et écrit par la même personne, il contient de nombreuses parties plus réfléchies, plus acceptables que sa première et sa dernière page.

LEON ROQUET.

PATRIE, ÉDUCATION, TRAVAIL, par M. JEAN KALINDERO, membre de l'Académie roumaine. Bucarest, in-4°.

La Roumanie a toujours eu des sympathies pour la France et la France n'en a pas eu moins pour elle, avant comme depuis sa conquête de l'indépendance. Il y a sans doute plusieurs causes de cette mutuelle sympathie; il nous suffit d'en remarquer les effets: la Roumanie nous a emprunté en grande partie sa législation civile, criminelle et administrative et elle nous envoie chaque année l'élite de sa jeunesse studieuse; de notre côté, nous encourageons ces jeunes hommes dans leurs efforts, avec un intérêt particulier; d'ailleurs, la différence de forme des deux Gouvernements n'est pas un obstacle à la communauté des idées, car la Roumanie est, au fond, un pays très démocratique. Il n'est pas rare qu'en Roumanie des livres soient écrits en français ou, au moins, qu'après avoir été composés dans la langue nationale, ils soient traduits dans la nôtre. M. Jean Kalindéro a souvent fait l'un et l'autre. Il est docteur en droit de la Faculté de Paris et il connaît parfaitement notre langue, comme on en jugera par de nombreuses citations qui dérogent un peu à l'usage du compterendu. Après avoir été longtemps conseiller à la Cour d'Appel de

1 Alme est un mot aventuré. Almus en latin est un surnom de Jupiter dans le sens de nourricier bienfaisant. Almée vient de l'arabe et veut dire savante. T. XXIX. - FÉVRIER 1897.

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Bucarest, puis à la Cour de Cassation, il est, depuis quelques années, administrateur des domaines de la Couronne. En cette dernière qualité, la eu, un grand nombre de fois, à présider aux inaugurations d'Écoles primaires, de mairies, d'hôpitaux, fondés sur des communes où se trouvent des domaines royaux et à leurs frais. La réunion de 34 discours prononcés en ces diverses occasions, traduits par leur auteur, forme un beau volume sous le titre de Patrie, Éducation, Travail. Ces trois sujets sont quelquefois séparés dans ces discours, mais, le plus souvent, ils y sont réunis par un lien naturel. Ils appartiennent suffisamment à l'Economie politique pour mériter d'être mentionnés dans le Journal des Économistes.

En Roumanie, l'instruction primaire est obligatoire (p. 22 et 28); elle est gratuite, au moins dans les districts où se trouvent des domaines royaux, des écoles mixtes y ayant été fondées et restant entretenues par la munificence du Roi (p. 208); mais elle n'est pas laïque : le prètre n'est pas étranger à l'école et l'instituteur lui-même prend une certaine part à l'enseignement religieux (p. 141, 150 et 163). M. Kalindéro ne le regrette pas, il craint plutôt l'envahissement du scepticisme qui menace déjà la jeune génération roumaine p. 11).

Il désire le relèvement de l'éducation des filles pour qu'elles deviennent plus tard de dignes compagnes de leurs maris et les premières institutrices de leurs enfants. D'ailleurs, comme la Roumanie est un pays agricole et non de grande industrie, il n'y a pas à craindre, au moins de longtemps, que l'atelier prive la maison, les enfants et le mari des soins journaliers de la mère de famille p. 10-11). Pour le même motif, M. Kalindéro ne verrait pas d'un meilleur œil que les femmes poursuivissent des emplois dans les administrations.

M. Kalindéro revient souvent sur les bienfaits de l'instruction: il ne veut pas que le paysan en reste privé; il compare le paysan ignorant à l'arbre sauvage et le paysan instruit à l'arbre greffé et cultivé (p. 3132. Ailleurs (p. 60) il compare l'école à une ferme : « ce n'est plus le « blé ou le mais qu'on y cultive, mais la plante humaine, l'enfant. »> Cependant, il ne veut pas de programmes trop chargés : « mieux vaut << moins de connaissances suffisamment assimilées qu'un plus grand « nombre mal comprises: non multa, sed multum » (p. 106).

Il y a une très bonne page sur la conservation et la transmission d'âge en âge, par l'instruction, de tous les progrès acquis par le travail de l'homme (p. 148). A cette occasion, l'auteur rend hommage à notre grand Pasteur « qui, sorti d'une humble classe, est devenu par « la science une des lumières et l'un des bienfaiteurs de l'humanité » (p. 160).

M. Kalindéro s'adresse sans doute aux politiciens de son pays quand

il dit qu'il ne faut pas croire que l'instruction plus répandue pro« mette un changement complet et, du jour au lendemain, des condi<«tions actuelles de la société, non plus que le redressement facile de ◄ ses maux, comme la voie que préconisent ceux qui se donnent pour « les amis des paysans et cherchent à leur faire croire qu'ils ont le secret de changer la nature des choses et des hommes, à la condi<«<tion qu'on leur donne le pouvoir » (p. 162). En mettant les ouvriers à la place des paysans, cette sage remarque s'appliquerait très bien chez nous.

M. Kalindéro se félicite de ce que, dans les écoles relevant des domaines royaux, on ait établi des ateliers pour les filles, des métiers de tissage des étoffes nationales que la Reine encourage spécialement (p. 11), pour les garçons, l'apprentissage de menues industries susceptiles d'être exercées par le paysan, à son domicile, dans les mauvaises saisons où il ne peut donner ses soins à la terre (p. 27-28. L'enfant y apprend aussi qu'on peut encore gagner honnêtement sa vie sans << être propriétaire du sol ou fermier» (p. 41-42). Mais l'auteur ne craint pas de dire que l'amour du cultivateur pour la propriété du so est légitime, non seulement parce que l'acquisition en provient du fruit du travail de ses ancêtres, mais encore parce qu'il se fatigue chaque jour pour la conserver et, en quelque sorte, pour l'acquérir de nouveau (p. 36).

"

Mais à l'instruction, M. Kalindéro veut qu'on ne manque pas de joindre l'éducation qui enseigne la morale. Après l'avoir fondée sur le Décalogue (p. 35 et s.), il signale les dangers du vice qui menacent l'adulte dès la sortie de l'école, notamment le jeu et surtout l'ivrognerie, qui n'épargne pas plus son pays que les autres (p. 37-38); la tempérance et l'épargne ou l'économie domestique sont louées en termes heureux et c'est par cette vertu privée « qui offre à l'Etat de « précieuses réserves pour les temps difficiles » qu'il explique comment « la France, après 1870, a trouvé les ressources nécessaires pour « réparer ses désastres» (p. 141-142).

Ailleurs, il a encore tout un discours sur l'importance de la morale p. 124 128) et il ne craint pas de dire que « le Manuel d'Epictète est le Code le plus parfait et le plus complet de morale humaine qui

« existe. >

Il y a dans un autre discours un bon passage sur la justice égale due par les maîtres à leurs élèves, quelles que soient les différences de leurs intelligences, de leurs caractères, de leurs positions sociales (p. 91-92) l'enfant est plus sensible encore que l'adulte à l'injustice », peut-être parce qu'il n'est pas encore accoutumé aux épreuves de la vie et surtout parce qu'il est plus exposé, par son inexpérience, à

voir l'injustice où elle n'est pas. En même temps que l'école doit assurer la justice à l'enfant moins bien doué que les autres, « elle doit « être pour ceux-ci un apprentissage de la fraternité » (p. 81).

Nous n'avons pas assez d'espace pour mentionner des idées élevées, ramenées souvent, sur le patriotisme : la Roumanie n'offre pas encore ce type, aussi étrange que triste, de certains hommes qui se targuent d'être sans patrie; cependant, M. Kalindéro ne croit pas inutile de donner une définition de la patrie (p. 49, et il présente un tableau frappant de ses bienfaits, en même temps que des devoirs que ceux-ci nous imposent en échange (pp. 166-170, 188-190 et 208); il s'attache à faire comprendre à ses jeunes auditeurs que c'est l'amour de la patrie. toujours entretenu, malgré la longue domination des Turcs, qui a permis à la Roumanie de conquérir son indépendance en 1877 (p. 52-53). Nous disions, en commençant, que la Roumanie est un pays démocratique nous y sommes autorisé par notre auteur lui-même (p. 160). et ailleurs il y insiste, au point de vue économique, en disant que <«< rien ne favorise la production de la richesse comme la démocratie << où l'activité féconde des citoyens contrebalance les inconvénients << des agitations populaires » (p. 219).

Nous nous reprocherions de ne pas relever, en terminant, l'hommage rendu à la France « qui, après avoir vu la victoire déserter ses drapeaux, a su se relever avec autant de force et de fierté qu'elle en << avait mis à supporter d'immenses revers, sans découragement et << sans désespérer d'un retour de la fortune » (p. 171).

G. BOISSONADE.

NOTICES BIBLIOGRAPHIQUES

I Dazi fiscali e i consumi, per ALDO CONTENTO. Br. in-8°. Bologna Alfonse Garagnani e figli, 1896. Tous les théoriciens financiers accordent leur préférence aux impôts directs; et pourtant, dans la pratique, les impôts sur la consommation, les impôts à large base vont toujours en augmentant. D'où vient cette contradiction, se demande M. Contento? Elle vient des dépenses excessives de l'État et de ce que les impôts indirects sont plus faciles à prélever pour couvrir les déficits budgétaires. Cette politique de déficits, de gaspillages peut-elle

continuer ? M. Contento ne le croit pas. Les statistiques qu'il cite montrent que, en Italie, les taxes indirectes sont arrivées au point de réduire la consommation, ce qui arrive même pour les grains. A cet état de choses l'auteur ne voit qu'un remède : diminuer graduellement jusqu'à suppression complète, la taxe de la faim, et suivre la politique (pour l'Italie s'entend) que ses conditions et non ses ambitions lui imposent.

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Sui rapporti tra capitale e lavoro, per A.-J. DE JOHANNIS, br. 8°. Firenze, tipogr. M. Ricci, 1896. Le capital, dit M. de Johannis, a puissamment contribué à augmenter la somme du bien-être, mais il n'a pas fait grand'chose pour en améliorer la distribution. Tandis que le capital social est extraordinairement augmenté, nous trouvons encore, dans les sociétés les plus civilisées, des hommes qui n'ont pas de travail, d'autres qui travaillent tout le jour et ne gagnent pas suffisamment pour se maintenir eux et leur famille, d'autres qui sont réduits à s'expatrier. Partant de ce fait, M. de Johannis en conclut que c'est le capital qui garde la plus-value, ce qui ne l'empêche pas de se défendre des accusations de socialisme qu'on lui adresse, et il propose à l'Académie des Géorgophiles de discuter cette question : « Si et dans quelles limites et en quels modes le capital à son propre avantage et à l'avantage général doit concourir à rendre moins âpre le menaçant conflit avec le travail, en maintenant et même en renforçant sa fonction économique.

M. de Johannis, comme tous les socialistes et même comme certains économistes, les professeurs - ne voit que deux facteurs dans la distribution le capital et le travail; il oublie l'État, précisément celui qui prend la part du lion et qui est la vraie source de l'inégalité excessive. Et pour y remédier il s'adresse au capital, mot abstrait, et à la classe dirigeante; mais ici il se trompe de porte. La classe dirigeante, en régime de suffrage universel, n'est plus la classe riche, mais la classe pauvre; c'est celle-ci qui, à son détriment, pousse sans relâche à l'extension des attributions de l'État et, par conséquent, à l'augmentation de sa part de richesse.

ROUXFL.

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