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vêtements confectionnés ne revenant probablement pas plus cher, le loyer n'étant, dans beaucoup de cas, plus coûteux que parce que le logement est plus grand, il s'ensuit que les objets de con. sommation ordinaire en quantité et à qualité égales, coûtent plutôt moins que plus et ne coûtent certainement pas plus à la famille ouvrière dans les villes des Etats-Unis que dans celles de France, et que, par conséquent, le salaire réel est, comme le salaire nominal, beaucoup plus élevé aux Etats-Unis qu'en France.

3o Ce taux élevé du salaire nominal et réel a créé pour l'ouvrier américain «< Standard of living » un type d'existence supérieur à celui de l'ouvrier français et même de l'ouvrier anglais. La vie de l'ouvrier est plus large en Amérique qu'en Europe. Le bien-être de l'ouvrier se manifeste par l'application d'une somme plus forte à presque tous les chapitres de son budget, par une nourriture sinon variée, au moins plus abondante et plus substantielle, par le luxe de la toilette, par les commodités de l'habitation, par les soins consacrés aux associations de métier et à la prévoyance, au transport, aux besoins moraux et aux distractions, de l'autre côté, par la part proportionnelle faite à chacun de ces chapitres, la nourriture absorbant à peine la moitié du revenu, tandis qu'elle en absorbe jusqu'aux trois cinquièmes dans d'autres pays. Qu'il gaspille parfois, c'est un tort qui provient d'un manque d'éducation; mais qu'il porte la somme de ses consommations au niveau de son gain, c'est son droit et, s'il fait d'une manière ou d'une autre la part de la prévoyance, il est à l'abri du reproche de prodigalité.

4o C'est avec raison qu'on dit que la vie de l'ouvrier américain est chère. En effet, le pouvoir social de l'argent est moindre pour lui qu'il n'est pour l'ouvrier européen : ce qui signifie qu'il a plus de besoins à satisfaire pour faire comme ses pairs et se maintenir à la hauteur de la condition sociale dans laquelle il est placé, étant plus nombreux, il lui faut plus d'argent. Si un accident, comme une réduction de salaire ou un chômage, oblige momentanément l'ouvrier à retrancher quelque chose de ces satisfactions, il souffre de la privation, comme on souffre dans toutes les classes de la société d'une diminution du bien-être et il se croit malheureux. Avec 5 francs par jour, un ouvrier français est à l'aise, avec 1 dollar, l'américain est dans la gêne.

5o Au-dessous du taux moyen des salaires, il y a, en Amérique comme en Europe, une masse considérable d'ouvriers qui ne peuvent pas atteindre à ce Standard of living, parce que, étant sans éducation professionnelle, ils n'ont que leurs bras à offrir et qui

vivent péniblement parce qu'ils ne peuvent pas vivre comme leurs camarades.

6° Au-dessous de cette masse il y a aussi en Amérique comme en Europe des gens qui sont impuissants à vivre de leur travail et on peut voir dans les grandes villes de l'Amérique le spectacle de misères navrantes;

7 Depuis 1830, le salaire nominal de l'ouvrier américain a été presque toujours en augmentant, cette augmentation n'ayant été interrompue qu'en apparence lorsque le papier-monnaie déprécié a fait place à une bonne monnaie.

8° De 1830 à 1860, le prix des marchandises a augmenté, mais dans une proportion qui semble être quatre fois moindre que l'augmentation des salaires, de 1860 à 1891. abstraction faite de l'exagération produite par le papier-monnaie, il a diminué de 9 p. 100; il en résulte que de 1830 à 1860 le salaire réel avait augmenté un peu moins que le salaire nominal, mais que de 1860 à 1891 il augmente davantage.

A Philadelphie, un ouvrier me disait qu'un manœuvre pouvait faire des économies en gagnant 9 dollars par semaine, s'il avait un femme bien entendue; un autre à Saint-Louis m'assurait qu'avec 10 dollars il était très difficile de faire vivre une famille. Dans une conversation, à table, des ouvriers me citaient des camarades qui étaient propriétaires de deux et mème de trois maisons et ils agitaient la question de savoir si des cigariers ou des tisseurs avec 15 dollars par semaine pouvaient acquérir une maison. « Non », disait l'un; « si, assurait un autre, mais en se privant énormément, et l'Américain n'aime pas à se priver. » Combien d'ouvriers en France n'ont pas 35 à 40 francs par semaine pour faire vivre leur famille et ne songent pas à la possibilité d'acquérir des immeubles. C'est que le niveau de l'existence n'est pas le même dans les deux pays et que, par suite, les besoins et le tour d'esprit diffèrent.

Mais cela n'implique pas l'impossibilité pour l'ouvrier français de joindre, comme on dit vulgairement, les deux bouts. Un Américain transplanté tout à coup en France ne le pourrait peut-être ou sentirait très péniblement la privation. Un Européen transplanté en Amérique jouit de la différence, donne d'abord son travail à prix réduit et ne tarde pas à se mettre à l'unisson: c'est la rançon de l'immigration et de l'ombrage qu'elle porte aux Américains.

Cela n'implique pas non plus que l'Américain se meut à l'aise dans son budget. Il s'est fait des besoins multiples et coûteux

T. XXIX. MARS 1897.

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parce qu'il avait des ressources et il atteint la limite de son gros salaire comme d'autres s'arrêtent à la limite d'un petit salaire, si bien que, quand survient un incident qui a réduit le salaire ou grossi la dépense, il est dans la gêne et il se plaint. Or, ces incidents ne sont pas rares dans la vie de l'ouvrier.

Pour essayer de donner une idée précise de ce qui n'est pas susceptible de précision, je dirai qu'avec 2 dollars l'Américain se procure peut-être deux fois plus de choses utiles ou agréables que le Français avec 1 dollar, mais qu'il est loin d'avoir le sentiment de cette différence parce qu'il ne songe pas plus à ce que gagne le Français que le Français ne songe à ce que gagne l'Hindou, et que l'habitude qu'il a de son bien-être émousse chez lui, comme chez la plupart des hommes, le plaisir de la jouissance; qu'au contraire, s'il se trouve tout à coup réduit à 1,50 dollar, il sent vivement la douleur de la privation parce qu'il ne peut plus satisfaire des besoins dont il avait contracté l'habitude.

Nous savons que, d'une manière générale, c'est le salaire qui, fournissant à la dépense, détermine le ménage de la vie ouvrière et non le ménage qui fait le taux du salaire. Dans tout pays, en effet, l'ouvrier accommode son genre d'existence, « Standard of living », à son gain. L'Américain ne fait pas exception; il va jusqu'au bout de ses ressources, parce que ce n'est jamais le désir. c'est le moyen de consommer qui manque. C'est pourquoi il ne lui vient pas à la pensée qu'il jouisse d'un superflu quand il est dans la région des salaires élevés ou moyens et il s'irrite de n'avoir pas le nécessaire quand il vit dans la région basse ou qu'il tombe accidentellement.

Est-ce à dire que le progrès du bien-être soit chose indifférente parce que le sentiment n'en est pas persistant? Nullement. L'homme vit de richesse et si la richesse n'est pas l'idéal, mème, si elle est loin d'être l'unique but pratique que poursuive l'humanité, elle est néanmoins la condition de sa vie matérielle et elle facilite le développement de sa vie morale. Le bien-être vaut par lui-même, indépendamment du plaisir superficiel qu'il procure, et il est d'autant plus intéressant pour l'humanité, d'autant plus important pour la politique qu'il descend dans les couches sociales où il y a toujours beaucoup de gène, d'insuffisance et de misère et qu'il va améliorer la situation des masses peu fortunées, qui gagnent leur pain de chaque jour par le labeur quotidien, toujours exposées, quel que soit le taux de leur salaire, à s'en voir privées par des accidents économiques, comme le chômage, ou par des accidents physiques, comme la maladie.

Le triple progrès du salaire nominal, du salaire réel et de la richesse générale d'un pays se manifeste par une diminution du pouvoir social de l'argent qui n'est pas particulier à l'Amérique. Je l'ai constaté et j'ai essayé de l'apprécier pour la France dans mon ouvrage sur La Population française.

L'amélioration est due, d'une part, aux progrès de l'industrie agricole et manufacturière; d'autre part, à la productivité de l'ouvrier armé d'un outillage plus puissant, à l'abondance des capitaux et à la demande de travail, au développement de l'instruction et à l'organisation corporative des ouvriers.

Sir Robert Giffen et d'autres économistes l'ont constaté pour l'Angleterre et récemment la commission royale du travail la signalait comme conclusion dernière de son rapport final 2. E. LEVASSEUR.

↑ La Population française, t. III. 2 Le passage mérite d'être cité :

« The impression left by the evidence as a whole is that among the more settled and stable population of skilled work people there has during the last half century been considerable and continuous progress in the general improvement of conditions of life, side by side with the establishment of strong trade custom adapted to the modern system and scale of industry. Experience may fairly be said to have shown that this part of the population possesses in a highly remarkable degree the power of organisation, selfgovernment and self-help. Work people of this class earn better wages, work fewer hours, have secured improved condition of industrial and domestic life in other respects, and have furnished themslves through tradeunions and friendly societies...

The classes who compose the lower grades of industry, regarded as a whole, have probably benefited no less than the skilled workers from the increased efficiency of production; from the advantages conferred by legislation from the cheapening of food and clothing, and from the opening out of new fields for capital and labour... The mass of wholly unskilled labour, part has been absorbed into higher grades, while the percentage of the total working population earuing bare subsistence wages has been greatly reduced...

There is still a deplorably large residuum of the population, chiefly to be found in our large cities, who lead wretchedly poor lives and are seldom far removed from the level of starvation; but it would seem that, not only the relative, but perhaps even the actual numbers of this class also are diminishing.» Royal commission on Labour Fifth and final report, part I, p. 24.

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Sans exagération aucune, on peut dire que l'application, aux affaires en général, du principe de la compensation, a produit les plus merveilleux résultats. Il suffit pour justifier une telle assertion de présenter les statistiques des Clearing-Houses actuellement existants, et de voir combien peu de capitaux, de titres ou de marchandises sont réellement employés pour liquider de si colossales transactions.

ERNEST

1 On peut consulter sur cette question les ouvrages suivants : P.-J. COUILLET : Les chèques et le Clearing-House, Paris, 1861. SEYD: Système des banques de Londres et du Comptoir de liquidation des banquiers (traduction française), Bruxelles, 1872. — H. HOWARTH: Our Clearing System and Clearing-Houses, Londres, 1884. HENRICH RAUCHBERG: Der Clearing und Giroverkehr, Vienne, 1886. WILLIAMS CAMP: The New York and London Clearing-House systems, New-York, 1886. G. FRANÇOIS ClearingHouses et Chambres de compensation, Lille, 1887. CHARLES BERTEAUX : Etudes sur la Chambre de compensation ou Clearing-House de Londres, Neuilly, 1887. ALBERT TESSIER: Trailé théorique et pratique des Chambres de compensation (Clearing-Houses), Paris, 1894. PAUL HAMMERSCHLAG: Abrechnungsstellen, Check und Giroverkehr, Vienne, 1895.

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