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mentation, qui serait réalisée par la frappe libre de l'argent, un remède à leurs maux; au Sud, la partie de l'Union qui compte le plus d'illettrés, la doctrine de l'inflation, de la monnaie à bon marché, est toujours sûre de rencontrer de nombreux partisans. En se prononçant en faveur de l'étalon d'or, la majorité de la population a vraisemblablement entendu donner, en même temps, mandat au nouveau congrès, de régler enfin d'une manière définitive cette question de la circulation monétaire qui, pendant ces quatre dernières années, a causé de si nombreux embarras au gouvernement. Tout d'abord, en apprenant que M. Mac Kinley avait chargé un de ses familiers, M. Wolcott, sénateur du Colorado, état qui fournit à lui seul 35 p. 100 de la production totale de l'argent aux Etats-Unis, d'une mission privée n Europe, pour se rendre compte des chances que pourrait avoir la proposition d'une nouvelle conférence monétaire internationale, on a pu craindre de voir la réforme indéfiniment ajournée. Mais l'annonce ofticielle du choix, par le nouveau président, de M. Lyman J. Gage, comme secrétaire du Trésor, a rendu confiance au monde commercial et industriel. M. Gage, ancien président de l'association des banquiers d'Amérique, et actuellement président de la première banque nationale de Chicago, est un partisan déclaré de l'étalon d'or, et il tiendra certainement à honneur de faire tous ses efforts pour vaincre le parti des silvermen, qui revient encore assez nombreux à la Chambre et conserve surtout des partisans au Sénat; et pour résoudre la question monétaire il sera soutenu par les membres de la conférence qui s'est réunie à Indianopolis à la fin du mois de janvier. Cette conférence, composée uniquement d'hommes d'affaires, représentants des principaux corps commerciaux de l'Est, a adopté une motion demandant, pour assurer le maintien de l'étalon d'or, le rachat et le retrait de la monnaie de papier émise par le gouvernement fidéral et son remplacement dans la circulation par des billets des banques nationales. Cette solution, la seule possible, a été présentée plusieurs fois par M. Cleveland dans ses messages, mais il n'a jamais pu obtenir du Congrès qu'il s'intéressat quelque peu à ce sujet. Au 1er novembre 1896, sur une circulation de 1.627 millions de dollars, 731 millions, soit 45 p. 100, étaient représentés par du papier: greenbacks, silver certificates, treasury notes de 1890, que le Trésor pouvait s'attendre à tout instant à voir affluer à ses guichets, et qu'il devait rembourser indifféremment en or, sous peine de faire naître immédiatement une prime sur ce métal. Puis, ces billets remboursés, il devait les mettre eu circulation, et fournir ainsi au public les moyens d'attaquer de nouveau sa réserve-or, si difficile à maintenir. En trois années, du commencement de 1894 à la fin de 1896, le Trésor a dù émettre, pour reconstituer sa réserve-or plusieurs fois atta

quée, 262 millions de dollars d'obligations, et l'intérêt annuel de la dette publique a été augmenté ainsi, pour cet unique motif,de plus de 16 millions de dollars. Ce serait un acte de sagesse et de bonne politique de la part du parti républicain, s'il profitait de la majorité dont il va jouir au 55 Congrès, pour mettre le Trésor à l'abri du contre-coup de toutes les crises financières ou commerciales et pour retirer au Gouvernement ces fonctions de banque d'émission qui se sont montrées si onéreuses pour lui.

L'attention du prochain Congrès sera également attirée par une autre question : celle du déficit budgétaire, qui a commencé en 1893-94, et, pour les trois dernières années fiscales, 1892-94, à 1895-96, s'est élevé à 140 millions de dollars; dans son dernier rapport, le sécrétaire du Trésor prévoyait encore un déficit d'au moins 64 millions pour I année 1896-97. Les causes de ce déficit sont dues, pour une grande part, à ce même parti républicain que les dernières élections viennent de renvoyer au pouvoir. C'est à lui qu'est due l'exagération extraordinaire des pensions, dont ses chefs avaient fait un moyen commode de gouvernement. De 50 millions en 1881, ce chapitre du budget fédéral s'est élevé à 89 millions en 1889, et, par une délicieuse ironie, continuant à augmenter, à mesure qu'on s'éloignait de l'époque de la guerre, il a atteint 158 millions en 1893, formant environ 40 p. 100 des dépenses totales. L'accroissement de celles-ci a été d'ailleurs singulièrement rapide et, trop souvent nullement justifié. Dans une période de dix ans, en pleine paix, les dépenses ordinaires du gouvernement se sont élevées de plus de 100 millions de dollars, passant de 263 millions, moyenne de la période 1885-89, à 358 millions, moyenne de la période 1893-96; elles sont évaluées à 382 millions et demi pour l'année en cours, 1896-97.

Une semblable situation ne peut se prolonger, et il va falloir aviser aux moyens de faire cesser le déficit. Sur ce point, les avis sont très partagés. M. Cleveland ne s'est pas lassé de répéter au Congrès que le vrai remède serait de revenir à une politique fiscale moins onéreuse, d'entrer résolument dans la voie des économies. Personne ne lui a fait écho dans le Congrès, où Représentants et Sénateurs ont continué à s'ingénier et s'ingénieront certainement pendant de longues années encore, à faire tomber sur leurs constituants une manne aussi aboudante que possible, et lorsqu'en juin dernier le président a cru devoir opposer son veto au River and harbor bill, dont il trouvait la plus grande partie des dépenses non justifiées, il l'a vu annuler par un vote presqu'unanime à la Chambre et au Sénat. M. Mc Kinley, et

les républicains, préconisent un autre remède : l'élévation des taxes douanières, qui permettrait, tout en mettant fin aux déficits du Trésor, ce qui n'est d'ailleurs nullement assuré, d'accorder une protection indispensable, selon eux, aux industries nationales. Il est presque certain que le Congrès sera convoqué en union extraordinaire le 15 mars pour aborder cette grave question : la confection d'un nouveau tarif douanier. Les industries de l'Est ne sont pas seules à s'agiter pour demander des augmentations de droits. Les éleveurs de moutons, qui résident principalement dans les États d'Ohio, de Michigan et du Texas sont déjà en campagne pour obtenir un droit sur la laine, que le tarif Gorman-Wilson, de 1894, avait ajouté, à la liste des produits entrant en franchise. Il est probable qu'ils obtiendront gain de cause, et que, pour assurer leur succès, les industriels abandonneront aux agricul teurs un droit sur la laine et sur le sucre.

Le Sénat a voté, il y a quelques jours, après la Chambre, un nouveau bill sur l'immigration. Après avoir contenté les patrons, les protectionnistes américains se voient obligés d'accorder également quelques satisfactions aux ouvriers. La loi relative à l'exclusion des Chinois cachait, sous prétexte de limiter l'invasion des Célestes, dangereuse pour la moralité de la population et la pureté de la race, un véritable désir de protection économique. Le contract labor act, qui donne au gouvernement le droit de s'opposer à l'entrée des immigrants engagés avant leur embarquement pour les États-Unis, procédait de la même idée, mais les difficultés d'exécution l'ont empêché de produire aucun résultat. La nouvelle loi, au contraire, amènerait vraisemblablement une réduction sensible dans le nombre des immigrants, grâce à sa facilité d'exécution. A l'avenir, l'entrée des États-Unis devra être refusée à tout immigrant, homme ou femme, âgé de 16 à 60 ans qui ne pourra lire et écrire cinq lignes prises au hasard dans la constitution américaine, soit en anglais, soit dans sa propre langue. La femme, le père et la mère, ainsi que les enfants d'un immigrant seront exemptés de cette épreuve. Suivant le rapport du commissaire de l'immigration, 28.63 p. 100 des immigrants au-dessus de 14 ans, arrivés dans l'année 1895-96, ne savaient ni lire ni écrire, et 100.000 environ, sur 343.267, chiffre total des arrivés, seraient tombés sous le coup de la loi. Dans la discussion qui a eu lieu au Congrès, personne n'a songé à justifier cette mesure en invoquant la nécessité de protéger les institutions politiques, que la présence d'un trop grand nombre d'illettrés pourrait mettre en danger. Son dessein avéré est bien de faire

obstacle au mouvement actuel d'immigration, dans un but protecteur. C'est l'abandon de la vieille idée américaine suivant laquelle tous les étrangers étaient favorablement accueillis sur le sol de l'Union, pourvu qu'ils fussent en état de gagner leur vie. Les immigrants qui seront le plus atteints par cette loi seront les Autrichiens, les Hongrois, les Russes et les Italiens, qui ont fourni, en 1895-96, près de 45 p. 100 de l'immigration totale et qui comptent le plus grand nombre d'illettrés.

Pendant la session qui vient de finir, le Sénat a répoussé encore une fois, un bill concernant la Compagnie du Canal maritime du Nicaragua. C'est le cinquième de ce genre présenté en 1896 au Congrès. Il avait pour but, de même que les précédents, de faire revivre la compagnie inoribonde du canal et de reprendre les travaux, à peine commencés d'ailleurs, d'une manière directe ou indirecte, avec les fonds du gouvernement. La construction de ce canal tient à cœur à bon nombre de citoyens des Etats-Unis qui voient là, outre un élément de trafic, une route stratégique pour les escadres de l'Union, en cas de guerre, et se montrent très disposés à oublier qu'il serait construit sur un territoire étranger. Ceux-là contracteraient volontiers l'obligation de protéger à la fois le Nicaragua et le canal. En 1887, la Maritime Canal Cy of Nicaragua, compagnie américaine, obtenait de ce dernier État, dans certaines conditions, le droit de faire le canal. Deux ans après, en février 1889, la compagnie recevait du Congrès un act d'incorporation, qui l'autorisait à émettre un capital de 100 millions de dollars et à le porter éventuellement à 200. Très prudemment, l'act spécifiait dans les termes les plus formels, qu'il n'existait aucuns rapports financiers entre le gouvernement et la compagnie. Celle-ci constitua ensuite une compagnie de construction qui a été déclarée en faillite en 1893. En 1890, M. Cleveland, probablement pour satisfaire de nombreuses sollicitations, envoya une commission composée d'ingénieurs de la marine et de l'armée, inspecter le canal. La commission a écrit un rapport bien peu encourageant. Tout d'abord, elle déclare très douteuse la possibilité d'exécution. Néanmoins, si on persistait dans l'entreprise, elle estime qu'il serait nécessaire de se livrer auparavant à des travaux d'études sont la durée serait d au moins un an et demi et qui absorberaient environ 350.000 dollars. Quant au coût probable du canal, que la compagnie évaluait à 70 millions de dollars au maximum, la commission l'évalue à 133 millions au moins. L'écart est assez considérable, et peut-être y aurait-il encore des surprises! C'est dans ces condition que les intéressés demandaient au gouvernement de garantir l'émis

sion de 100 millions de dollars d'obligations 3 p. 100 de la compagnie maritime. Le plus curieux cependant, c'est que le ministre de la République Centrale Américaine, à Washington, a protesté contre l'acceptation éventuelle de ce projet la compagnie n'ayant pas rempli ses engagements, son contrat est résilié, et, en outre, le Congrès, peu soucieux de ce petit état, légiférait sans s'inquiéter de lui, faisant entrer dans le bill des clauses toutes contraires à celles insérées par Je Nicaragua dans l'acte primitif de concession. La chose est quelque peu risible. Il est cependant vraisemblable que ce ne sera pas la dernière fois qu'on entendra parler du Canal et de la Compagnie.

L'année 1896 n'a pas été une heureuse année au point de vue des affaires. Elle a été troublée par la période des élections, qui a arrêté le mouvement de reprise commencé en 1893, et aussi par les évènements extérieurs. Le conflit avec l'Angleterre au sujet du territoire contesté vénézuélien, puis l'attitude peu régulière prise par le Congrès vis-à-vis de l'Espagne, à propos de Cuba, ont causé d'assez sérieuses inquiétudes. La première question est aujourd'hui réglée; quant à la seconde, il semble que M. Mc Kinley ne sera pas plus disposé que son prédécesseur à prendre au sérieux les déclarations belliqueuses des Chambres.Il s'est produit, en décembre, quelques faillites parmi des banques des états du Nord-Ouest, mais ces catastrophes paraissent n'être que locales. En tout cas, la nouvelle année s'annonce comme devant être meilleure. On signale une reprise d'activité dans l'industrie du fer, et les producteurs de blé, qui ont eu une assez belle récolte, vont bénéficier de l'élévation des prix amenée par la famine dans l'Inde et une récolte insuffisante en Australie.

ACHILLE VIALLATE.

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