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sociale et non pas d'économie politique. On sait ce que cela veut dire. Aux yeux de M. Laboulais, en effet, le patron, l'ouvrier et l'Etat, profitant tous trois des bienfaits de la production, doivent se charger, par parts égales, d'assurer les travailleurs contre l'incapacité de travail provoquée par accidents, maladie ou vieillesse. Il ne paraît pas se douter le moins du monde que l'Etat n'a d'autres richesses que celles qu'il puise dans la bourse des contribuables, d'où il résulte que les charges qu'on lui fait assumer retombent en totalité sur les consommateurs au nombre desquels se trouvent forcément employeurs et employés et qu'il s'ensuit pour ces derniers un double débours.

En somme, s'il nous fallait formuler un jugement à propos de cet ouvrage, voici ce que nous dirions auteur rempli d'excellentes intentions et de bonne volonté, moins soucieux de serrer de près la réalité que de nous présenter des ouvriers à la Florian au milieu desquels ose à peine se montrer la brebis galeuse, que les sages avis dont on l'accable ne tardent pas, du reste, à transformer en la meilleure des ménagères; mais livre un peu trop bâclé dans son ensemble. Pour n'en citer qu'un exemple: M. Laboulais, parlant d'une maladie due à une hygiène défectueuse et surtout à l'alimentation en maïs l'appelle, à trois reprises différentes, la «< palabre ». Est-il question d'une maladie nouvelle, d'une récente désignation ou ne s'agit-il pas plutôt de la maladie connue jusqu'ici sous le nom de « pellagre»? Après tout, si l'on en juge par celles dont le livre est émaillé, les Angevins car l'endroit choisi par

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l'auteur pour sa mise en scène est Angers ont des expressions si peu semblables aux nôtres qu'il n'y a pas lieu de s'étonner si en Anjou pellagre » est devenu « palabre ›

M. LR.

GERMAN SOCIAL DEMOCRACY, par BERTRAND RUSSELL,agrégé de Trinity College, à Cambridge. Longmans, Green et Co, Londres. 1 vol.1896.

Ce volume comprend six conférences données à l'Ecole des Sciences économiques et politiques de Londres et fait partie de la série d'Études économiques et politiques qu'elle publie. L'auteur se défend de la prétention de raconter l'histoire complète du socialisme démocratique allemand et vise simplement à mettre en relief comment il est arrivé à jouer en Allemagne le rôle prépondérant que l'on sait. M. Russell ne s'arrête donc pas à Rodbertus, dont l'influence directe ne s'est jamais fait sentir que dans un cercle très restreint; pour Lassalle, après avoir dépeint son activité agitatrice, il met surtout à l'avant plan ce qu'il a pris à Marx, l'oracle et le prophète de

l'école. Une large place est naturellement accordée à la législation du prince de Bismarck contre les menées et la propagande du parti socialiste. A propos de cette législation s'étale avec une certaine naïveté le dédain inné de tout Anglais de vieille roche pour les institutions qui ne sont pas celles de l'Angleterre; M. Russell n'a pas tort de préférer ces dernières, mais il manque d'objectivité et de sens historique. C'est l'histoire d'un peuple qui façonne ses institutions et les marque de son empreinte tout ce qu'on peut espérer, c'est qu'elles s'adaptent lentement et sans choc aux exigences du progrès humain.

Où, par contre, il a mille fois raison, c'est quand il expose l'état d'âme de la masse socialiste en Allemagne. Celle-ci croit à l'avènement fatal du collectivisme comme un chrétien rigide croit à l'existence de Dieu; ce qui la pousse et la soutient, ce n'est pas seulement le désir d'améliorer sa situation,c'est une croyance intime, une foi,une religion. Comme les paysans soulevés du XVIe siècle invoquaient l'Évangile, la parole divine et le droit divin (das göttliche Recht) pour attester la légitimité de leurs revendications communistes, la population ouvrière et une partie de la petite bourgeoisie allemandes croient au dogme de la plus-value abandonnée gratuitement par le travail, qu'a promulgué Marx; de même que les paysans acceptaient aveuglément l'impulsion de leurs prédicants, les travailleurs écoutent avec recueillement les longues dissertations de leurs orateurs favoris et s'en pénètrent ce sont des mystiques vivant dans l'attente d'un millénium athée et matérialiste, d'un paradis terrestre d'un nouveau genre qui s'ouvrira aux générations de l'avenir. A force d'attendre, ils finiront peut-être par désespérer et par apprendre à distinguer entre le royaume des chimères et celui des réalités.

Le volume se clôt par un appendice sur le mouvement féministe en Allemagne où lady Russell fait ressortir combien ce mouvement s'est imprégné de l'esprit de la guerre des classes. Un homme d esprit a un jour déclaré que le Parlement peut tout, sauf changer une femme en homme; c'est une vérité que le féminisme démocratique parait incapable de saisir. La condition de la femme comporte et réclame, certes, plus d'une réforme, mais ce n'est pas en violentant la nature qu'on y arrivera.

E. CASTELOT.

Les MYSTÈRES DE CONSTANTINOPLE, par Paul de Régla, in 16°, Paris. P. V. Stock 1897.

Les SECRETS D'YILDIZ, par le même, in 16, Paris. P. V. Stock, 1997.

M. Paul de Régla est pour le moins à moitié musulman et il connait

à fond tous les dessous de la vie constantinopolitaine, à laquelle il a commencé à nous initier par ses précédentes publications: La Turquie officielle et les Bus-fonds de Constantinople. Comme on ne peut pas tout dévoiler cruement en pareilles matières, l'auteur des Mystères de Constantinople et des Secrets d' Yildiz a donné à ses révélations la forme du roman historique ou de l'histoire romantique. Il nous fait ainsi assister à des scènes de la vie privée et surtout de la vie politique qui sont très éloignées de ce que nous connaissons et même de ce que nous imaginons en Occident, mais qui n'en sont que plus intéressantes. Pour avoir la clé des évènements véridiques, paraît-il qui sont racontés dans ces deux volumes, il faut se reporter à la Turquie officielle et aux Bas-fonds de Constantinople, ou bien il faut être au courant de l'histoire contemporaine de la Turquie, ce qui n'est pas donné à tout le monde. Il eût donc été à désirer que l'auteur donnât, dans une Introduction, le résumé des faits qui forment le fond de sa relation. Faute de mieux, nous allons essayer, pour l'édification des lecteurs pris à l'imprévu, de donner la dite clé.

Le sultan Abd-ul-Medjid préparait de sérieuses réformes pour son empire, qu'il n'a pas eu le temps d'accomplir. On comptait sur son fils aîné, le prince Mourad, intelligent, instruit à la française et possédant toutes les qualités requises pour mener à bien l'œuvre préparée par son père. Mais les événements n'ont pas répondu à cette espérance. Abd-ul-Medjid a été remplacé par son neveu Abd-ul-Azis, auquel a succédé Abd-ul-Hamid, frère puiné de Mourad, et pour opérer ce coup d'état on a fait passer Mourad pour fou, ce qui est absolument faux, et on le retient prisonnier.

Mourad est un prince qui possède à peu près toutes les qualités : il est ami de la France, il veut la Turquie civilisée, libérale, libre et indépendante. Tandis qu'Abd-ul-Hamid, le sultan actuel, si l'on en croît M. de Régla, est égoïste, ombrageux, vindicatif, même lipémane. Il ne songe qu'à une chose : « accumuler le plus d'or possible dans son palais, pour payer ses créatures, corrompre une grande partie de la presse européenne, faire chanter ses louanges par les plus venaux des journalistes et les agents d'une police secrète, devenue la plus formidable et la plus nombreuse de l'Europe.

Les exploits de cette police font un des principaux objets des Mystères et des Secrets, et voici à quel propos :

La Kadine Marguerite a donné un fils au prince Mourad peu de temps après son internement. La police devait faire disparaître cet héritier présomptif du trône; mais la sage-femme chargée de l'accouchement, qui était du parti de Mourad, a sauvé l'enfant en le remplaçant par un autre qui venait de mourir. Ce secret est révélé au sultan par un

ennuque; la police est mise sur pied; elle fait tout pour découvrir cet enfant et, l'ayant découvert, pour s'en emparer. Les partisans de Mourad font de leur côté, tout ce qu'ils peuvent pour mettre en défaut la police et sauver leur prince. Les incidents de cette lutte nous mettent au courant des mœurs ottomanes : nous voyons la corporation des mendiants, qui a son roi comme nos corporations du moyen âge, prêter son concours dévoué mais non désintéressé à la police; nous voyons, d'autre part, les chefs du parti de Mourad, la Jeune Turquie, rivaliser d'adresse, de ruse et quelquefois de cruauté avec la police. Finalement, les Jeunes Turcs ne sont pas encore arrivés à leur but, mais ils sont en bonne voie. La situation actuelle est telle:

La Turquie est démembrée; la misère du peuple est parvenue à son summum d'intensité; la marine militaire est détruite; l'armée est désorganisée à force d'organisations nouvelles; les revenus de l'Empire sont dévorés par les deux minotaures qui s'appellent Yildiz et la Dette publique ottomane; les anciens serviteurs du sultan Mourad sont morts ou exilés; «< la nuit du silence règne autour de la noble victime de la politique anglaise et des ambitions misérables de son impérial frère... » Mais la Jeune Turquie existe sous forme de société secrète, se rapprochant beaucoup de l'organisation des carbonaris, et elle travaille dans l'ombre à faire arriver au trône le fils de Mourad, qui est en lieu sûr. « Comme élément de succès, dit M. de Régla, nous avons la discorde et la jalousie des puissances européennes; les fautes journalières commises par Abd-ul Hamid et les excès de ses courtisans; la haine et le mépris que les chrétiens de notre pays professent les uns contre les autres; les ambitions démesurées de l'Angleterre, etc. etc. >>

On voit que M. de Régla pose la question d'Orient sous une forme nouvelle et originale. Qu'en faut-il penser? Laissons cette question à résoudre aux plus fins diplomates et disons seulement que les événements sanglants qui viennent de se passer en Turquie donnent aux Mystères de Constantinople et aux Secrets d' Yildiz ua intérêt d'actualité qui ne peut que contribuer à leur succès.

ROUXEL.

CHRONIQUE

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L'exécution

SOMMAIRE: La corruption électorale et l'affaire du Panama. des marchés électoraux aux Etats-Unis. Le nouveau tarif. Le monvement de la population française en 1895, et les causes de son ralentissement. L'adoption de l'étalon d'or au Japon. La récolte du blé dans le monde et les probabilités du retour des vaches maigres. Une conférence de M. Ernest Brelay. Les finances de l'Angleterre sous le régime du free trade. Le rachat des chemins de fer en Suisse.

Dans tous les pays où le gouvernement intervient pour protéger ou réglementer l'industrie, il est bien rare que la protection ou les permissions qu'il faut obtenir de l'autorité dite compétente ne s'achètent pas d'une manière ou d'une autre. Aux Etats-Unis où les manufacturiers de l'Est ont contribué pour une large part aux frais de l'élection de M. Mac Kinley et des républicains du congrès ils exigent, à titre de compensation, le rétablissement d'un régime de protection qui les remboursera au centuple de leurs avances. C'est une sorte de marché qui a passé dans les mœurs, et qui ne fait point scandale, bien qu'il se résume dans un achat d'influence et de votes. Sans doute, les manufacturiers protectionnistes n'ont pas donné de la main à la main aux candidats, la somme nécessaire pour subvenir aux frais de leur élection en exigeant en retour la promesse d'élever de 80 à 250 p. 100 les droits sur les tissus, mais la chose a été entendue, et on ne saurait dire que les votes n'aient pas été achetés car ils ont été payés d'avance.

En France, l'achat de votes n'est pas encore complètement entré dans les mœurs, et il n'a pas cessé de faire scandale. La remise au jour de la malheureuse affaire de Panama atteste qu'à cet égard nous ne sommes qu'à demi américanisés. Et si l'on remonte à la cause originaire de ce scandale n'est-ce pas au système de privilège et de réglementation qui se met en travers de toutes les entreprises qu'en revient, au moins pour une bonne part, la

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