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Richelieu retourna encore une fois à son évêché, il devait attendre huit ans avant de ressaisir le pouvoir.

Nous attendons avec une vive curiosité le troisième volume de M. Hanotaux. Avec lui commencera l'œuvre véritable du grand Cardinal. LEON ROQUET.

LES CONSÉQUENCES DE L'ANTISEMITISME EN RUSSIE, par M. CHMERKINE, avec une préface de M. G. DE MOLINARI. 1 vol. in-18, Guillaumin et Cie, 1897.

Il y aurait beaucoup à dire, à bien des points de vue, sur l'antisémitisme, sur ses origines et sur ses conséquences, tant morales que materielles. C'est une maladie dont l'Europe entière, comme le dit M. d Molinari, et l'Afrique aussi, hélas ! — subit en ce moment une recrudescence, ou plutôt c'est une des formes d'une maladie plus générale. C'est l'intolérance, le fanatisme, l'envie et la haine de la concurrence, dans le domaine de la pensée comme dans le domaine de la production et du commerce, dont l'antiprotestantisme, l'antichristianisme, l'antithéisme et l'antimaçonnisme lui-même ne sont peut-être que des variétés. Vaste, grave et délicat sujet, qui mériterait une étude sérieuse, mais très délicate à faire, à cette heure surtout. Hardi qui osera se risquer à l'entreprendre, comme il le faudrait, dans un esprit impartial et serein. Ignes suppositos cineri doloso.

M. Chmerkine n'a pas tenté cette grande entreprise. Il n'a abordé qu'un des côtés du sujet, le côté économique, et il ne l'a étudié que sur un terrain spécial, celui qu'on connait le mieux, il est vrai, celui avec lequel, par la violence de la guerre faite à l'élément juif comme par l'état du marché, les résultats ont été les plus accusés et les plus faciies à constater.

Or ce qui ressort de cette étude faite, on s'en aperçoit bien vite, sans passion, et à l'aide des documents les moins contestables, des documents officiels eux-mêmes, c'est que la proscription des juifs, dans la comme il arrive d'ordinaire de grande majorité des cas, a eu, toutes les mesures injustes et violentes, des conséquences absolument contraires à celles que l'on s'en était promises. On a proscrit les Juifs comme usuriers et pour soustraire à leurs manœuvres les paysans et les propriétaires.Et en faisant disparaître l'un des rouages indispensables, dans l'état actuel, de l'outillage économique de la Russie, en supprimant la concurrence que se faisaient entre eux et que faisaient aux spéculateurs orthodoxes, aux Koulaks notamment, tous ces petits commerçants apres au gain mais toujours prêts à se contenter au besoin d'un bénéfice médiocre, on a livré les paysans, les commerçants et les

propriétaires aux privilégiés orthodoxes, popes ou femmes de popes, fonctionnaires véreux ou autres, qui abusent de l'ignorance ou de la peur du paysan, trompent sur le poids et le prix, et élèvent à 200, 300 p. 100 et davantage, l'intérêt que le Juif réduisait à 15, 20 ou 30.

Ces faits et bien d'autres, cités par M. Chmerkine, paraissent incroyables au premier aspect. On est bien forcé d'y croire quand on les voit attestés, comme je viens de le dire, par des documents officiels; quand ce sont, par exemple, des gouverneurs de provinces qui pro testent, au nom de l'intérêt de leurs administrés, contre les rigueurs dont les Juifs sont l'objet; les habitants qui, ne pouvant plus vendre leurs produits, s'adressent au secrétaire de l'assemblée provinciale en lui demandant de leur procurer un Juif pour leur servir d'intermédiaire, ou le gouvernement lui-même qui accorde à ces hommes qu'il a expulsés des territoires intérieurs l'autorisation de s'y rendre pour affaires commerciales, leur intervention comme agents intermédiaires étant reconnue nécessaire. La comparaison entre Odessa, où les Juifs, réduisant des trois quarts les bénéfices qu'exigeaient les Grecs, ont pris, au grand avantage de tous, la place de ceux-ci, et Kiew, où, à leur défaut, le commerce languit et les transactions sont chargées de frais écrasants, est des plus significatives.

M. Chmerkine va plus loin. Il établit, pièces en mains, que depuis 1887, époque où commence à s'accentuer la politique antisémique, les heureux développements dus aux mesures conciliantes d'Alexandre II ne cessèrent de faire place à la stagnation et à la souffrance. Et il ne craint pas d'affirmer, avec l'autorité de documents officiels, encore une fois, que si le commerce et le transport des grains n'avaient pas été, en 1891, paralysés par la suppression des intermédiaires juifs, la famine si cruelle de cette année aurait été, ou évitée, ou du moins, singulièrement atténuée. L'ensemble de la récolte, en effet, aurait pu suffire, à la condition d'être bien distribuée. Elle n'a pu l'être, malgré le progrès des moyens de transport et d'information, chemins de fer et télégraphes; et l'on a vu ce qui ne se voyait pas à des époques moins avancées.

Que, sur tel ou tel point, l'étude de M. Chmerkine soit discutable, c'est possible. Mais elle est assurément des plus intéressantes comme des plus consciencieuses. Elle prouve, une fois de plus, que ce n'est jamais en vain que l'on viole les lois de la justice et que l'on attente à la liberté. Elle prouve, notamment, que ce n'est pas en supprimant la concurrence qu'on en supprime les abus, et, puisque c'est en qualité d'usuriers que l'on poursuit les Juifs, que le plus sur moyen de développer l'usure, comme l'a dit M. de Molinari, c'est de restreindre la liberté. FREDERIC PASSY.

HISTOIRE GÉNÉRALE DE L'ASSURANCE EN FRANCE ET A L'ÉTRANGER, par M. GEORGES HAMON (au journal l'Assurance moderne, Paris).

Histoire générale de l'Assurance en France et à l'étranger, voilà certes, un titre bien ambitieux, et lorsque nous avons ouvert le volume, nous nous sommes demandé si vraiment ce titre serait justifié. Nous avons le regret de constater qu'il s'en faut de beaucoup que les matières répondent à l'importance du programme. Il ne s'agit point, en effet, pour faire une œuvre solide et de quelque portée pratique, de procéder à des recherches plus ou moins consciencieuses, de s'inspirer des travaux antérieurs sur la matière, de flatter l'amour-propre de quelques professionnels de l'assurance, de s'entourer de documents quelconques et pour la plupart administratifs, il faut encore savoir coordonner les documents, analyser les travaux, s'appuyer sur des données certaines, négliger les menus intérêts des coteries et, finalement, ce qui importe en l'espèce tirer de l'exposé des faits et des théories des conséquences logiques et raisonnées, des enseignements multiples et profitables.

Nous aurions voulu que M. Hamon, qui nous paraît animé d'excellentes intentions, d'ailleurs, mais dont l'effort pénible se trahit dans la pénurie des aperçus et des conclusions, accomplit vaillamment sa tâche, car nous manquons de livres didactiques en matière d'assurance (alors qu'ils abondent en Angleterre et aux Etats-Unis); mais il faut nous résigner à l'avortement d'une tentative sans doute honorable, mais qui ne nous donne pas, nous le répétons, ce que le titre de l'ouvrage promettait. L'histoire générale de l'assurance reste encore à écrire, et il faut espérer qu'un jour un écrivain doué de plus d'acquit et d'expérience, d'une indépendance d'allures plus complète, saura nous doter d'une œuvre sagement écrite et encoremieux pensée.

Disons à la décharge de l'auteur, cependant, qu'il ne s'est point dissimulé la difficulté du travail entrepris. Dans une note publiée en tête de l'ouvrage (et cela fait l'éloge de sa modestie), il reconnait que s'il s'est décidé à se consacrer à cette longue étude, ce n'a été que contraint et forcé, en quelque sorte, cédant à des « invitations » pressantes de la part de personnes toutes dévouées aux idées de prévoyance et d'épargne.

Faut il pousser la sincérité jusqu'au bout? Nous trouvons la forme de l'ouvrage quelque peu négligée; le style en est parfois pénible et heurté. Si l'on veut que nous prenions plaisir à suivre jusqu'au bout es développements que l'écrivain s'ingénie à donner à sa thèse, faut

encore que le livre se dégage de certaines imperfections et que la lecture en soit rendue facile et agréable.

Autre remarque: M. Hamon s'intitule professeur d'assurance. Pourquoi d'assurance? A l'époque de nos débuts (je parle d'il y a trente-sept ans, hélas!), ce titre de professeur d'assurance aurait fait sourire dans les bureaux des compagnies, car l'assurance se pratique et ne s'enseigne pas. Mais il paraît que les temps sont changés; et bien qu'on cherche à modifier tous les jours les anciens errements, l'ensemble des connaissances acquises depuis 1819; que, par la force des choses, les antiques règlements soient amendés, que des méthodes nouvelles soient appliquées (chez nous et ailleurs), que des combinaisons plus ingénieuses se substituent à des conceptions imparfaiteset surannées, il est avéré que maintenant l'assurance s'enseigne. Il existe même des chaires pour exercer ce professorat bénévole! Que M. Hamon ne voie aucune pensée de malveillance dans l'énoncé de la remarque. Nous généralisons. L'enseignement donné par M. Hamon peut être excellent, vu ses connaissances spéciales et sa compétence relative c'est l'exercice de la fonction qui nous semble peu justifié, à cause précisément de la diversité des méthodes et des principes exposés. Les spécialistes ne sont pas d'accord sur l'ensemble des matières enseignées. Or, pour établir un corps de doctrines, faut-il qu'il y ait unanimité d'appréciation dans l'application des principes et des méthodes. Ce n'est pas ici le cas. Il est probable que, pour notre part, nous tendrions à infirmer toutes les théories de M. Hamon.

Enfin, l'auteur nous donne toute une galerie de portraits, en photogravure, de nos professionnels de l'assurance. Il y a là des directeurs. de compagnies qui ne se sont signalés ni par une initiative heureuse, ni par des vues bien originales en matière de garantie; des actuaires pour la plupart aux gages des établissements assureurs (autrefois, on les appelait des calculateurs, des employés au bureau des calculs), des publicistes spéciaux, des avocats, etc. Cela présente tout juste l'intérêt que pourrait offrir la série des portraits de nos banquiers et financiers parisiens, et sans vouloir nier le mérite personnel de ces représentants de la fortune publique, nous pensons qu'il serait excessif de les classer parmi nos célébrités contemporaines, fùt-ce dans une histoire générale des banques et des établissements de crédit.

Nous comptons parmi ces professionnels quelques amis, la plupart bons vivants et excellents camarades, et placer leur silhouette dans une histoire générale de l'assurance nous paraît, insistons-y, une idée aussi singulière que celle qui pousserait un écrivain à faire figurer nos principaux couturiers dans l'histoire générale du costume.

Maintenant, essayons d'analyser l'ouvrage. Il est divisé en sept par

ties, savoir: la Physiologie de l'assurance; son Histoire générale; l'Histoire de l'assurance-incendie; l'Histoire de l'assurance sur la vie; l'Histoire de l'assurance contre les accidents; l'Histoire des assurances agricoles. Une Conclusion suit cette division des matières traitées.

Dans l'histoire générale, l'auteur fait une place spéciale à l'assurance maritime. Il s'occupe ensuite des diverses tentatives qui ont été faites pour couvrir des risques laissés jusque-là en dehors de toute espèce de garantie. Il nous met au courant, à grands traits, des diverses phases que l'assurance a traversées, de sa lutte contre ce que M. Hamon appelle les « monopolisateurs » ; il énumère les créations scientifiques ou sociales auxquelles elle a donné lieu.

Dans la physiologie de l'assurance, l'auteur la considère au point de vue social, politique, familial et industriel. Il explique ce qu'elle est et en donne une définition.

Dans la seconde partie, il est question de ses origines, de son fonctionnement, c'est-à-dire de son application et du régime auquel sont soumises les diverses sociétés qui la pratiquent. Retraçant l'histoire de l'assurance-incendie, l'auteur étudie son rôle et son action; puis, s'occupant de l'assurance sur la vie, il en fixe les bases et en expose les multiples combinaisons. Il procède de même pour l'assurance-accidents et les assurances agricoles.

Tel est le plan de l'ouvrage.

Nous nous contenterons, en passant, de faire quelques réflexions. Au point de vue historique, nous signalerons l'absence presque complète de données positives en ce qui concerne la véritable origine des assurances maritimes, notamment.

M. Hamon ne nous dit rien, non plus, des assurances pratiquées au temps des communautés germaniques, c'est-à-dire bien avant le moyen âge, et qui portaient non seulement sur la propriété mais encore sur la vie des personnes. On sait qu'à cette époque lointaine, des corporations entières offraient à leurs membres le bénéfice de contrats qui les liaient d'une façon absolue, et ce au moyen de contributions annuelles. Plus tard des associations appelées bunderliche se formèrent; celles-ci étaient placées sous la protection des autorités municipales. La plus ancienne en date, créée dans le Schleswig, remonte à 1433. Rien également sur les associations dites contrat du feu, fondées à Hambourg en 1534. Pas un mot sur les associations privées, en Amérique, et sur les assurances de cimetière.

M. Hamon nous raconte que la première compagnie d'assurance contre l'incendie fut constituée à Londres en 1684. C'est là une erreur cette compagnie ne fut organisée qu'en 1686, à la suite du grand incendie qui fit d'épouvantables ravages dans la cité. On n'ignore

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