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attachés; ce qui s'entend, de son aveu propre, de ce qu'il a enseigné sur la matière de la grâce plus encore, sans comparaison, que de tout le reste; car c'est à l'occasion de cette matière que notre auteur demeure d'accord que saint Augustin étoit devenu l'oracle de l'Occident1. Voici donc le prodige qu'il enseigne : qu'une nouveauté, une opinion particulière, une explication de l'Ecriture, dont on n'avoit jamais entendu parler, et encore une explication dure et rigoureuse, comme l'appelle M. Simon à toutes les pages, a gagné d'abord tout l'Occident.

Je n'en veux pas davantage, et, sans ici disputer pour saint Augustin contre son accusateur, j'appelle son accusateur insensé devant l'Eglise d'Occident, à qui il fait suivre la doctrine d'un novateur, sans songer qu'avec l'Eglise d'Occident il accuse d'innovation toute l'Eglise catholique, qu'elle a maintenant comme renfermée dans son sein. Mais afin qu'on pénètre mieux l'attentat de ce critique, non pas contre saint Augustin, mais contre l'Eglise, il faut tirer de son livre une espèce d'histoire abrégée des approbations de la doctrine de ce Père.

CHAPITRE III.

Histoire de l'approbation de la doctrine de saint Augustin, de siècle en siècle, de l'aveu de M. Simon. En passant, pourquoi cet auteur ne parle point de saint. Grégoire.

Premièrement, il lui donne en général pour approbateur tout l'Occident: et il est certain que ses livres contre Pélage, et en particulier ceux de la Prédestination et de la Persévérance, n'eurent pas plutôt paru, qu'on y reconnut une doctrine céleste. Tout fléchit, à la réserve de quelques prêtres d'un petit canton de nos Gaules. On sait que le pape saint Célestin leur imposa silence. Fauste de Riez s'éleva un peu après contre la doctrine de saint Augustin: son savoir, son éloquence, et la réputation de sainteté où il étoit, n'empêchèrent pas que ses livres ne fussent flétris par le concile des saints confesseurs relégués d'Afrique en Sardaigne, et même par le pape saint Gélase, et par le pape saint Hormisdas, avec une déclaration authentique de ce dernier pape: que ceux qui voudroient savoir la foi de l'Eglise romaine sur la grâce et le libre arbitre n'avoient qu'à consulter les livres de saint Augustin, et particulièrement ceux qu'il avoit adressés à Prosper et à Hilaire, c'est-à-dire ceux contre lesquels les ennemis de ce Père s'étoient le plus élevés. Ainsi l'on ne peut nier que la doctrine de saint Augustin, et en particulier celle qu'il avoit expliquée dans les livres de la Prédestination et de la Persévérance, ne fût tout au moins, et pour ne rien dire de plus, sous la protection 1 Pag. 337.-2 Epist, ad Poss.

particulière de l'Eglise romaine. On ne niera pas non plus que le pape saint Grégoire, le plus savant de tous les papes, ne l'ait suivie de point en point, et avec autant de zèle que saint Prosper et saint Hilaire. J'ai remarqué que M. Simon a évité de parler de ce saint pape, quoiqu'il dût avoir un rang honorable parmi les commentateurs du nouveau Testament; et il ne peut y en avoir d'autre raison si ce n'est que, d'un côté, ne pouvant nier qu'il n'eût été le défenseur perpétuel de la doctrine de saint Augustin, d'autre côté il n'a osé faire paroître que cette doctrine, qu'il vouloit combattre, eût eu un tel défenseur dans la chaire de saint Pierre. Après donc avoir passé par-dessus un si grand homme, il nomme au siècle suivant le vénérable Bède, qui, selon lui 1, s'est rendu recommandable, non-seulement dans la Grande-Bretagne, mais encore dans toutes les Eglises d'Occident, et qui non-seulement faisoit profession de suivre saint Augustin, mais encore ne faisoit, pour ainsi dire, que le copier et que l'extraire. Pierre de Tripoli, plus ancien que Bède, et plus estimé que lui par notre auteur, a publié un commentaire sur les épîtres de saint Paul, dans lequel il se glorifie de n'avoir fait que transcrire par ordre ce qu'il a trouvé dans les OEuvres de saint Augustin: ce qui est vrai, principalement de ce qu'il a dit sur la matière de la prédestination et de la grâce, comme tout le monde sait. Alcuin, le plus savant homme de son siècle, et le maître de Charlemagne, de l'aveu de M. Simon 3, suit saint Augustin et Bède sur l'Evangile de saint Jean, où la matière de la gràce revient si souvent; et si notre auteur ajoute, qu'en s'attachant au sens littéral il ne fait pas toujours choix des meilleures interprétations : c'est à cause, poursuit-il, qu'il est prévenu de saint Augustin. On l'étoit donc dès ce temps, et ceux qui l'étoient le plus étoient les maîtres des autres, et les plus grands hommes. Quand notre auteur fait dire à Claude de Turin que saint Augustin étoit le prédicateur de la grâce, il auroit pu remarquer que ce n'est pas seulement ce fameux chef des iconoclastes d'Occident qui a donné ce titre à saint Augustin, mais encore tous les docteurs qui ont écrit depuis l'hérésie de Pélage. En un mot, dit M. Simon, saint Augustin étoit le grand auteur de la plupart des moines de ce temps-là. Il pouvoit dire de tous, à la réserve de ceux qui, en s'éloignant de saint Augustin sur cette matière, s'éloignoient en même temps des vrais sentiments de la foi, comme nous verrons. Au reste, qui dit les moines ne dit pas des gens méprisables, comme notre auteur l'insinue en beaucoup d'endroits, mais les plus savants et les plus saints de leur temps, et, comme il les appelle lui-même, les maîtres de la science en Occident". 4 Pag. 339.- Pag. 344.-3 Pag. 348.— 4 Ibid.— 5 Pag. 359.-6 Pag. 360.-7 Pag. 353.

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-Les auteurs qu'on vient de nommer étoient du septième et du huitième siècle. Au neuvième s'éleva la contestation sur le sujet de Gotescalc; et encore que le crime dont on accusoit ce moine fût d'avoir outré la doctrine de la prédestination et de la grâce, les deux partis convenoient, non-seulement de l'autorité, mais encore de tous les principes de saint Augustin: et sa doctrine ne parut jamais plus inviolable, puisqu'elle étoit la règle commune des deux partis. Pour venir au siècle onzième (puisque dans le dixième on ne nomme point de commentateurs), M. Simon fait mention d'un commentaire publié sous le nom de saint Anselme, quoiqu'il ne soit point de ce grand auteur, et, dit-il 1: Tout ce commentaire est rempli des principes de la théologie de saint Augustin, qui a été le maître des moines d'Occident, comme saint Chrysostome l'a été des commentateurs de l'Eglise orientale. On peut donc tenir pour certain que les autres auteurs célèbres étoient attachés à ce Père, et il seroit inutile d'en marquer les noms; mais on ne peut taire saint Anselme et saint Bernard, deux docteurs si célèbres, encore que M. Simon n'en ait point parlé. Or il est constant qu'ils étoient tous deux grands disciples de saint Augustin, et que saint Bernard a transmis le plus pur suc de sa doctrine sur la grâce et le libre arbitre dans le livre qu'il a composé sur cette matière.

Quand M. Simon vient à saint Thomas, il avoue que saint Augustin a été le maître de ce maître des scolastiques, ce qui aussi est incontestable et avoué de tout le monde. Nicolas de Lyra, dit-il, suit ordinairement saint Augustin et saint Thomas, qui étoient les deux grands maîtres des théologiens de son temps. Il y a longtemps que cela dure, puisqu'après avoir vu ce respect profond pour la doctrine de saint Augustin commencer depuis le temps de ce Père, nous en sommes au siècle où vivoit Nicolas de Lyra, ce docte religieux franciscain; c'est-à-dire, comme le remarque notre auteur 3 au commencement du quatorzième siècle. Encore du temps d'Erasme, on ne pouvoit lui pardonner le mépris qu'il avoit pour saint Augustin". Il n'y avoit presque que saint Augustin qui fût entre les mains des théologiens, et il est même encore à présent leur oracle, sans que les censures de M. Simon lui puissent faire perdre ce titre.

CHAPITRE IV.

Autorité de l'Eglise d'Occident. S'il est permis à M. Simon d'en appeler à l'Eglise orientale. Julien le pélagien convaincu par saint Augustin dans un semblable procédé.

Contre une si grande autorité de tout l'Occident, M. Simon nous appelle à l'Eglise orientale, comme plus éclairée et plus savante. 1 Pag. 387.-2 Pag. 477.- 3 Ibid.- 4 Pag. 530.-5 Pag. 531.

C'est de quoi je ne conviens pas. Mais, sans commettre ici les deux Eglises, et sans vouloir contredire nos critiques, qui s'imaginent qu'ils paroissent plus savants en louant les Grecs, je répondrai à M. Simon ce que saint Augustin répondit à Julien, qui comme lui rabaissoit l'autorité de l'Eglise occidentale': Je crois que cette partie du monde vous doit suffire, où Dieu a voulu couronner d'un très-glorieux martyre le premier de ses apôtres; par où il a établi dans l'Occident la principauté de la chaire apostolique, comme lui-même il l'explique ailleurs en tant d'endroits. Que répondra M. Simon à une aussi grande autorité que celle de l'Eglise occidentale, qui a l'Eglise romaine à sa tête, la mère et la maîtresse de toutes les Eglises? Peut-on nier que cette partie du monde doive suffire à M. Simon aussi bien qu'à Julien, et d'autant plus à M. Simon qu'à Julien que toute l'Eglise catholique s'est enfin depuis renfermée dans l'Occident? Ainsi l'autorité de l'Occident, selon lui si favorable à saint Augustin et à sa doctrine, suffiroit pour réprimer ses censures; et lorsqu'il nous menace de l'Orient, à l'exemple des pélagiens après que tout l'Occident se fut déclaré contre eux, nous continuerons à lui dire ce que le même saint Augustin dit encore à Julien dans le même endroit : C'est en vain que vous en appelez aux évêques d'Orient, puisqu'ils sont sans doute chrétiens, et que leur foi est la nôtre, parce qu'il n'y a dans l'Eglise qu'une même foi. C'est donc en vain que vous alléguez la doctrine des anciens Pères d'Orient, comme si elle étoit contraire à celle de saint Augustin, que l'Occident approuvoit; vous commettez les deux Eglises; vous faites voir de la partialité dans le corps de Jésus-Christ contre la doctrine de l'apôtre, qui au contraire y fait voir un parfait consentement de tous les membres; et, sans encore entrer dans la discussion des sentiments des Pères grecs, il vous doit suffire que vous êtes né en Occident, que c'est en Occident que vous avez été régénéré par le baptême: ne méprisez donc pas l'Eglise où vous avez été baptisé. C'est ce que saint Augustin disoit à Julien, et nous en disons autant à M. Simon.

CHAPITRE V.

Idée de M. Simon sur saint Augustin, à qui il fait le procès comme à un novateur dans la foi, par les règles de Vincent de Lérins tout l'Occident est intéressé dans cette censure.

Il ne nous écoute pas, et il importe de bien remarquer l'idée qu'il donne partout de saint Augustin, et qu'il donne par conséquent de tout l'Occident, qui l'a suivi. Pour trouver cette belle idée de M. Simon, il n'y a qu'à ouvrir son livre en quelque endroit qu'on

1 Contr. Jul., lib. 1. c. iv. n. 13.

voudra, et dès le commencement on trouvera qu'en rapportant un passage de la Philocalie d'Origène il déclare que ceux qui ont d'autres sentiments de la prédestination favorisent l'hérésie des gnostiques, et détruisent avec eux le libre arbitre ; et pour ne point laisser en doute qui sont ceux à qui il en veut, il ajoute ces paroles: Cette doctrine étoit non-seulement d'Origène, de saint Grégoire de Nazianze et de saint Basile, qui ont publié la Philocalie, mais généralement de toute l'Eglise grecque, ou PLUTÔT DE TOUTES LES ÉGLISES DU MONDE, avant saint Augustin, qui auroit peut-être préféré à ses sentiments UNE TRADITION SI CONSTANTE, s'il avoit lu avec soin les ouvrages des écrivains ecclésiastiques qui l'ont précédé.

Voilà saint Augustin un insigne novateur, qui a changé la doctrine de toutes les Eglises du monde, qui s'est opposé à une tradition constante, et qui, pour n'avoir pas lu avec assez d'attention les ouvrages des écrivains ecclésiastiques qui l'ont précédé, leur a préféré ses opinions nouvelles et particulières; et cela sur une matière capitale, puisqu'il ne s'agit de rien moins que de favoriser l'hérésie des gnostiques, et de détruire avec eux le libre arbitre. Saint Augustin est donc novateur dans une matière aussi essentielle au christianisme que celle-là. M. Simon ne s'en cache pas, et c'est pourquoi il entreprend de lui faire son procès selon les règles de Vincent de Lérins, c'est-à-dire selon les règles par lesquelles on discerne les novateurs d'avec les défenseurs de l'ancienne foi, et, en un mot, les catholiques d'avec les hérétiques. Il se déclare d'abord dans sa préface, où, après avoir accusé saint Augustin de s'être éloigné des anciens commentateurs, et d'avoir inventé des explications dont on n'avoit point entendu parler auparavant, il ajoute aussitôt après que Vincent de Lérins rejette ceux qui forgent de nouveaux sens, et qui ne suivent point pour leur règle les interprétations reçues dans l'Eglise depuis les apôtres d'où il conclut que sur ce pied-là on préférera le commun sentiment des anciens docteurs aux opinions particulières de saint Augustin. Il oppose donc à saint Augustin ces règles sévères de Vincent de Lérins, qui en effet sont les règles de toute l'Eglise catholique ; il oppose, dis-je, ces règles à la doctrine de saint Augustin, sans se mettre en peine de tout l'Occident, dont il avoue que ce Père a été l'oracle. Il parle toujours sur le même ton, et non content d'avoir dit que ce furent en partie les nouveautés de saint Augustin qui donnèrent occasion au sage Vincent de Lérins de composer son Traité, où il indique ce docte Père comme un novateur qui avoit des opinions particulières, il continue en un autre endroit à lui faire son procès, même sur la matière de la grâce, dont il a

1 Pag. 77.- Pag. 269.

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