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Il poursuit1: Saint Basile examine en détail un assez grand nombre de passages du nouveau Testament, qu'il résout d'une manière fort sublime et selon les principes de la dialectique. C'étoit donc, encore un coup, la méthode de saint Basile et des Pères, aussi bien que celle des hérétiques, et voici quel en est le fruit: Cette méthode, continuet-il, n'est pas à la vérité toujours exacte, parce que la religion sembleroit dépendre plutôt de notre raison que de la parole de Dieu. Ainsi, tant les orthodoxes que les hérétiques, nous sont toujours représentés comme des gens dont la méthode tendoit à établir la religion sur le raisonnement, et non sur la pure parole de Dieu. C'est le sentiment de l'auteur, et c'est aussi le chemin par où les sociniens, sectateurs d'Episcopius, arrivent à l'indifférence, qui jusqu'ici est le fruit que nous pouvons recueillir de la critique de M. Simon.

Il est vrai qu'il semble dire en quelques endroits, que saint Basile et les anciens orthodoxes ne se servoient de cette méthode de raisonnement que pour réfuter les hérétiques, qui étoient de grands dialecticiens par les principes qu'ils suivoient. Mais après tout, notre auteur ne donne point une autre méthode aux orthodoxes; et nous avons déjà remarqué que, selon lui, chaque parti, et les orthodoxes aussi bien que les hérétiques, n'avoient qu'une seule et même méthode pour établir leur doctrine, qui étoit cette méthode de raisonnement.

Il dira qu'il ne la rejette que pour en venir à une méthode plus sûre, qui est celle de la tradition, qu'en effet il fait semblant de recommander. Mais (sans répéter ici ce qu'on a déjà remarqué sur un sigrossier artifice) en s'attachant seulement à l'endroit que nous avons rapporté dans le chapitre précédent, on a vu que la tradition par ellemême ne déterminoit pas plus les esprits pour les catholiques que pour les ariens. On s'en servoit de part et d'autre avec aussi peu d'utilité; et tout enfin se réduisoit à raisonner, qui est ce que blâme notre auteur. Ainsi il embrouille tout; et de quelque côté qu'on se tourne pour sortir de ce labyrinthe, on ne trouve aucun secours dans ses écrits : au contraire, il nous précipite d'autant plus inévitablement dans cet abîme d'incertitude, que par le même moyen par lequel il a affoibli les preuves de l'Ecriture, il détruit également celles qu'on peut tirer de la tradition. Nous en avons vu le passage: Cela, dit-il, (la contestation inutile sous le nom de saint Athanase et d'Arius, que nous avons rapportée), nous apprend qu'il ne faut pas toujours réfuter les novateurs par l'Ecriture; autrement il n'y auroit jamais de fin aux disputes, chacun prenant la liberté d'y trouver de nouveaux sens. Voilà le principe: la preuve de l'Ecriture n'est pas concluante, parce qu'a

1 Pag. 107.-2 Pag. 105, 107.-3 Pag. 100.

près l'Ecriture on dispute encore; et voici la conséquence trop manifeste la preuve de la tradition ne conclut pas non plus, parce qu'on dispute encore après elle. C'est où nous mène le guide aveugle qui se présente pour nous conduire. L'Ecriture ne convainc pas : les ignorants lui laissent passer sa proposition par l'espérance qu'il donne de forcer par là les hérétiques à reconnoître les traditions. Il vous pousse ensuite plus avant la tradition ne conclut pas non plus; c'est à quoi vous vous trouverez encore forcé par la voie qu'il prend. En effet, il vous montre la tradition, et une tradition constante, abandonnée du temps de saint Augustin1; une autre tradition non moins établie, abandonnée, lorsqu'on cessa de communier les petits enfants : et sans sortir de cette matière, il vous a fait voir que c'étoit le sentiment unanime de tous les Pères, et le principe commun entre l'Eglise et les hérétiques, qu'on trouvoit dans l'Ecriture des décisions évidentes; et après cela on vous dit qu'on ne les y trouve pas. Tout va donc à l'abandon, et l'Eglise n'a plus de règle.

CHAPITRE XXII.

Que la méthode de M. Simon ne laisse aucun moyen d'établir la sûreté de la foi, et abandonne tout à l'indifférence.

Ce seroit un asile sûr pour les catholiques de bien établir quelque part l'infaillible autorité de l'Eglise, mais c'est de quoi on ne trouve rien dans notre auteur. Au contraire on y trouve trop clairement que dans les disputes de foi, ce n'étoit pas à l'Eglise que les Pères renvoyoient nous venons d'en rapporter le passage. Le même critique, qui s'en étoit servi pour achever d'embarrasser les voies du salut, a détruit encore l'autorité de l'Eglise, en faisant voir qu'elle a varié dans sa croyance 3. Un esprit flottant ne trouve non plus aucune ressource dans les décisions des conciles, puisqu'on lui dit que saint Augustin ne s'est pas tenu obligé à celui de Nicée. Ainsi, en suivant ce guide, on périra infailliblement.

C'est un secours pour fixer l'interprétation des Ecritures, que d'employer certains termes consacrés par l'autorité de l'Eglise comme est celui de consubstantiel établi dans le concile de Nicée contre les chicanes des ariens. Mais M. Simon tâche encore de nous ôter ce refuge, en rangeant ces termes, ainsi ajoutés au texte de l'Ecriture, parmi ces conséquences humaines qu'il a rejetées. Voici ses paroles dans l'endroit que nous avons souvent cité, mais pour d'autres fins: Les ariens opposèrent de leur côté aux catholiques,

1 Ci-dessus, l. 1. ch. 1 et suiv.; ch. 10 et suiv. - 2 Ci-dessus, ch. XVIII, 3 Ci-dessus, I. I. ch. 1 et suiv.; ch. 10 et suiv. - 4 Ci-dessus, c. XIX.- Pag. 91.

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qu'ils avoient introduit dans la religion des mots qui n'étoient nullement dans les livres sacrés; saint Athanase prouva, au contraire, que les ariens en avoient inventé un bien plus grand nombre : en sorte que de part et d'autre on s'appuyoit non-seulement sur des passages formels de la Bible, mais aussi sur les conséquences qu'on en tiroit; c'est-à-dire, comme on vient de voir, non-seulement sur la parole de Dieu, mais sur la dialectique et sur des raisonnements. Ainsi chaque secte avoit ses termes consacrés pour fixer sa religion les catholiques en avoient; les hérétiques en avoient à la vérité un bien plus grand nombre mais enfin il n'y alloit que du plus au moins; et afin que les catholiques ne pussent tirer aucun avantage, non plus que les hérétiques, de leurs termes consacrés, M. Simon les réfute les uns après les autres par cette règle générale La règle cesse d'être règle aussitôt qu'on y ajoute quelque chose 1. A la vérité cette règle est employée en ce lieu contre Eunome, qui ajoutoit quelques mots à l'ancienne règle, à l'ancienne formule de foi qu'Eunomius proposoit comme la règle commune de tous les chrétiens. Mais que nous sert qu'il ait réfuté Eunome par un principe qui nous perce, aussi bien lui, d'un coup morțel? S'il est permis de le poser en termes aussi généraux et aussi simples que ceuxci de M. Simon: La règle cesse d'être règle aussitôt qu'on y ajoute quelque chose, Nicée, qui y ajoute le consubstantiel, a autant de tort qu'Eunome qui y ajoute d'autres termes. Et l'on ne veut pas qu'on s'élève contre un critique orgueilleux qui dans le sein de l'Eglise, sous le titre du sacerdoce, et à la face de tout l'univers, par des principes qu'il sème deçà et delà, mais dont la suite est trop manifeste, vient mettre l'indifférence, c'est-à-dire, l'impiété sur le trône! On dira que je mets moi-même les libertins dans le doute, en découvrant les moyens subtils par lesquels M. Simon les y induit, et qu'il faudroit résoudre les difficultés après les avoir relevés. Je l'avoue mais on ne peut tout faire à la fois, et il a fallu commencer par découvrir ce poison subtil, qu'on avaleroit sans y penser, dans les pernicieux ouvrages de M. Simon. Louons Dieu que ses artifices soient du moins connus. Par ce moyen les simples seront sur leurs · gardes, et les docteurs attentifs à repousser le venin.

1 Pag. 105.2 Pag. 104.

LIVRE TROISIÈME.

M. Simon, partisan et admirateur des sociniens, et en même temps ennemi de toute la théologie et des traditions chrétiennes.

CHAPITRE PREMIER.

Faux raisonnement de l'auteur sur la prédestination de Jésus-Christ: son affectation à faire trouver de l'appui à la doctrine socinienne dans saint Augustin, dans saint Thomas, dans les interprètes latins, et même dans la Vulgate.

Nous avons encore à découvrir un autre mystère du livre de M. Simon; c'est l'épanchement, et, si ce mot m'est permis, la secrète exaltation de son cœur, lorsqu'il parle des sociniens. Il avoit trop d'intérêt à cacher cette pernicieuse disposition pour n'y avoir pas employé tout son art. Cet art consiste non-seulement à leur donner toutes les louanges qu'il peut sans se déclarer trop ouvertement; mais encore, et c'est ce qu'il a de plus dangereux, à proposer leur doctrine sous les plus belles couleurs, et avec le tour le plus spécieux qu'il lui est possible. Pendant que l'explication de leurs dogmes qui flattent les sens, est longue et accompagnée de tout ce qui est capable de les insinuer, on y trouve assez souvent des réfutations, mais foibles pour la plupart; et quelquefois un zèle si outré qu'il en devient suspect: comme est celui des amis cachés, qui affectent, même à contre-temps, de s'opposer l'un à l'autre, pour couvrir leur intelligence.

Qui n'admireroit le zèle de notre auteur contre les erreurs de Socin? Ce critique, pour établir la divinité de Jésus-Christ, va plus loin que saint Augustin et que saint Thomas, qu'il reprend comme favorables à cet hérésiarque. Saint Thomas, dit-il, (dans son commentaire sur l'épître aux Romains) s'étend d'abord assez au long sur ces mots, QUI PRÆDESTINATUS EST FILIUS DEI IN VIRTUTE. Il paroît tout rempli de l'explication de saint Augustin et de la plupart des autres commentateurs qui l'ont suivi sur ce passage, et il enchérit même pardessus eux. Voilà la première faute qu'il remarque dans saint Thomas, d'être rempli partout de saint Augustin, dans les endroits mêmes où il est suivi de la plupart des interprètes; et notre critique conclut ainsi que pour être trop subtil, saint Thomas ( et par conséquent saint Augustin, d'où saint Thomas a tiré son explication) semble appuyer les sentiments de Socin. C'est ainsi que M. Simon

4 Pag. 473 et 474.

montre son zèle contre les sociniens, et il n'épargne ni saint Augustin ni saint Thomas.

On lui pourroit dire en ce lieu avec le Sage: Ne soyez pas plus sage qu'il ne faut ne présumez pas de votre sagesse jusqu'à l'élever au-dessus de deux aussi grands théologiens, que tous les autres, ou, pour parler comme vous, la plupart des autres ont suivi; mais notre auteur a encore ici un autre dessein; et pour découvrir le fond de ses malheureuses finesses, il faut remarquer que Crellius, le plus habile des sociniens, se sert en effet de ce passage de saint Paul contre la divinité de Jésus-Christ, par cette raison, que s'il est destiné ou prédestiné par sa résurrection à être Fils de Dieu, il ne l'est donc pas par nature: il ne l'est pas éternellement, mais il est fait tel dans le temps. Tel est le raisonnement de Crellius, que M. Simon rapporte au long 2. Il n'y a rien de plus pitoyable.

3

Titelman, dont notre critique nous rapporte l'explication sur cette parole de saint Paul : Jésus-Christ a été prédestiné à être Fils de Dieu*, n'y avoit laissé aucune difficulté, lorsqu'il avoit expliqué dans sa paraphrase, que Jésus-Christ étoit celui dont il avoit été prédestinė, qu'en demeurant ce qu'il étoit (dans le temps et selon la chair) il seroit tout ensemble le Fils de Dieu de même puissance que son Père. Qu'y a-t-il de plus, littéral et de plus net que cette interprétation de Titelman? Cependant M. Simon la rejette comme étant l'explication d'un théologien de profession, qui substitue les préjugés de la théologie en la place des paroles de saint Paul; et sans alléguer aucune raison de son mépris, il se contente de dire: Que tout le monde ne demeurera pas d'accord que ce soit là le véritable sens des paroles de l'apôtre. Assurément les sociniens, qui nient la divinité du Fils de Dieu, ne conviendront pas d'une paraphrase où elle est si clairement expliquée. Mais, enfin, M. Simon, malgré qu'il en ait, ne pourra s'empêcher d'en convenir. Car il faut bien qu'il avoue, puisqu'il fait profession d'être catholique, qu'il y a une incarnation, qui est une œuvre de Dieu; mais il est bien certain que Dieu n'a rien fait que ce qu'il avoit prévu et prédestiné auparavant : s'il a donc fait l'HommeDieu, cet Homme-Dieu est prévu et prédestiné. Qui le peut nier? Saint Augustin a donc enseigné une vérité constante, quand il a dit * : Jésus a été prédestiné, afin que, devant être selon la chair le fils de David, il fut aussi en vertu le Fils de Dieu, qui est précisément la même chose que Titelman avoit exposée dans sa paraphrase.

Laissant donc à part Crellius et les réponses bonnes ou mauvaises qu'a faites M. Simon à son misérable argument, et laissant encore à part toutes les disputes qu'on peut faire sur le mot grec país, soit 1 Eccles., VII. 17.-2 Pag. 848.-3 Pag. 564.-4 Rom., 1. 4.- 5 De Prædest., Sess. 1. ch. xv.

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