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CHAPITRE V.

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Arrivée de la flotte ottomane devant Patras. - Conseils donnés aux Turcs. -Nouvelles des prétendus désastres des Grecs, transmises à Souli. Escarmouche de Krio Néro. Les Souliotes intimidés capitulent. Bruits sur un protectorat des Anglais réfutés.- Arrivée des Souliotes à Céphalonie. Intrigues du consul anglais de Prévésa. — Nouvelle de l'invasion de la Morée par Dramali, transmise à Constantinople. — Départ de cette ville des ambassadeurs Strangford et Lutzof, appelés au congrès de Vérone. — Incursions des croiseurs grecs. - La Porte détrompée sur ses victoires. — Évêques députés par Khourchid vers Odyssée. Dispersion de l'armée mahométane de Larisse. — Combat du 18 septembre. - Avidité des généraux turcs. Le capitan-pacha met à la voile. — Préparatifs des Grecs.- Engagement naval devant Hydra.- État impo

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sant de la flotte ottomane.-Saisie d'un brick autrichien. - Lettres interceptées. La flotte turque prend la fuite; se retire à la Sude. Situation des Grecs et des Turcs dans l'île de Crète. - Trait d'audace des insulaires de Kasos. — Départ de M. Villoch, pour la Perse. — Décapitation d'Ismaël Pachô bey. - Translation de la croix de Constantin à Hydra. Cérémonie. Oraison funèbre des martyrs de Chios.

LA flotte ottomane, composée de la presque totalité des forces navales de la Turquie d'Europe, d'Asie et d'Afrique, était arrivée, au nombre de quatre-vingt-quatre voiles, dans les premiers jours du mois d'août, devant Patras.

Suivant les principes de la neutralité pratiquée par les Anglais, ils lui avaient, à son passage à Zante, donné assistance, renseignements, et surtout des conseils, tels, que s'ils eussent été suivis, les Grecs étaient sans doute perdus. Après avoir informé le vice-amiral turc de la défaite des Philhellènes à Péta; du soin qu'une compagnie d'agioteurs, établie dans les îles Ioniennes, pour approvisionner les places turques, avait pris de ravitailler Carystos dans l'île d'Eubée, qui commençait à manquer de vivres, on lui promit de mettre tout en œuvre pour amener les Souliotes à

une capitulation, afin de nettoyer l'Épire du seul foyer

d'insurrection dont elle était encore infestée. On lui démontra enfin la nécessité de virer de bord sans aucun dé→ lai, afin de seconder les opérations de Dramali, qui venait d'entrer en Morée. L'apparition seule de la flotte turque, en cet instant, dans le golfe d'Argos, devait suffire pour épouvanter les Grecs, déjà consternés, qui se seraient dispersés dans les montagnes de l'Arcadie. Ils n'avaient plus d'armée aux Thermopyles; des rapports certains annonçaient que les Turcs avaient franchi les défilés, envahi l'isthme, occupé l'Acrocorinthe, sans éprouver aucune résistance; et que Khourchid pacha, marchant sur leurs pas, s'avançait pour les soutenir. Ainsi, avec un léger effort de la part de l'armée navale, c'en était fait de la cause trop vantée d'une insurrection sur laquelle on n'avait eu jusqu'alors que des documents erronés.

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Tels furent, sommairement, les avis et les conseils qu'on donna aux barbares, à leur entrée dans la mer Ionienne. Les uns n'étaient pas entièrement exacts; mais il est cerque, s'ils eussent suivi les plans qu'on leur proposait, ils auraient probablement été funestes aux chrétiens. Ils promirent d'y avoir égard, en les soumettant au nouveau capitan-pacha, qui se trouvait dans le château de Patras, dès qu'il aurait pris le commandement de la flotte. On fit voile aussitôt vers le golfe de Lépante, tandis que la police de Zante, chargée d'abuser l'opinion publique, annonçait à son de trompe, dans l'Occident, l'humiliation de la Croix, et les triomphes imaginaires du peuple anti-chrétien.

Soit que les agents anglais de l'Heptarchie comptassent réellement sur les succès des Turcs, ou qu'ils fussent abusés par leur haineuse ignorance, ils travaillaient de toute la puissance de leur machiavélisme à faire réussir les infidèles dans leurs projets d'extermination.

On a vu avec quelle joie le consul britannique de Prévésa s'était empressé, sur la foi des courriers expédiés de La

risse à Békir Dgiocador, de publier la conquête du Péloponèse. Les Anglais avaient de leur côté transmis cette nouvelle aux Souliotes, affligés de la retraite de Mavrocordatos, qui les abandonnait à la fureur des Turcs. Depuis cette révélation fatale, les bulletins anglo-turcs n'annoncèrent plus aux belliqueux enfants de la Selléide que des désastres; et le mensonge, coloré de vues philanthropiques, fut si adroitement déguisé, que ceux qui avaient fait trembler les mahométans éprouvèrent des alarmes jusqu'alors inconnues. Tantôt les agents britanniques, qui feignaient de compatir au sort des Souliotes, leur communiquaient des lettres dans lesquelles on racontait qu'Odyssée, après avoir livré le pas des Thermopyles, était entré au service de Khourchid pacha, dont il avait reçu les plus fortes garanties et des richesses considérables. Tantôt le congrès des Hellènes, convaincu de son impuissance, avait, disait-on, accepté une amnistie; et son exemple, suivi par les îles d'Hydra, de Spetzia et de Psara, ne pouvait manquer d'amener la soumission de la Hellade entière. On effrayait ainsi, et on conjurait les Souliotes, au nom de l'intérêt qu'inspirait leur valeur, de sauver les débris de leur population en abandonnant leurs montagnes, et en acceptant une capitulation conclue sous les auspices du gouvernement anglo-ionien, qui leur offrait un asile dans les Sept-Iles.

Ébranlés par les récits qu'ils entendaient, les Souliotes demandèrent des saufs-conduits pour que quatre de leurs commissaires pussent se rendre à Prévésa, auprès du consul d'Angleterre, où ils arrivèrent en même temps à peu près que la flotte ottomane, qui, ayant touché à Zante, laissait tomber l'ancre sur la rade de Patras. On ne manqua pas de leur raconter qu'elle portait quarante mille hommes de troupes de débarquement, d'exagérer tout ce qu'on leur avait dit de l'invasion de la Morée par Dramali, et de leur assurer que la marine grecque avait accepté l'amnistie que le sultan avait daigné lui accorder. Vainement ils au

raient voulu vérifier ces faits; tout ce qui les entourait était intéressé à les tromper. On les traitait, non comme des négociateurs, mais sur le pied de parlementaires gardés à vue; et le consul d'Angleterre, qui avait sans doute des instructions, veillait à ce qu'ils n'apprissent que ce qu'il voulait qu'ils sussent.

Son secrétaire grec, de qui on tient ces détails, fut plusieurs fois tenté d'avertir les commissaires que cette flotte ottomane, tant vantée, portait à peine trois mille hommes de troupes de terre, et qu'un typhus destructeur moissonnait ses équipages. Il aurait pu leur dire encore que les vaisseaux turcs s'étant approchés de Crio-Néro, source située au pied du mont Chalcis, les paysans de Calydon étaient tombés sur leurs chiourmes, qu'ils avaient exterminées ; mais indépendamment de sa sûreté, qu'il aurait compromise, il craignait de faire perdre aux Souliotes une bonne occasion de traiter. Ceux-ci n'étaient peut-être pas fâchés eux-mêmes de sortir avec honneur, d'une position telle qu'ils commençaient à manquer de vivres.

Le 9 août, les envoyés de Souli signèrent, avec les délégués d'Omer Brionès, sous la garantie du gouvernement anglo-ionien, une capitulation tendant à évacuer leurs montagnes. Elle portait qu'ils s'embarqueraient au port Glychys, ou sur tel autre point de la côte à leur convenance, pour être embarqués sur des vaisseaux de S. M. B., transportés à Assos dans l'île de Céphalonie, avec leurs familles et tout ce qu'ils pourraient embarquer; qu'arrivés dans cet endroit, on leur fournirait des logements; et le cas échéant, comme ils n'étaient engagés par aucun serment, ils pourraient, quand bon leur semblerait, prendre les armes, combattre à leurs risques et périls avec leurs frères de la Grèce, par terre ou par mer, contre leurs communs ennemis. Ce fut à ces conditions que les Souliotes consentirent à abandonner leur triste patrie pour la seconde fois; et l'appui qu'ils trouvaient dans les Anglais donna lieu.

à divers bruits qu'il n'est pas indifférent de rapporter.

Pendant la durée des négociations entre les Souliotes et Omer Brionès, on avait remarqué qu'après l'arrivée du général Frédéric Adams, à Zante, celui-ci avait aussitôt expédié dans le golfe de Lépante un Anglais nommé Bancks, qui revint trop précipitamment pour permettre de croire qu'il y était allé pour prendre connaissance des événements de l'Argolide. Les soupçons que son excursion mystérieuse avait éveillés se fortifièrent, lorsqu'on vit presque aussitôt arriver à Zante un évêque grec, sous prétexte de prier les agents anglais d'intervenir afin de réclamer de Jousouf pacha l'argenterie d'un monastère pillé par ses soldats. On prétendait conclure de ce qu'il ne s'était abouché qu'avec un protopapas dévoué à la police britannique, qu'il avait proposé, au nom de ceux qui trahissaient la patrie, de mettre la Morée sous la protection de S. M. B.

La chose parut évidente aux yeux du vulgaire quelques jours après, à l'apparition de Zaphiropoulos et de Timolas Ponéropoulos, membres du sénat des Hellènes, qui s'étaient sauvés avec une bande d'orateurs de l'Hétérie, lorsque les Turcs envahissaient l'Argolide. Le protopapas les avaient visités dès leur arrivée au lazaret; et comme on les savait en correspondance avec le docteur Stéphano, qui avait négocié l'affaire du harem de Khourchid concurremment avec le consul Green, ces rapprochements, qu'on communiqua aux Grecs réunis à Astros, les décidèrent à investir Colocotroni d'une espèce de pouvoir dictatorial.

Cette mesure, bonne en soi, péchait cependant par les raisons qui l'avaient motivée. En y réfléchissant, on au— rait été facilement convaincu que les Anglais ne pouvaient ni ne devaient prétendre à aucune espèce de protectorat sur les Grecs. En effet, une pareille détermination était contraire à la marche politique qu'ils avaient suivie, et ils auraient donné gain de cause aux ministres qu'ils avaient fait éloigner des conseils de l'empereur orthodoxe. A la

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