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la presqu'île sous le joug de l'obédience du sultan Mahmoud.

Le fils d'Andriscos Odyssée, Panorias et les autres chefs avaient accueilli les ministres du Seigneur en fléchissant le genou devant la sainteté de leur caractère e; mais quand ils leur entendirent faire l'apologie des beautés du despotisme, de la magnanimité du sultan, et de la protection qu'il accordait aux autels du Christ, Odyssée tirant d'un sachet attaché sur sa poitrine un morceau de toile grossière qu'il présenta aux évêques, leur demanda s'ils connaissaient cette relique ? - Ils répondirent qu'ils ne savaient ce que c'était. — Eh bien, cette relique sacrée qui fait la force de nos braves, repartit Odyssée, est un morceau du linceuil de notre patriarche martyr Grégoire. Voilà notre réponse à l'éloge que vous venez de faire de son assassin et des bourreaux qui l'ont égorgé...... Puis reprenant la parole avec douceur, il offrit aux prélats de rester sous ses drapeaux, et ceux-ci s'étant excusés d'y consentir, il les congédia en les priant de ne plus faire de démarches inutiles auprès de lui et de ses frères d'armes.

Les choses en étaient à ce point, et Khourchid venait de faire traîner en prison l'archevêque ainsi que les prélats qui avaient échoué dans leur négociation, quand d'autres officiers de Sa Hautesse parurent pour le sommer d'entrer en campagne. Il s'y décida, et il venait de faire arborer les queues devant sa tente, pour annoncer que chacun eût à se tenir prêt à marcher dans le délai de trois jours, lorsqu'on apprit les désastres de Dramali dans l'Argolide. Il n'y eut dès lors qu'un cri dans l'armée : On veut nous mener à la boucherie! Qu'on laisse les raïas (Grecs) tranquilles ! Ils sont les instruments de la vengeance de Allah qui les a suscités pour chatier sur nous la démence de Khalet effendi et du Fils de l'esclave ( le Sultan) qu'il entraîne dans l'abîme.

Les janissaires de Larisse qui vociféraient ainsi, ayant

remporté les marmites de leurs ortas aux casernes, déclarèrent qu'ils ne partiraient pas. Le restant de l'armée suivit leur exemple, et deux jours après cette émeute, les capigis-bachis partirent pour annoncer à la Sublime Porte que son sérasker Khourchid, n'ayant plus autour de lui que sa maison militaire, était dans l'impossibilité de prendre l'offensive, et qu'il ne pourrait peut-être pas passer l'hiver sur les bords du Pénée.

Les capigis-bachis s'acheminèrent avec ces fâcheux détails, mais sans savoir qu'au-delà de la triple chaîne de montagnes dont les croupes remplies d'insurgés les séparaient du Péloponèse, Dramali, battu par André Zaïmis dans une dernière affaire qui eut lieu le 18 septembre sur les bords de la rivière de Némée, avait perdu la réserve de son armée dont les débris périssaient en détail par la faim et les maladies.

A peine avait-il rétrogradé sur Corinthe après ce dernier échec, qu'il s'était empressé d'écrire au capitan-pacha de le débarrasser d'une partie de ses troupes, ainsi qu'à Jousouf pacha, gouverneur de Lépante, de lui envoyer des vivres; ces deux chefs, au lieu de répondre à ses justes demandes, avaient défendu la navigation du golfe. S'appropriant ainsi le monopole des fournitures, Jousouf tira des magasins de l'état du biscuit qu'il aurait dû fournir gratuitement à l'armée, pour le vendre aux soldats turcs, au prix exhorbitant de cinq francs l'oque, du poids de quarante-quatre onces. Le capitan-pacha empêchant, de son côté, les spéculateurs des îles Ioniennes de rien porter directement au camp des Turcs sous Corinthe, s'arrangeait à bas prix de leurs cargaisons pour en trafiquer, et Dramali comprenant qu'il fallait savoir tirer parti de tout, s'étant entendu avec les agioteurs, on vit trois chefs, qui auraient dû secourir leurs soldats, les réduire à vendre leurs armes pour se procurer le pain nécessaire à leur existence. On permit aux enfants d'Israël de venir acheter les fusils,

les sabres et les pistolets des soldats du sultan, qui s'en défaisaient pour obtenir les moyens de prolonger leurs souffrances; car la vie qu'ils traînaient dans un pays en proie à la contagion n'était pour eux qu'une longue agonie.

Il faut avoir été témoin d'une pareille déprédation pour y ajouter foi; et ce qui ne paraîtra sans doute pas moins incroyable, sera d'apprendre que, tandis qu'on défendait aux étrangers de porter des subsistances aux mahométans, Jousouf pacha et l'amiral Méhémet laissaient le champ libre aux Ioniens pour trafiquer avec les insurgés qui occupaient les positions d'Acrata, de Xylo-Castron et de Sicyone. Il suffisait d'obtenir de Jousouf pacha un sauf-conduit et un capitaine de pavillon qu'on payait et dont on répondait, pour se rendre sur les points qu'on vient d'indiquer. Là on chargeait des raisins de Corinthe, que les Grecs échangeaient contre du biscuit, de la poudre, des balles, des armes, et Colocotroni reçut ainsi de nouveaux moyens qui le mirent à même de continuer sa campagne. A la vérité, il fallait payer au pacha soixante talaris (trois cent vingt-cinq francs) pour chaque millier de raisin sec qu'on exportait; mais les bénéfices étaient tels, que ce commerce inouï d'un général qui faisait périr les troupes de son prince, en favorisant les insurgés, ne finit que quand les Grecs n'eurent plus de denrées à vendre. Alors les Osmanlis, anéantis par la misère, furent contraints, après avoir mangé leurs chevaux, de se renfermer avec Dramali dans l'Acrocorinthe, où l'on songea à leur donner des approvisionnements de siége, quand ils furent réduits au nombre de trois mille hommes, dont on n'avait plus l'espérance de tirer d'argent.

Une considération aussi déterminante que de n'avoir plus de moyens de pressurer pour s'enrichir, et la peste qui s'était manifestée à bord de ses vaisseaux, ayant rappelé au capitan-pacha qu'il était temps de jeter quelques vi

vres dans la forteresse de Nauplie avant de rentrer à Constantinople, il partit de Patras le 8 septembre. Les vaisseaux grecs étaient, disait-on, retenus dans leurs ports par la crainte que leur inspirait l'armée navale du sultan. On avait transporté la population de l'île de Spetzia à Hydra, en laissant à sa place des hommes préposés aux vigies pour signaler l'ennemi. L'amiral ottoman naviguait dans cette confiance, lorsque sa flotte, arrivée dans les parages orageux de Cythère, fut assaillie par une bourrasque qui l'obligea de filer vent arrière vers l'île de Crète, où elle prit port au mouillage de la Sude.

Les Hydriotes, qui connaissaient le projet des Turcs, renforcés par les divisions navales de Spetzia et de Psara, faisaient alors les dispositions nécessaires pour empêcher les barbares d'approcher de Nauplie, lorsqu'on vit paraître un frégate française. Partie de Smyrne le 3 septembre, elle entrait le 12 dans le golfe d'Argos, suivie d'une gabare et d'une goëlette, au moment où trente-cinq bricks grecs se trouvaient sous voiles, et trente autres ancrés à Spetzia prêts à appareiller. L'amiral des Hellènes ayant aussitôt envoyé le capitaine Sahini complimenter le commandant français et le prier de ne pas communiquer avec Nauplie, il en reçut un refus formel, ainsi que la déclaration qu'il venait toucher les trente mille piastres (environ vingt-cinq mille francs), reconnues par une obligation qui n'était exigible qu'à la fin d'octobre. Ainsi se reproduisait cette honteuse affaire de l'interlope Listock. Les Grecs pouvaient réclamer l'exécution de leur contrat; mais le respect qu'ils portaient au roi très-chrétien, au nom duquel on exprimait cette volonté, les détermina à payer sans discussion la somme exigée dans le délai de six jours.

Le vice-président Kanacaris, Papadiamantopoulos, Cavakatzanys, s'étant rendus garants de son exécution, expédièrent à Tripolitza pour se procurer vingt mille piastres turques, tandis que le grammatiste Théodore Négris

se rendit à Hydra afin de compléter le restant de l'indemnité exigée. C'était à cette humiliation que les Grecs se résignèrent ; et l'être le plus insensible serait ému, si on mettait sous ses yeux la dureté des injonctions faites à des hommes d'honneur à côté de leurs réponses aussi justes que respectueuses, dans lesquelles on ne remarquerait que la crainte qu'ils avaient de se montrer ingrats envers un monarque dont le nom sera vénéré d'âge en âge par tous les chrétiens orientaux.

Cet accord étant fait, la frégate, cinglant pour reprendre sa croisière au large, rencontra, le 18 après-midi, au débouquement de la passe du sud qui mène à Hydra, l'escadre grecque commandée par André Miaoulis Vôcos, se dirigeant à la rencontre de la flotte turque. La journée du 19 se passa en évolutions de la part de ces Hellènes si longtemps dédaignés, qui ne craignaient pas de tenir la mer devant un ennemi capable de les écraser avec un seul de ses vaisseaux de haut-bord; tant ils étaient persuadés que Dieu protégeait l'étendard de la Croix et combattait avec ses enfants. Le 20, la flotte turque parut; il semblait qu'elle devait foudroyer tout ce qui se présenterait devant elle. On distingua à sa manoeuvre qu'elle voulait se rendre à Nauplie par la passe de Spetzia. Les insurgés avaient laissé à la garde de cette île un corps de troupes suffisant pour s'opposer à un débarquement, tandis que douze mille paysans descendus des montagnes occupaient les mouillages et les plages du littoral du Péloponèse ; de sorte qu'autour du golfe et dans le golfe d'Argos tout annonçait une affaire générale et décisive.

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Les Grecs, inspirés par le génie qui révéla à Thémistocle moyen de vaincre Xerxès à Salamine, s'étant saisis du détroit situé en face de la ville de Spetzia et de cette partie du Péloponèse où fleurit Hermione, y prirent position avec dix-huit bricks et huit brûlots, qu'ils échelonnèrent sur trois lignes, de manière que six vaisseaux seulement

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