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tion. Sont également punissables les gens qui négligent de dénoncer les intentions subversives venues à leur connaissance. A la suite du dopros, le prisonnier docile peut obtenir, deux fois par semaine, la visite de ses proches; il peut recevoir des lettres, dont l'administration se réserve d'ailleurs de passer au noir » tous les détails qui lui déplaisent, et ne laisse parfois subsister que la date et la signature; il peut enfin recevoir des livres, c'est-à-dire la Bible et le code pénal. Cependant, le dossier est transmis au ministère de la justice, au bout d'un à trois mois. Il y attend, au moins de trois à six mois, l'examen du ministre, qui peut 1° ordonner la mise en liberté ; 2o réclamer une nouvelle enquête ; 3° exiler le suspect en Sibérie par mesure administrative, et pour cinq ans au plus ; 4o renvoyer l'affaire aux tribunaux. Du ministère de la justice, le dossier passe ensuite au ministère de l'intérieur pour y subir un nouvel examen. En cas de désaccord entre les ministères, c'est au tzar de trancher la question.

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La durée moyenne de ces préliminaires est d'un an à deux ans et demi. Mais elle peut atteindre quatre ou cinq ans. Si le prisonnier meurt dans l'intervalle, on l'ensevelit volontiers subrepticement et sans révéler le lieu de sa sépulture, pour éviter les manifestations hostiles.

Il n'existe dans les provinces de l'empire russe aucune prison spéciale pour les détenus politiques. Ceux-ci se trouvent donc soumis au régime des détenus ordinaires, qui laisse plus qu'à désirer, même si l'on en juge uniquement par les rapports officiels et les circulaires ministérielles. D'abord, l'encombrement est effrayant. En 1883, une prison, installée pour 207 détenus, en contenait 484 (province de Sedlets); une autre, en renfermait 433, au lieu de 165 (province de Suvalki); une autre, 652, au lieu de 125 (province de Petrokov). En 4882, aucune ne fournissait 8 mètres cubes d'air par détenu; plus de la moitié ne donnaient que le tiers de cette ration; et quelques-unes mêmes, le cinquième. Cet encombrement vient surtout de ce que 25 ou 30 pour 400 des détenus sont de simples vagabonds sans passeports. En 1884, les prisons de l'empire ont reçu 792,933 individus, sur lesquels 698,418 ont été libérés avant le 1er janvier 1885. Inutile d'ajouter que les sexes sont mêlés de la façon la plus scandaleuse, et que les femmes sont surveillées par des gardiens hommes, ayant le droit de les fouiller, au détriment de la morale la plus élémentaire.

La conséquence forcée de cet état de choses est la violation complète de tous les règlements. Chaque directeur gouverne despotiquement son domaine, et les autorités chargées du contrôle se dégoûtent de leur rôle illusoire. Tel procureur qui devrait visiter la prison chaque semaine, n'y vient qu'une ou deux fois par an; le médecin n'y

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fait que de courtes apparitions et le pope n'y met jamais les pieds. Les prisonniers sont abandonnés à eux-mêmes au milieu d'ateliers en ruine, libres de se griser avec des liqueurs introduites subrepticement par les gardiens. On a même vu un geôlier faire entrer chaque soir une fille publique dont il partageait la recette le lendemain matin. Il est vrai que le traitement de ces gardiens varie de 3 roubles et demi à 4 roubles et demi par mois. Les infirmeries, les salles de bains, les fosses d'aisances, les conduites d'eau sont dans un état de saleté et de délabrement indescriptibles. On ne fournit de vêtements ou de lits qu'au prorata du nombre de détenus que devrait contenir la prison. Tous ceux qu'elle renferme au-dessus du maximum réglementaire, doivent rester dans leurs guenilles et coucher sur la terre nue, sans couvertures ni paillasses. — Un jeune substitut, M. Timoféiev, ayant voulu réclamer des vêtements pour les détenus indigents de son ressort, et ne recevant aucune réponse, prit le parti original de faire déshabiller le plus crasseux, d'envelopper soigneusement sa défroque, haillons et vermine, dans une toile solide, et de l'expédier, dûment scellée, sans autre explication, à son supérieur hiérarchique. Le cadeau porta : M. Timoféiev reçut les vêtements désirés, mais il reçut, en outre, une verte semonce, et garda depuis lors l'encourageante réputation d'un insupportable poseur (1).

D'après le rapport de l'administration centrale pour 1884, le chiffre des malades était, dans 144 prisons, de 20 pour 100; dans 52, il dépassait 30 pour 100; dans 25, 40 pour 100; et dans 8, il était même supérieur à 50 pour 100. Encore ne s'arrête-t-on pas à signaler les indispositions légères, puisque la durée moyenne des maladies montait souvent à quarante jours, et parfois à dix-sept semaines. Le scorbut régnait dans 223 prisons, et le typhus dans 336. Ce dernier genre d'épidémie représentait même, dans l'un des hôpitaux de détenus, 94 pour 100 des décès. Chaque prison comptait en moyenne 144 cas de maladie grave, et 2,320 journées d'hôpital.

Les détenus politiques, par cela seul qu'on cherche à les isoler, souffrent davantage de toutes ces misères. Ils sont enfermés dans des cellules voisines de celles des insoumis, des fous, des malades de petite vérole. Pour une jeune femme incarcérée depuis plusieurs jours au secret, énervée par la solitude et l'inaction, pareil voisinage est positivement affolant. S'ils veulent se soustraire à leurs ennuis,

(1) Les Etudes de M. Timoféiev ont paru, en 1882, dans le plus important organe du droit russe, le Messager juridique de Moscou. On peut lire, dans le même recueil, d'autres articles analogues de M. Reve, publiés en 1885. — On observera que ces divers articles n'ont pu être imprimés qu'avec la tolérance de la censure.

les prisonniers n'ont que deux ressources : l'évasion et la correspondance clandestine. L'évasion, toujours très aléatoire, risque d'aboutir à une catastrophe, comme il advint à Kiev en 1879 : l'administration ayant surpris certains préparatifs, les laissa tranquillement s'achever, et fusilla les prisonniers, à bout portant, au moment où ils sortaient du souterrain qu'ils avaient creusé, sans que le ministère osât flétrir cette sorte d'assassinat par un blâme énergique. Quant à la correspondance clandestine, elle joue un rôle énorme dans la vie des détenus politiques. Elle se poursuit dans toutes les prisons, sauf dans le château de Schlusselbourg; et beaucoup de détenus lui doivent d'échapper à la folie qui menace les victimes d'un isolement cellulaire trop prolongé. En principe, elle repose sur une sorte de table de Pythagore comprenant les trente-six lettres de l'alphabet russe. Chaque lettre est, dès lors, remplacée par les chiffres des deux colonnes, horizontale et verticale, auxquelles elle appartient; et, sur cette base, s'échafaudent des combinaisons très ingénieuses et fort compliquées. Dans l'usage ordinaire, les chiffres sont comptés par des coups frappés sur la muraille, des noeuds sur un fil, des marques sur du papier à cigarettes, etc. La correspondance peut même se poursuivre avec le dehors jusque sous les yeux de la police par exemple, au moyen de signaux lumineux, de missives d'apparence indifférente, mais où l'œil d'un expert sait lire, dans le groupement imperceptible d'un certain nombre de lettres, des chiffres qui répondent à ceux de la table-type. Lorsque les détenus politiques sont assez nombreux pour tenir tête à l'administration et ne plus craindre la mise au cachot, à cause de l'encombrement de la prison, une sorte d'accord tacite s'établit. L'administration, en échange d'une soumission suffisante, leur permet de communiquer. Si elle persistait à intervenir pour réprimer ce commerce, on la menacerait de se laisser mourir de faim, genre de grève qu'elle craint, avant tout, à raison du scandale que l'événement soulève en ville et parce que l'affaire doit être alors portée au ministère qui ne manque pas d'ouvrir une enquête sur les actes du personnel policier. En 1883, le passant qui longeait les murs de la prison de Kiev, le jour ou la nuit, pouvait entendre des voix monotones répétant des chiffres: « 12, 36, 24, 45..., c'étaient les détenus politiques qui correspondaient entre eux.

Dans la forteresse de St-Pierre et St-Paul, à Pétersbourg, l'installation matérielle est suffisante. Mais la vie devient bientôt intolérable pour les détenus par l'isolement qu'on leur inflige. Ils sont privés de communication avec le monde extérieur, sans autre bruit autour d'eux que le lointain sifflet des vapeurs de la Néva. On ne leur parle qu'à voix basse, et les fonctionnaires même portent des chaussures feutrées. Les fameuses casemates ne sont autres que les cellules d'un

bastion qu'on croit être le bastion Troubetzkof. Chaque jour, on fait promener, à tour de rôle, les détenus en habits civils dans la cour du bastion pour avoir le temps de fouiller leur cellule et leurs vêtements de prison. Hors ce court répit, ils n'ont d'autre distraction que d'arpenter de long en large leur casemate, où le pied de leurs prédécesseurs a creusé dans les dalles un sillon visible. A ce régime, prolongé pendant quinze ou vingt ans, quelques-uns deviennent fous. D'autres se brisent la tête contre les murs. On en cite un qui obtint une grammaire hébraïque et qui eut le temps d'apprendre assez d'hébreu pour retraduire la Bible en entier. Les heureux sont ceux que l'on envoie en Sibérie. R. K.

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L'ANCIENNE COmmunauté dES BEZIIS EN BÉARN, par M. J. Vavasseur (Revue des Sociétés, janvier 1888). Dans le département des Basses-Pyrénées, à Salies, en Béarn, existe une ancienne communauté, la corporation des Part-prenants qui date du moyen âge et qui s'est perpétuée jusqu'à nos jours en conservant les principaux caractères de son antique origine. Les membres de la communauté se nomment, en béarnais, Beziis ou voisins; ils sont propriétaires d'une fontaine salée qu'ils exploitent en commun. Avant le XVIe siècle cette fontaine était la propriété des habitants de Salies; on se partageait l'eau en foule; un règlement du XVIe siècle substitua la répartition au tour. Tous les ayants droit furent inscrits sur un livre dit Livre des chefs» qui fut fermé depuis. La fontaine salée cessa dès lors d'être propriété communale pour devenir le bien commun des beziis inscrits sur le livre des chefs et de leurs descendants. Cette communauté s'est perpétuée jusqu'à ce jour ses droits sur la fontaine ont été confirmés par des actes de l'autorité et mis en harmonic avec la législation actuelle. Mais les anciens règlements ont été conservés, notamment en ce qui concerne le droit de participer aux bénéfices de l'exploitation de la fontaine ; ce droit est soumis à une double condition : 4° il faut prouver que l'on descend des anciens beziis inscrits sur le livre des chefs; 2° il faut résider dans la commune depuis au moins six mois. La fontaine n'est plus une propriété communale, elle est la propriété privée de la corporation des Part-prenants. J. L

TRAVAUX

DES ACADEMIES ET DES SOCIETES SAVANTES

ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES.

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Séance du 18 février 1888. M. E. Rendu lit une notice sur le comte Sclopis, président du tribunal d'arbitrage dans l'affaire de l'Alabama. Séance du 18 février 1888. M. Glasson lit une note sur le premier code de commerce. On a dit que c'était la France qui avait eu le premier code de commerce; en Allemagne on soutient que la première codification du droit commercial a été faite en Allemagne en 1794, mais les ordonnances de Louis XIV en 1673 et 1681 sur le commerce et la marine avaient formé un véritable code de droit commercial bien supérieur à l'œuvre allemande. On a réclamé pour la Catalogne, au moins en ce qui concerne le commerce maritime pour le Consulat de la mer. Mais ce n'est pas une œuvre législative, et d'ailleurs rien ne prouve qu'elle ait été rédigée en catalan. C'est la France qui a codifié le droit commercial terrestre ou maritime en 1673 et 1681; au moyen âge il n'a existé que de simples coutumiers. Même s'il l'on veut les assimiler à des codes à cause de leur autorité considérable, la France peut revendiquer la priorité; des deux coutumiers de droit maritime du moyen âge, l'un, les rôles d'Oléron, est certainement français, et l'autre, le Consulat de la mer, appartient peut-être à la même nationalité; de plus, le premier est vraisemblablement antérieur au second. Séance du 12 mai 1888. M. P. Guiraud présente une étude sur les assemblées provinciales du temps romain. On a découvert récemment à Narbonne une plaque de bronze qui donne le règlement rédigé manifestement par l'autorité impériale pour l'assemblée provinciale de la Narbonnaise et qui confirme ce qui est connu ; il permet par exemple d'affirmer l'existence des assemblées provinciales dans la Narbonnaise, qu'un prêtre unique était préposé au culte de l'empereur, que cette fonction était annuelle et que, par conséquent, l'assemblée se réunissait tous les ans; d'autre part, ce texte révèle des faits nouveaux, notamment au sujet des privilèges accordés aux flamines soit pendant la durée de leurs fonctions, soit après. M. Dareste communique une notice sur le nouveau code civil du Montenegro. Pendant de bien longues années, le Montenegro fut régi exclusivement par des coutumes; en

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