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priété foncière (1). Il raconte, dans un langage moqueur, les artifices auxquels on eut recours autrefois pour faire accepter cette imposition onéreuse par un peuple indigent (2). Il expose les raisons pour lesquelles la richesse du clergé est contraire à une bonne police et voudrait la restreindre dans des limites plus faibles. Toutefois, il n'ose proposer de prendre sur ce point des mesures directes. Mais il y a, dans son opinion, des moyens détournés qui pourraient dégoûter le clergé de sa condition de propriétaire : « Les lois civiles, » dit-il, << trouvent quelquefois des obstaclesjà changer des abus établis parce qu'ils sont liés à des choses qu'elles doivent respecter; dans ce cas, une disposition indirecte marque plus le bon esprit du législateur qu'une autre qui frapperait la chose même. Au lieu de défendre les acquisitions du clergé, il faut chercher à l'en dégoûter lui-même, laisser le droit et ôter le fait (3). » La maxime est bonne et belle. Mais peut-être l'application en serait-elle assez mal aisée. Les exemples qu'il cite sont assez peu concluants. Montesquieu ne mentionne que des lois destinées à rendre moins avantageuses les acquisitions nouvelles. Cela pouvait-il suffire à une époque où le clergé était le maître du tiers environ du royaume? Et n'y avait-il pas un grand inconvénient à l'en laisser maître? Rappelons-nous un passage de l'Esprit des lois, cité précédemment par nous, sur cette nation paresseuse des moines dont l'hospitalité même était préjudiciable à l'Etat en encourageant la paresse d'une partie des séculiers.

Ailleurs, dans un tableau historique plein de vivacité, Montesquieu montre que le grand remède, à l'ardeur avec laquelle le clergé s'est toujours efforcé d'étendre ses possessions et à la facilité que lui a donnée pour cela une piété mal entendue, a été de lui enlever périodiquement ce qu'il avait reçu. On lui a donné plusieurs fois tous les biens du royaume. Mais on les lui a ensuite ôtés. Sous la première race, ses bénéfices sont devenus en partie des fiefs militaires. La seconde race le comble d'abord. Viennent les Normands animés con

(1) L. XXV, ch. v.
(2) L. XXXI, ch. XII.
(3) L. XXV, ch. v.

tre lui d'une haine violente. Une nouvelle série de spoliations commence. La troisième race reprend les traditions de Pepin et de Charlemagne. Les seigneurs font à qui mieux mieux des donations. Mais ils prennent aussi à leurs heures, et, pour conserver leurs domaines, bien des monastères se trouvent obligés de se placer sous le patronage seigneurial. Une meilleure police s'établit, grâce à l'assujettissement de la féodalité aux rois. Les ecclésiastiques se dédommagent de leurs pertes précédentes. Les calvinistes font, à leur tour, leur proie de toutes ces richesses. Concluons. Le clergé a toujours acquis, il a toujours rendu, et il acquiert encore (1).

On voit, par ces analyses et ces citations, quelle quantité d'idées nouvelles l'Esprit des lois jetait dans la circulation. Tantôt il soulève des problèmes sans donner de solution. Tantôt il cherche à les résoudre, quelquefois avec un incontestable succès. Les points de vue lumineux abondent dans cette prose spirituelle et incisive, où l'affectation ne manque pas, mais où le trait facilite la lecture et grave les pensées dans la mémoire. Les paradoxes n'y manquent pas non plus. L'Esprit des lois produisit l'effet de cette étincelle qui éclaire et réchauffe parfois, mais parfois embrase. Les uns s'en approprièrent les hardiesses pour émettre des opinions plus hardies. D'autres s'attachèrent surtout aux conseils de modération et de prudence dont il était plein. Une partie que nous avons omise à dessein pour lui réserver la place d'honneur frappa la plupart d'une manière toute particulière. Elle passa, elle passe encore aujourd'hui pour contenir la meilleure expression de ses sympathies politiques (2). Je veux parler de son examen de la constitution de l'Angleterre. Consacrons-lui quelques instants.

(A suivre.)

A. DUMÉRIL,

Doyen de la Faculté des lettres de Toulouse.

(1) L. XXXI, ch. x. Il aurait pu parler aussi, dans cette occasion, des abbės commandataires.

(2) Cela est justifié par ce qu'il dit, en terminant son chapitre sur l'Angleterre, d'Harrington qui, écrivant son Oceana, a bâti, dit-il, Chalcédoine en ayant le rivage de Byzance devant les yeux.

TRAVAUX

DES ACADÉMIES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES

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Séance du 8 septem

ACADÉMIE DES SCIENCES MORALES ET POLITIQUES. bre 1888. M. Aucoc lit un travail sur l'étude des législations étrangères en France. Cette branche du droit a pris un tel développement qu'on l'invoque souvent aujourd'hui quand il s'agit d'innovations législatives. La rapidité des communications a fait sentir le besoin de se livrer à ces études, mais pour qu'elles soient profitables à tous il est nécessaire d'avoir de bonnes traductions des lois qui régissent les autres nations. De nombreux et savants jurisconsultes avaient donné de précieux travaux; mais ces travailleurs isolés se sont heurtés à d'insurmontables difficultés quand il s'est agi de grouper et traduire les nombreux documents touchant aux législations étrangères; de là leur est venue l'idée de former la Société de législation comparée. Cette société n'a voulu que faire connaître les lois des autres pays. Depuis 1874 elle a publié une collection des annuaires des législations étrangères et en 1882 un annuaire de la législation française. Il est inutile de démontrer l'importance de pareils travaux qui permettent de comparer le mouvement de codification qui se produit tant en France qu'à l'étranger; l'énumération de quelques questions traitées suffit à démontrer la grandeur de la tâche poursuivie : les droits politiques, le mariage, la transmission de la propriété, le commerce, le droit criminel, le service militaire, les changements survenus dans la condition des travailleurs, etc., etc. ont été étudiés et codifiés avec le plus grand-soin. Mais une société particulière ne pouvait ni réunir tous les ouvrages et documents publiés, ni les faire traduire; M. Dufaure fonda le comité de législation étrangère dont la bibliothèque compte déjà plus 18,000 volumes et un très grand nombre de traductions. Les études de législation étrangère doivent être menées avec prudence pour être utiles. Les traductions doivent être faites par des hommes ayant une compétence spéciale et connaissant à fond le langage juridique. Il faut aussi se rendre compte des circonstances dans lesquelles les lois ont été promulguées, des effets qu'elles ont produit depuis leur mise à exécution, des modifications qu'on leur a fait subir, etc. M. Desjardins a insisté sur l'utilité de ces études qui donnent la

facilité de juger et discuter les lois nationales. De ces études sont nées de nombreuses conventions internationales faites dans l'intérêt de tous; elles conduiront à l'unification; déjà elles ont donné une impulsion aux congrès commerciaux et industriels. Ainsi elles sont indispensables pour la connaissance du droit public maritime, les prises, les blocus, le contrats d'affrétement, les avaries; voilà autant de questions qui se dénouent aussi souvent, pour nos marins, devant les tribunaux étrangers que devant les tribunaux français. Cependant il faut ne rien pousser à l'excès et vouloir mettre de côté quand même notre droit français qui est basé sur des mœurs et des usages qui nous sont propres. On ne saurait donc apporter trop de mesure dans les emprunts à faire aux législations étrangères; il convient de ne pas oublier que, depuis le commencement du siècle, la législation anglaise a été transformée plus de 40 fois. M. Dareste a lu une note sur la législation comparée et l'histoire du droit. Le droit est une science et non un amas de décisions diverses; cette science devient plus claire tous les jours, depuis qu'il est facile de réunir de nombreux documents de tous les pays; il faut savoir s'en servir. De même que la philologie a montré la relation qui existe entre les différentes langues, de même la science du droit doit nous montrer la parenté qui existe entre les diverses législations, qui toutes ont suivi la loi du progrès. En droit, les mêmes causes ont produit les mêmes effets, mais la science moderne n'a pas toujours tenu compte de la marche des législations. Aucune institution ne peut être considérée comme étant la propriété d'un seul peuple, puisque tous les peuples ont à peu près les mêmes idées sur la justice; seulement, les uns ont marché plus vite que les autres.

Séance du 29 juin

ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-Llettres. 1888. M. de la Borderie a lu un mémoire sur le rôle et les fonctions d'un magistrat breton, le machtiern et sur l'organisation primitive des Bretons émigrés en Armorique. Il résulte de cette étude, qui s'appuie principalement sur les documents fournis par le Cartulaire de Redon, que le machtiern était un officier civil inférieur au comte et ayant succédé aux chefs des bandes établies dans l'Armorique, au cinquième siècle de notre ère. Son pouvoir s'exerçait sur une circonscription appelée Plebs dans le Cartulaire et Plou en langue bretonne. Il était investi d'une autorité judiciaire.

ACADÉMIE DE Médecine. Séance du 26 juin 1888. — M. Lagneau fait un rapport sur un mémoire lu précédemment sur l'état des détenus dans les prisons cellulaires de Belgique par M. A. Voisin (v. p. 251). M. Lagneau rappelle d'abord que l'emprisonnement cellulaire a été

adopté en France conformément à la loi du 3 juin 1875, pour les prévenus, non encore reconnus innocents ou coupables, ainsi que pour les condamnés à des détentions de courte durée, de moins d'un an, avec réduction à neuf mois; mais l'emprisonnement cellulaire n'a pas paru devoir être employé pour les condamnés à des détentions prolongées. Ce mode d'emprisonnement, par le fait même de l'isolement individuel, aurait accru la morbidité et la mortalité, aurait déterminé une plus grande fréquence des suicides et des cas d'aliénation mentale. Mais, en France, par suite de mauvaises dispositions de certaines prisons, par suite du trop grand nombre de détenus, par suite de leur isolement imparfait, on n'obtient pas du régime cellulaire les résultats obtenus en Belgique. Dans ce pays, ce régime est strictement appliqué. Chaque détenu est réellement séparé des autres détenus." Mais de nombreuses visites leur sont faites par les gardiens, les aumôniers, les directeurs, les instituteurs, les maîtres-ouvriers leur apprenant des métiers. Dans les prisons cellulaires de Belgique, la mortalité générale, la proportion des suicides et des cas d'aliénation mentale ne paraissent pas plus considérables que dans les prisons en commun. Les détenus ne s'y démoralisent pas et, par leur apprentissage durant leur détention, sont mis à même de gagner honnêtement leur vie lors de leur sortie de prison.

ACADÉMIE FRANÇAISE. Notre distingué collaborateur, M. P. Robiquet, avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation, a eu une part du prix Thérouanne pour son livre sur Paris et la Ligue sous Henri III. M. H. Lemonnier a obtenu une fraction du prix Marcelin Guérin pour son Etude historique sur la condition privée des affranchis aux trois premiers siècles de l'empire romain.

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