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l'intelligence des Guèbres, foupçonnent qu'on a voulu peindre l'inquifition, parce que dans plufieurs pays des magiftrats ont fiégé avec les moines inquifiteurs pour veiller aux intérêts de l'état. Cette idée n'eft pas moins abfurde que l'autre. Pourquoi vouloir expliquer ce qui ne demande aucune explication? Pourquoi s'obstiner à faire d'une tragédie une énigme dont on cherche le mot ? Il y eut un nommé du Magnon qui imprima que Cinna était le portrait de la cour de Louis XIII.

Mais fuppofons encore qu'on pût imaginer quelque reffemElance entre les prêtres d'Apamée & les inquifiteurs, il n'y aurait dans cette reffemblance prétendue qu'une raifon de plus d'élever des monumens à la gloire des miniftres d'Efpagne & de Portugal qui ont enfin réprimé les horribles abus de ce tribunal fanguinaire. Vous voulez à toute force que cette tragédie soit la fatyre de l'inquifition. Eh bien, béniffez donc tous les parlemens de France qui fe font conftamment oppofés à l'introduction de cette magiftrature monftrueufe, étrangère, inique, dernier effort de la tyrannie & opprobre du genre humain. Vous cherchez des allufions, adoptez donc celle qui fe préfente fi naturellement dans le clergé de France, compofé en général d'hommes dont la vertu égale la naiffance, & qui ne font point perfécuteurs.

Ces pontifes divins justement respectés

Ont condamné l'orgueil & plus les cruautés.

Vous trouverez fi vous voulez une reffemblance plus frappante entre l'empereur qui vient dire à la fin de la tragédie qu'il ne veut pour prêtres que des hommes de paix, & ce roi fage qui a fu calmer des querelles eccléfiaftiques qu'on croyait interminables.

Quelque allégorie que vous cherchiez dans cette pièce, vous n'y verrez que l'éloge du fiècle.

Voilà ce qu'on répondrait avec raifon à quiconque aurait la manie de vouloir envisager le tableau du tems préfet, dans une antiquité de quinze cents années.

Si la tolérance accordée par quelques empereurs Romains paraissait d'une conféquence dangereufe à quelques habitans

des Gaules du dix-huitième fiècle de notre ère vulgaire, s'ils oubliaient que les Provinces- Unies doivent leur opulence à cette tolérance humaine, l'Angleterre fa puiffance, l'Allemagne fa paix intérieure, la Ruffie fa grandeur, fa nouvelle population, fa force; fi ces faux politiques s'effarouchent d'une vertu que la nature enfeigne, s'ils ofent s'élever contre cette vertu, qu'ils fongent au moins qu'elle eft recommandée par Sévère dans Polyeude:

J'approuve cependant que chacun ait fes Dieux.

Qu'ils avouent que dans les Guèbres ce droit naturel eft bien plus reftraint dans des limites raifonnables:

Que chacun dans fa loi cherche en paix la lumière ;
Mais la loi de l'état eft toujours la première.

Auffi ces vers ont été toujours reçus avec une approbation univerfelle par-tout où la pièce a été représentée. Ce qui eft approuvé par le fuffrage de tous les hommes eft fans doute le bien de tous les hommes.

L'empereur dans la tragédie des Guèbres n'entend point & ne peut entendre par le mot de tolérance la licence des opi-t nions contraires aux mœurs, les affemblées de débauche, les confrairies fanatiques; il entend cette indulgence qu'on doit à tous les citoyens qui fuivent en paix ce que leur confcience leur dicte & qui adorent la Divinité fans troubler la fociété. Il ne veut pas qu'on puniffe ceux qui fe trompent comme on punirait des parricides. Un code crminel, fondé fur une loi fi fage, abolirait des horreurs qui font frémir la nature. On ne verrait plus des préjugés tenir lieu de loix divines; les plus abfurdes délations devenir des convictions; une fecte accufer continuellement une autre fecte d'immoler fes enfans; des actions indifférentes en elles-mêmes portées devant les tribunaux comme d'énormes attentats; des opinions fimplement philofophiques traitées de crimes de lèfemajefté divine & humaine; un pauvre gentilhomme condamné à la mort pour avoir foulagé la faim dont il était

preffé en mangeant de la chair de cheval en carême (6) ; une étourderie de jeuneffe punie par un fupplice réservé aux parricices; & enfin les mœurs les plus barbares étaler à l'étonnement des nations indignées, toute leur atrocité dans le fein de la politeffe & des plaifirs. C'était malheureufement le caractère de quelques peuples dans des tems d'ignorance. Plus on eft abfurde, plus on eft intolérant & cruel: l'abfurdité a élevé plus d'échafauds qu'il n'y a eu de criminels. C'est l'abfurdité qui livra aux flammes la maréchale d'Ancre & le curé Urbain Grandier; c'est l'abfurdité fans doute qui fut l'origine de la Saint-Barthelemi. Quand la raison eft pervertie, l'homme devient un animal féroce, les bœufs & les finges fe changent en tigres. Voulez-vous changer enfin ces bêtes en hommes; commencez par souffrir qu'on leur prêche la raison.

(b) Claude Guillon exécuté en 1629 le 27 Juillet, pour ce crime de lèfemajefté divine au premier chef.

PERSONNAGES.

IRADAN, tribun militaire, commandant dans le château d'Apamée.

CESÈNE, fon frère & fon lieutenant.

ARZÉMON, Parfis ou Guèbre, agriculteur, retiré près de la ville d'Apamée.

ARZÉMON, fon fils.

ARZAME, fa fille.

MÉGATISE, Guèbre, foldat de la garnison.

PRÊTRES de Pluton.

L'EMPEREUR & fes officiers.

SOLDATS.

La fcène eft dans le château d'Apamée fur l'Oronte en Syrie.

LES GUÈBRES,

OU

LA TOLERANCE.

TRAGEDIE.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈR E.

IRADAN, CESEN E.

CESÈNE.

JE fuis las de fervir. Souffrirons-nous, mon frère,
Caviliffement du grade militaire?

Navez-vous avec moi dans quinze ans de hasards
Prodigue votre fang dans les camps des Céfars,
Que pour languir ici loin des regards du maître,
Commandant fubalterne & lieutenant d'un prêtre?
Apamée à m ́s yeux eft un féjour d'horreur.
Telpérais près de vous montrer quelque valeur,
Combattre fous vos loix, fuivre en tout votre exemple;
Mais vous n'en recevez que des tyrans d'un temple.
Ces mortels inhumains à Pluton confacrés

Diftent

par votre voix leurs décrets abhorrés.

Ma raison s'en indigne, & mon honneur s'irrite,
De vous voir en ces lieux leur premier fatellite.
IRADAN.

Ah! des mêmes chagrins mes fens font pénétrés;
Moins violent que vous je les ai dévorés.

Mais que faire? & qui fuis-je ? un foldat de fortune
Né citoyen Romain, mais de race commune,
Sans foutiens, fans patrons qui daignent m'appuier,
Sous ce joug odieux il m'a fallu plier.

Des prêtres de Pluton, dans les murs d'Apamée,
L'autorité fatale eft trop bien confirmée.
Plus l'abus eft antique, & plus il est sacré.
Par nos derniers Céfars on l'a vu révéré.
De l'empire Perfan l'Oronte nous fépare;
Gallien veut punir la nation barbare
Chez qui Valérien, victime des revers,
Chargé d'ans & d'affronts expira dans les fers.
Venger la mort d'un père est toujours légitime.
Le culte des Perfans à fes yeux eft un crime.
Il redoute, ou du moins il feint de redouter
Que ce peuple inconftant, prompt à se révolter,
N'embraffe aveuglément cette fecte étrangère,
A nos loix, à nos Dieux, à notre état contraire.
Il dit que la Syrie a porté dans fon fein
De vingt cultes nouveaux le dangereux effain.
Que la paix de l'empire en peut être troublée,
Et des Céfars un jour la puiffance ébranlée.
C'est ainsi qu'il excufe un excès de rigueur.
CESENE.

Il f
trompe; n fue gouverné par l'honneur
Diftingue en tous les tems l'état & fa croyance.

Le

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