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Ne va point fur le Tibre, il n'eft plus de talens,
Plus de héros, plus de grand homme;
Chez ce peuple de conquérans

Il est un pape, & plus de Rome.

Va plutôt vers ces monts qu'autrefois fépara
Le redoutable fils d'Alcmène,

Qui dompta les lions, fous qui l'hydre expira,
Et qui des cieux jaloux brava toujours la reine,
Tu verras en Espagne un (6) Alcide nouveau
ainqueur d'une hydre plus fatale;
Des fuperftitions déchirant le bandeau,

Plongeant dans la nuit du tombeau

De l'inquifition la puiffance infernale.

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Di-lui, qu'il eft en France un mortel qui l'égale;

que le vaiffeau

Car tu parles fans doute, ainfi que

Qui tranfporta dans la Colchide

Les deux gemeaux divins, Jafon, Orphée, Alcide;
Baptifé fous mon nom tu parles hardiment:
Que ne diras-tu point des énormes fotifes,

Que mes chers Français ont commifes
Sur l'un & fur l'autre élément!

Tu brûles de partir, atten, demeure, arrête,
Je prétends m'embarquer, atten-moi, je te joins:
Libre de paffions & d'erreurs & de foins,
J'ai fu de mon afyle écarter la tempête;

Mais dans mes prés fleuris, dans mes fombres forêts,
Dans l'abondance & dans la paix,

Mon ame eft encor inquiète:

(b) M. le comte d'Aranda.

Des méchans & des fots je fuis encor trop près:
Les cris des malheureux percent dans ma retraite.
Enfin le mauvais goût qui domine aujourd'hui
Déshonore trop ma patrie.

Hier on m'apporta pour combler mon ennui
Le Tacite de la Bletrie.

Je n'y tiens point, je pars, & j'ai trop différé.
Ainfi je m'occupais fans fuite & fans méthode
De ces penfers divers où j'étais égaré,
Comme tout folitaire à lui-même livré,

Ou comme un fou qui fait une ode;
Quand Minerve tirant les rideaux de mon lit,
Avec l'aube du jour m'apparut & me dit,
Tu trouveras par-tout la même impertinence.
Les ennuyeux & les pervers
Composent ce vafte univers:

Le monde eft fait comme la France.

Je me rendis à la raison,

Et fans plus m'affliger des fotifes du monde, Je laiffai mon vaiffeau fendre le fein de l'onde; Et je reftai dans ma maison.

LES CHEVAUX ET LES ANES;

OU

É TRENNES AUX SOTS.

A

1 Janvier 1761,

ces beaux jeux inventés dans la Grèce,
Combats d'efprit, ou de force, ou d'adreffe,
Jeux folemnels, écoles des héros,

Un gros Thébain, qui fe nommait Bathos,
Affez connu par fa craffe ignorance,
Par fa léfine, & fon impertinence,
D'ambition tout comme un autre épris,
Voulut paraître, & prétendit aux prix.
C'était la courfe; un beau cheval de Thrace,
Aux crins flottans, à l'œil brillant d'audace,
Vif & docile, & léger à la main,
Vint préfenter fon dos à mon vilain.
Il demandait des houffes, des aigrettes,
Un beau harnois, de l'or fur fes boffettes,
Le bon Bathos quelque tems mai chanda,
Un certain âne alors fe préfenta;
L'âne difait, mieux que lui je fais braire,
Et vous verrez que je fais mieux courir
Pour des chardons je m'offre à vous fervir;
Préférez-moi, Mon Bathos le préfère.
Sûr du triomphe il fort de la maifon,
Voilà Bathos monté fur fon grifon.

;

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Il veut courir. La Grèce était railleufe.
Plus l'affemblée était belle & nombreuse,
Plus on fifflait. Les Bathos en ce tems
N'impofaient pas filence aux bons plaifans.
Profitez bien de cette belle hiftoire,
Vous qui fuivez les fentiers de la gloire;
Vous qui briguez ou donnez des lauriers,
Diftinguez bien les ânes des courfiers.
En tout état, & dans toute fcience,
Vous avez vu plus d'un Bathos en France;
Et plus d'un âne a mangé quelquefois
Au ratelier des courfiers de nos rois.

L'abbé Dubois fameux par fa veffie,
Mit fur fon front très-atteint de folie,"
La même mitre, hélas! qui décora
Ce Fénélon que l'Europe admira.
Au Ciceron des oraifons funèbres,
Sublime auteur de tant d'écrits célèbres,
Qui fuccéda dans l'emploi glorieux
De cultiver l'efprit des demi-Dieux-?
Un théatin, un Boyer. Mais qu'importe,
Quand T'arbre eft beau, quand sa fève eft bien forte,
Qu'il foit taillé par Bénigne ou Boyer?
De très-bons fruits viennent fans jardinier.
C'est dans Paris, dans notre immenfe ville,
En grands efprits, en fots toujours fertile,
Mes chers amis, qu'il faut bien nous garder
Des charlatans qui viennent l'inonder.
Les vrais talens fe taisent ou s'enfuient,
Découragés des dégoûts qu'ils effaient.
Les faux-talens font hardis, effrontés,
Poifies. Tome I.

A a

1

Souples, adroits, & jamais rebutés.

Que de Frêlons vont pillant les abeilles !
Que de Pradons s'érigent en Corneilles !
Que de Gauchats (a) femblent des Maffillons!
Que de Le Dains fuccèdent aux Bignons !
Virgile meurt, Bavius le remplace.
Après Lulli nous avons vu Colaffe.
Après Le Brun Coypel obtint l'emploi
De premier peintre, ou barbouilleur du roi.
Ah! mon ami, malgré ta fuffisance,

Tu n'étais pas premier peintre de France.
Le lourd Crevier (b), pédant, crasseux & vain,
Prend hardiment la place de Rollin,

Comme un valet prend l'habit de fon maître.
Que voulez-vous? chacun cherche à paraître.
C'est un plaifir de voir ces poliffons

Qui du bon goût nous donnent des leçons,
Ces étourdis calculant en finance,

Et ces bourgeois qui gouvernent la France,
Et ces gredins qui d'un air magiftral
Pour quinze fous griffonnant un journal,
Journal chrétien, connu par fa fotise,
Vont fe quarrant en princes de l'églife,
Et ces faquins qui d'un ton familier
Parlent au roi du haut de leur grenier.

(a) Gauchat, mauvais auteur de lil s'efforce de prouver que Montef
quelques brochures.
quieu n'était pas chrétien. Voilà un
(b Crevier, mauvais auteur d'une beau fervice que cet homme rend à
hiftoire Romaine, & d'une hiftoire notre religion, de chercher à nous
de l'univerfité, & beaucoup plus fait convaincre qu'elle était méprifée par
pour la feconde que pour la premiè-un grand homme. La monture de
re. Il a depuis fait un libelle contre Bathos paraît affez convenable à ce
le célèbre Montefquieu, dans lequel monfieur.

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