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DE L'USAGE DE LA SCIENCE

DANS LES PRINCES (a).

A MONSEIGNEUR

LE PRINCE ROYAL DE PRUSSE,

DEPUIS ROI DE PRUSSE.

PRINCE,

RINCE, il eft

peu de rois, que les mules inftruifent,

Peu favent éclairer les peuples qu'ils conduisent.
Le fang des Antonins fur la terre eft tari;
Car depuis ce héros à Rome fichéri,

e philofophe roi, ce divin Marc-Aurèle,
Des princes, des guerriers, des favans le modèle,
Quel roi fous un tel joug ofant fe captiver,
Dans les fources du vrai fut jamais s'abreuver ?

Deux ou trois, tout au plus, prodiges dans l'histoire,
Du nom de philofophe ont mérité la gloire;
Le refte eft à vos yeux le vulgaire des rois,
Efclaves des plaifirs, fiers oppreffeurs des loix,
Fardeaux de la nature, ou fléaux de la terre,
Endormis fur le trône, ou lançant le tonnerre.

Le monde aux pieds des rois les voit fous un faux jour;
Qui fait régner fait tout, fi l'on en croit la cour.

Mais quel eft en effet ce grand art politique,
Ce talent fi vanté dans un roi defpotique?

(4) Cette pièce eft de 1738.

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Tranquille fur le trône, il parle, on obéit;

S'il fourit, tout eft gai; s'il eft trifte, on frémit.
Quoi! régir d'un coup-d'œil une foule fer ile,
Eft-ce un poids fi pesant, un art fi difficile ?
Non: mais fouler aux pieds la coupe de l'erreur,
Dont veut vous enivrer un ennemi flatteur,
Des prélats courtifans confondre l'artific e
Aux organes des loix enfeigner la juftice,
Du féjour doctoral chaffant l'absurdité,
Dans fon fein ténébreux placer la vérité;
Eclairer le favant, & foutenir le fage;

Voilà ce que j'admire, & c'est-là votre ouvrage.
L'ignorance, en un mot, flétrit toute grandeur.

Du dernier roi d'Espagne un grave (6) ambassadeur,
De deux favans Anglais reçut une prière:

Ils voulaient dans l'école apportant la lumière,
De l'air qu'un long crystal enferme en fa hauteur,
Aller au haut d'un mont marquer la pefanteur.
Il pouvait les aider dans ce favant voyage;
Il les prit pour des fous: lui feul était peu fage.
Que dirai-je d'un pape & de fept cardinaux,
D'un zèle apoftolique uniffant les travaux,
Pour apprendre aux humains dans leurs auguftes codes
Que c'était un péché de croire aux antipodes?
Combien de fouverains chrétiens & mufulmans,

Ont tremblé d'une éclipfe, ont craint des talifmans?
Tout monarque indolent, dédaigneux de s'inftruire,
Eft le jouet honteux de qui veut le féduire.
Un aftrologue, un moine, un çhymiste effronté,

(b) Cette aventure fe paffa à Londres la première année du règne de Charles II roi d'Espagne.

Se font un revenu de fa crédulité.

Il prodigue au dernier fon or par avarice;

Il demande au premier, fi Saturne propice,
D'un afpect fortuné regardant le foleil,

L'appelle à table, au lit, à la chaffe, au confeil.
Il est aux pieds de l'autre, & d'une ame foumise,
Par la crainte du diable il enrichit l'églife.
Un pareil fouverain reffemble à ces faux Dieux,
Vils marbres adorés, ayant en vain des yeux;
Et le prince éclairé, que la raifon domine,
Eft un vivant portrait de l'effence divine.

Je fais, que dans un roi l'étude, le favoir,
N'eft pas le feul mérite & l'unique devoir;
Mais qu'on me nomme enfin dans l'histoire facrée,
Le roi dont la mémoire est la plus révérée ;
C'est ce héros favant que DIEU même éclaira,
Qu'on chérit dans Sion, que la terre admira,
Qui mérita des rois le volontaire hommage.
Son peuple était heureux, il vivait fous un fage:
L'abondance à fa voix paffant le fein des mers,
Volait pour l'enrichir des bouts de l'univers,
Comme à Londre, à Bourdeaux, de cent voiles fuivie,
Elle
apporte au printems les tréfors de l'Afie.

Ce roi que tant d'éclat ne pouvait éblouir,
Sut joindre à fes talens l'art heureux de jouir.
Ce font-là les leçons qu'un roi prudent doit fuivre ;
Le favoir en effet n'eft rien fans l'art de vivre.
Qu'un roi n'aille donc point, épris d'un faux éclat,
Pâliffant fur un livre, oublier fon état.

Que plus il eft inftruit, plus il aime sa gloire.

fa

De ce monarque Anglais vous connaissez l'histoire,

Dans un fatal exil Jacques (c) laiffa périr

Son gendre infortuné qu'il eût pu fecourir.
Ah! qu'il eût mieux valu, raffemblant fes armées,
Délivrer des Germains les villes opprimées,
Venger de tant d'états les défolations,

Et tenir la balance entre les nations,

Que d'aller, des docteurs briguant les vains fuffrages,
Au doux enfant JESUS dédier fes ouvrages!
Un monarque éclairé n'eft pas un roi pédant;
Il combat en héros, il pense en vrai savant.
Tel fut ce Julien méconnu du vulgaire,
Philofophe & guerrier, terrible & populaire.
Ainfi ce grand Céfar, foldat, prêtre, orateur,
Fut du peuple Romain l'oracle & le vainqueur:
On fait qu'il fit encor bien pis dans fa jeuneffe:
Mais tout fied aux héros, excepté la faiblesse.

(c) Le roi Jacques fit un petit traité de théologie qu'il dédia à l'enfant JESUS.

VARIANTE, pour les deux derniers vers.

Il ferait aujourd'hui votre modèle auguste,

Et votre exemple en tout, s'il avait été jufte.

RÉPONSE

RÉPONSE

A une lettre dont le roi de Pruffe honora l'auteur à fon avénement à la couronne.

QUOI,

UOI, vous êtes monarque, & vous m'aimez encore!
Quoi! le premier moment de cette heurcufe aurore,
Qui promet à la terre un jour fi lumineux,

Marqué par vos bontés, met le comble à mes vœux!
O cœur toujours fenfible! ame toujours égale!
Vos mains du trône à moi rempliffent l'intervalle.
Citoyen couronné, des préjugés vainqueur,
Vous m'écrivez en homme, & parlez à mon cœur,
Cet écrit vertueux, ces divins caractères

Du bonheur des humains font les gages fincères.
Ah prince! ah digne efpoir de nos cœurs captivés !
Ah! régnez à jamais comme vous écrivez.
Pourfuivez, rempliffez des voeux fi magnanimes;
Tout roi jure aux autels de réprimer les crimes;
Et yous plus digne roj, vous jurez dans mes mains
De protéger les arts, & d'aimer les humains.

Et toi (a), dont la vertu brilla perfécutée,
Toi qui prouvas un Dieu, mais qu'on nommait athée,
Martyr de la raison, que l'envie en fureur
Chaffa de fon pays par la main de l'erreur,
Reviens, il n'est plus rien qu'un philofophe craigne,
Socrate eft fur le trône, & la vérité règne.

(a) Le profeffeur Volf, perfécuté | deric II fous peine d'être pendu, & comme athée par les théologiens de fait chancelier de la même univerfité Funiverfité de Hall, chaffé par Fré-à l'avénement de Fréderic III.

Poefies. Tome I.

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