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LET TRE

AU R. DE P..... (a)

BLAISE Pascal a tort, il en faut convenir.
Ce pieux mifanthrope, Héraclite fublime,
Qui penfe qu'ici-bas tout eft mifère & crime,
Dans fes triftes accès ofe nous maintenir,

Qu'un roi que l'on amuse, & même un roi qu'on aime,
Dès qu'il n'eft plus environné,

Dès qu'il eft réduit à lui-même,

Est de tous les mortels le plus infortuné.

Il est le plus heureux, s'il s'occupe, & s'il pense.
Vous le prouvez très-bien, car loin de votre cour
En hibou fort fouvent renfermé tout le jour,
Vous percez d'un oeil d'aigle en cet abîme immenfe,
Que la philofophie ouvre à nos faibles yeux;

Et votre esprit laborieux,

mieux,

Qui fait tout obferver, tout orner, tout connaître,
Qui fe connaît lui-même, & qui n'en vaut que
Par ce mâle exercice, augmente encor fon être.
Travailler eft le lot & l'honneur d'un mortel.
Le repos eft, dit-on, le partage du cięl!
Je n'en crois rien du tout: quel bien imaginaire
D'être les bras croifés pendant l'éternité!
Est-ce dans le néant qu'est la félicité?

DIEU ferait malheureux, s'il n'avait rien à faire;
Il est d'autant plus DIEU, qu'il eft plus agissant.

(a) Cette pièce eft de 1751. Voyez les Penfées de Pafcal.

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Toujours ainsi que vous, il produit quelque ouvrage.
On prétend qu'il fait plus, on dit qu'il se repent.
Il préfide au fcrutin qui dans le vatican
Met fur un front ridé la coëffe à triple étage.
Du prifonnier Mahmoud il vous fait un fultan.
Il mûrit à Moka dans le fable Arabique
Ce café néceffaire aux pays des frimats,
Il met la fièvre en nos climats,

Et le remède en Amérique,

Il a rendu l'humain féjour

De la variété le mobile théâtre ;

Il fe plut à pêtrir d'incarnat & d'albâtre
Les charmes arrondis du teint de Pompadour,
Tandis qu'il vous étend un noir luifant d'ébène
Sur le nez appląti d'une dame Africainę,
Qui reffemble à la nuit comme l'autre au beau jour
DIEU fe joue à fon gré de la race mortelle;
Il fait vivre cent ans le Normand Fontenelle,
Et trouffe à trente-deux mon dévot de Pafcal.
Il a deux gros tonneaux, dont le bien & le mal
Defcendent en pluie éternelle

Sur cent mondes divers & fur chaque animal;
Les fots, les gens d'efprit, & les fous, & les fages,
Chacun reçoit fa dofe, & le tout est égal,

On prétend que de DIEU les rois font les images;
Les Anglais penfent autrement;

Ils disent en plein parlement,

Qu'un roi n'eft pas plus Dieu

que le pape

infaillible:

Mais il eft pourtant très-plaufible,

Que ces puiffans du fiècle un peu trop adorés,

A la faiblefle humaine ainsi

que nous livrés,

Reffemblent en un point à notre commun maître;
C'est qu'ils font comme lui, le mal, & le bien-être :
Ils ont les deux tonneaux. Bouchez-moi pour jamais
Le tonneau des dégoûts, des chagrins, des caprices,
Dont on voit tant de cours s'abreuver à longs traits.
Répandez de pures délices

Sur votre peu d'élus à vos banquets admis;

Que leurs fronts foient fereins, que leurs cœurs foient unis:
Au feu de votre efprit que notre efprit s'éclaire;
Que fans empreffement nous cherchions à vous plaire;
Qu'en dépit de la majesté,

Notre agréable liberté,

Compagne du plaifir, mère de la faillie,

Affaifonne avec volupté

Les ragoûts de votre ambroifie.

Les honneurs rendent vain, le plaifir rend heureux
Verfez les douceurs de la vie

Sur votre Olympe fablonneux,

Et que le bon tonneau foit à jamais fans lie.

O DE

AUROI DE PRUSSE,

SUR SON A VÉNEMENT AU TRONE,

EST-CE

›T-C E aujourd'hui le jour le plus beau de ma vie? Ne me trompai-je point, dans un espoir fi doux? Vous régnez. Eft-il vrai que la philofophie

Va régner avec vous?

Fuyez loin de fon trône, impofteurs fanatiques,
Vils tyrans des efprits, fombres perfécuteurs
Vous dont l'ame implacable, & les mains phrénétiques
Ont tramé tant d'horreurs.

Quoi! je t'entens encor, abfurde calomnie!
C'est toi, monftre inhumain, c'eft toi qui poursuivis
Et Defcartes & Bayle, & ce puiffant génie (a),
Succeffeur de Leibnitz.

Tu prenais fur l'autel un glaive qu'on révère, Pour frapper faintement les plus fages humains.

(a) Volf, chancelier de l'univerfité toire du Brandebourg, où il eft dit, de Hall. Il fut chaffé fur la dénon-qu'il a noyé le fyftême de Leibnitz dans ciation d'un théologien, & rétabli un fatras de volumes, & dans un enfuite. Voyez la préface de l'hif-déluge de paroles,

Mon

fon roi va te percer du fer que le vulgaire Adorait dans tes mains.

Il te frappe, tu meurs, il venge notre injure;
La vérité renaît, l'erreur s'évanouit;

La terre élève au ciel une voix libre & pure,
Le ciel fe réjouit.

Et vous de Borgia, déteftables maximes,
Science d'être injuste à la faveur des loix,
Art d'opprimer la terre, art malheureux des crimes,
Qu'on nomme l'art des rois.

Périffent à jamais vos leçons tyranniques;
Le crime eft trop facile, il eft trop dangereux.
Un efprit faible eft fourbe ; & les grands politiques
Sont les cœurs généreux.

Ouvrons du monde entier les annales fidelles,
Voyons-y les tyrans; ils font tous malheureux;
Les foudres, qu'ils portaient dans leurs mains criminelles
Sont retombés fur eux.

Ils font morts dans l'opprobre, ils font morts dans la rage; Mais Antonin, Trajan, Marc-Aurèle, Titus,

Poefies. Tome I.

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