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ODE

SUR LA MORT DE SON ALTESSE ROYALE

MADAME LA PRINCESSE DE BAREITH.

LORSQU'EN des tourbillons de flamme & de fumée,
Cent tonnerres d'airain précédés des éclairs,
De leurs globes brûlans renversent une armée,
Quand de guerriers mourans les fillons font couverts,
Tous ceux qu'épargna la foudre,

Voyant rouler dans la poudre
Leurs compagnons maffacrés,
Sourds à la pitié timide,
Marchent d'un pas intrépide

Sur leurs membres déchirés.

Ces féroces humains plus durs, plus inflexibles
Que l'acier qui les couvre au milieu des combats,
S'étonnent à la fin de devenir fenfibles,
D'éprouver la pitié qu'ils ne connaiffaient pas ;
Lorsque la mort en filence

D'un pas terrible s'avance

Vers un objet plein d'attraits;
Quand ces yeux qui dans les ames

Lançaient les plus douces flammes,

Vont s'éteindre pour jamais:

Une

Une famille entière interdite, éplorée,
Se preffe en gémiffant vers un lit de douleurs ;
La victime l'attend, pâle, défigurée,

Tendant une main faible à fes amis en pleurs;
Tournant en vain la paupière

Vers un refte de lumière

Qu'elle gémit de trouver,
Elle présente fa tête ;

La faulx redoutable est prête ; ́
Et la mort va la lever.

Le coup part, l'ame fuit, c'en eft fait, il ne refte; De tant de dons heureux, de tant d'attraits fi chers, De ces fens animés d'une flamme céleste, Qu'un cadavre glacé, la pâture des vers. Ce fpectacle lamentable,

Cette perte irréparable,

Vous frappe d'un coup plus fort,

Que cent mille funérailles
De ceux qui dans les batailles
Donnaient & fouffraient la mort.

O BAREITH! ô vertus ! ô graces adorées! Femme fans préjugés, fans vice & fans erreur Quand la mort t'enleva de ces tristes contrées,' De ce féjour de fang, de rapine & d'horreur ; Poéfies, Tomel,

Mm

Les nations acharnées

De leurs haines forcenées
Suspendirent les fureurs :
Les difcordes s'arrêtèrent;
Tous les peuples s'accordèrent
A t'honorer de leurs pleurs.

De la douce vertu tel eft le für empire; Telle eft la digne offrande à tes mânes facrés.

Vous qui n'êtes que grands, vous qu'un flatteur admire, Vous traitons-nous ainfi lorfque vous expirez ?

t

La mort que Dieu vous envoie,

Eft le feul moment de joie

Qui confole nos esprits.
Emportez, ames cruelles,
Ou nos haines éternelles,

Ou nos éternels mépris.

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Mais toi dont la vertu fut toujours fecourable

Toi, dans qui l'héroïsme égala la bonté,

Qui penfais en grand homme, en philofophe aimable, Qui de ton fexe enfin n'avais que la beauté :

Si ton infenfible cendre

Chez les morts pouvait entendre

Tous ces cris de notre amour,
Tu dirais dans ta pensée,
Les Dieux m'ont récompensée,
Quand ils m'ont ôté le jour.

C'eft nous triftes humains, nous qui fommes à plaindre, Dans nos champs défolés & fous nos boulevards, Condamnés à fouffrir, condamnés à tout craindre Des ferpens de l'envie & des fureurs de Mars, Les peuples foulés gémiffent, Les arts, les vertus périffent; On affaffine les rois, Tandis que l'on ofe encore Dans ce fiècle que j'abhore

Parler de moeurs & de loix!

Hélas ! qui déformais dans une cour paisible
Retiendra fagement la fuperftition,

Le fanglant fanatifme, & l'athéifme horrible
Enchaînés fous les pieds de la religion?

Qui prendra pour fon modèle

La loi pure & naturelle

Que Dieu grava dans nos cœurs?
Loi fainte, aujourd'hui profcrite
Par la fureur hypocrite
D'ignorans perfécuteurs.

Des tranquilles hauteurs de la philofophie,
Ta pitié contemplait avec des yeux fereins
Ces fantômes changeans du fonge de la vie,
Tant de travaux détruits, tant de projets fi vains.
Ces factions indociles

Qui tourmentent dans nos villes
Nos citoyens obstinés;

Ces intrigues fi cruelles,

Qui font des cours les plus belles
Un féjour d'infortunés.

Du tems qui fuit toujours tu fis toujours usage; O combien tu plaignais l'infame oifiveté De ces efprits fans goût, fans force & fans courage Qui meurent pleins de jours, & n'ont point existé! La vie eft dans la pensée. Si l'ame n'eft exercée, Tout fon pouvoir se détruit; Ce flambeau fans nourriture N'a qu'une lueur obscure Plus affreufe que la nuit.

Illuftres meurtriers, victimes mercenaires, Qui redoutant la honte & maîtrisant la peur, L'un par l'autre animés aux combats fanguinaires, Fuiriez fi vous l'ofiez, & mourez par honneur: Une femme, une princeffe,

Dans fa tranquille fageffe,

Du fort dédaignant les coups,
Souffrant les maux fans fe plaindre,
Voyant la mort fans la craindre,
Etait plus brave que vous.

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