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Tel eft l'état de la nature humaine.

La jaloufie, & tous fes noirs enfans,
Sont au théâtre, au conclave, aux couvens.
Montez au ciel, trois déeffes rivales
Troublent le ciel, qui rit de leurs scandales.
Que faire donc ? à quel faint recourir?
Je n'en fais point. Il faut favoir fouffrir.

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ÉPITRE

A UN MINISTRE D'ÉTAT,

SUR L'ENCOURAGEMENT

DES ARTS.

To 1 qui mêlant toujours l'agréable à l'utile,

Des plaisirs aux travaux paffas d'un vol agile,

Que j'aime à voir ton goût par des foins bienfaifans,
Encourager les arts à ta voix renaiffans!

Sans accorder jamais d'injufte préférence,
Entre tous ces rivaux tien toujours la balance.
De Melpomène en pleurs anime les accens;
De fa riante fœur chéri les agrémens;

Anime le pinceau, le cifeau, l'harmonie,

Et mets un compas d'or dans les mains d'Uranie.
Le véritable esprit fait se plier à tout ;

On ne vit qu'à demi, quand on n'a qu'un feul goût.

Je plains tout être faible, aveugle en fa manie,
Qui dans un feul objet confina fon génie,
Et qui de fon idole adorateur charmé,
Veut immoler le refte au DIEU qu'il s'eft formé.
Entens-tu murmurer ce fauvage algébriste,

A la démarche lente, au teint blême, à l'œil trifte,
Qui d'un calcul aride à peine encor inftruit,
Sait que quatre eft à deux, comme seize est à huit?
Il méprise Racine, il infulte à Corneille;

Lulli n'a point de fons pour fa pesante oreille;
Et Rubens vainement, fous fes pinceaux flatteurs,
De la belle nature affortit les couleurs.

Des xx redoublés admirant la puiffance,

Il croit que Varignon fut feul utile en France;
Et s'étonne, fur-tout, qu'infpiré par l'amour,
Sans algèbre autrefois Quinault charmât la cour.

Avec non moins d'orgueil & non moins de folie,
Un élève d'Euterpe, un enfant de Thalie,...
Qui dans fes vers pillés nous répète aujourdhui
Ce qu'on a dit cent fois, & toujours mieux que lui;
De fa frivole mufe admirateur unique,

Conçoit pour tout le refte un dégoût léthargique;
Prend pour des arpenteurs Archimède & Newton,
Et voudrait mettre en vers Ariftote & Platon,
Ce bœuf qui pefamment rumine fes problêmes,
Ce papillon folâtre ennemi des fyftêmes,
Sont regardés tous deux avec un ris moqueur,
Par un bavard en robe, apprenti chicaneur,
Qui de papiers timbrés barbouilleur mercenaire,
Vous vend pour un écu fa plume & fa colère.
Pauvres fous, vains efprits, s'écrie avec hauteur
Un ignorant fourré, fier du nom de docteur :
Venez à moi, laiffez Maffillon, Bourdaloue;

Je veux vous convertir; mais je veux qu'on me loue.
Je divife en trois points le plus fimple des cas;
J'ai vingt ans, fans l'entendre, expliqué Saint-Thomas,
Ainfi ces charlatans, de leur art idolâtres,

Attroupent un vain peuple aux pieds de leurs théâtres.
L'honnête homme eft plus jufte, il approuve en autrui
Les arts & les talens qu'il ne fent point en lui.
Jadis avant que DIEU, conformant fon ouvrage,
Eût d'un fouffle de vie animé fon image,

Il fe plut à créer des animaux divers :

L'aigle au regard perçant pour régner dans les airs,

Le

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Le pan pour étaler l'iris de fon plumage,
Le courfier pour fervir, le loup pour le carnage,
Le chien fidèle & prompt, l'âne docile & lent,
Et le taureau farouche, & l'animal bêlant,
Le chantre des forêts, la douce tourterelle,
Qu'on a cru fauffement des amans le modèle;
L'homme les nomma tous, & par un heureux choix,
Difcernant leurs inftincts, affigna leurs emplois.

On conte que l'époux de la célèbre Hortense (a)
Signala plaisamment fa fainte extravagance;
Craignant de faire un choix par fa faible raison,
Il tirait aux trois dés les rangs de fa maifon.
Le fort d'un poftillon faifait un fecrétaire;
Son cocher étonné devint homme d'affaire;
Un docteur Hibernois, fon très-digne aumônier,
Rendit graces au deftin qui le fit cuifinier.
On a vu quelquefois des choix auffi bizarres.
Il est beaucoup d'emplois, mais les talens font rares.
Si dans Rome avilie, un empereur brutal

Des faifceaux d'un conful honora fon cheval,

Il fut cent fois moins fou que ceux dont l'imprudence
Dans d'indignes mortels a mis fa confiance,
L'ignorant a porté la robe de Cujas;

La mitre a décoré des têtes de Midas:
Et tel au gouvernail a préfidé fans peine,
Qui la rame à la main dût fervir à la chaîne.

Le mérite eft caché. Qui fait fi de nos tems

Il n'eft point, quoiqu'on dife, encor quelques talens?

(a) Le duc de Mazarin, mari de fa maifon, & ce qu'on rapporte ici d'Hortenfe Mancini, faifait tous les a un fondement très-véritable.

ans une loterie de plufieurs emplois

Poésies. Tome I.

Q q

Peut-être qu'un Virgile, un Ciceron fauvage,
Eft chantre de paroifle, ou juge de village.
Le fort, aveugle roi des aveugles humains,
Contredit la nature, & détruit fes de feins;
Il affaiblit fes traits, les change ou les efface.
Tout s'arrange au hafard, & rien n'est à sa place.

VARIANTES.

Cette épître commençait ainfi.

Efprit fage & brillant, que le ciel a fait naître,
Et pour plaire aux fujets & pour fervir leur maître,
Que j'aime à voir ton goût, par des foins bienfaifans,
Encourager les arts à ta voix renaifans!

Sans accorder jamais d'injuste préférence,

Entre tous ces rivaux ta main tient la balance;
Tel qu'un père éclairé qui fait de fes enfans
Difcerner, applaudir, employer les talens.
Je plains, &c. &c.

Après ce vers, Un ignorant fourré, &c. on lifait ceux-ci.

Venez à moi, je fuis l'oracle de l'églife,

J'argumente, j'écris, je bénis, j'exorcife;

J'ai des péchés en chaire épluché tous les cas;

J'ai vingt ans, &c. &c.

Après ce vers, Difcernant leurs inftincts, &c. on lifait ceux-ci.

Ainfi par un goût fûr, par un choix toujours fage,

Des talens différens tu fais un jufte usage;

Tu fais de Melpomène animer les accens,

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