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moins content de l'acteur qui les fupprima daus la repréfentation fuivante. Je me fentais une horreur incxprimable pour ce Joal; je m'intéreslais vivement à Athalie je, difais d'après vous

mêne :

Je pleure hélas! de la pauvre Athalie

Si méchamment mife à mort par Joad.

Car pourquoi ce grand-prêtre confpire-t-il très-imprudemment contre la reine? Pourquoi la trahit-il? Fourquoi l'égorge-t-il ? ceit pparemment pour régner lui-même fous le nom du petit Jeas. Car quel autre que lui pourrait avoir la régence fous un roi enfant, dont il eft le maitre?

Ce n'ait pas tout, il veut qu'on extermine fes concitoyens, qu'on je baigne dans leur fang fans horreur ; il dit à fes prêtres:

Frappez & Tyriens & même Ifraélites.

Quel eft le prétexte de cette boucherie? c'est que les uns adorent DIEU fous le noin phénicien d'Adonai, les autres fous le nom caldéen de Eaal où Bel. En bonne foi, eft - ce là une raifon pour maffacrer fes concitoyens, fes parens, comme il lordonne? Quoi! parce que Racine eft janféniste, il veut qu'on faffe une Saint-Barthelcini des hérétiques!

Il est d'autant plus permis d'avoir en exécration l'affaffinat & les fureurs de Joad, que les livres juifs, que toute la terre fait être infpirés de DIEU, ne lui donnent aucun éloge. J'ai vu plufeurs de mes compatriotes qui regardent du même œil Joad & Cromwell. Is difent que l'un & l'autre fe fervirent de la religion pour faire mourir leurs monarques. J'ai vu même des gens difficiles qui difaient que le prêtre Joad n'avait pas plus de droit d'affaffiner Athalie que votre jacobin Clément n'en avait d'af faffiner Henri III.

On n'a jamais joué Athalie chez nous; je m'imagine que c'eft parce qu'on y détefte un prêtre qui affaffine fa reine fans la fanction d'un acte paffé en parlement.

C'eft peut-être, lui répondis-je, parce qu'on ne tue qu'une feule reine dans cette pièce ; il en faut des douzaines aux Anglais avec autant de fpectres.

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Non, croyez-moi, me repliqua-t-il, fi on ne joue point Athalie à Londres, c'eft qu'il n'y a point affez d'action pour nous; c'eft que tout s'y paffe en longs difcours; c'eft que les quatre premiers actes entiers font des préparatifs; c'est que Jofabeth & Mathan font des perfonnages peu agiffans; c'eft que le grand mérite de cet ouvrage confifte dans l'extrême fimplicité & dans l'élégance noble du ftyle. La fimplicité n'est point du tout un mérite fur notre théâtre; nous voulons bien plus de fracas, d'intrigue, d'action & d'événemens variés : les autres nations nous blåment; mais font-elles en droit de vouloir nous empêcher d'avoir du plaifir à notre manière ? En fait de goût comme de gouvernement, chacun doit être le maître chez foi. Pour la beauté de la verfification elle ne se peut jamais traduire. Enfin le jeune Eliacin en long habit de lin & le petit Zacharie, tous deux préfentant le fel au grandprêtre, ne feraient aucun effet fur les têtes de mes compatriotes, qui veulent être profondément occupées, & fortement

remuées.

Perfonne ne court, véritablement le moindre danger dans cette pièce, jusqu'au moment où la trahifon du grand-prêtre éclate : car aflurément on ne craint point qu'Athalie faffe tuer le petit Joas; elle n'en a nulle envie; elle veut l'élever comme fon 'propre fils. Il faut avouer que le grand-prêtre par fes manœuvres

&

par fa férocité, fait tout ce qu'il peut pour perdre cet enfant qu'il veut conferver: car en attirant la reine dans le temple fous prétexte de lui donner de l'argent, en préparant cet affaffinat, pouvait-il s'affurer que le petit Joas ne ferait pas égorgé dans le tumulte ?

En un mot, ce qui peut être bon pour une nation, peut être fort infipide pour une autre. On a voulu en vain me` faire admirer la réponse que Joas fait à la reine quand elle lui dit:

J'ai mon Dieu que je fers, vous fervirez le vôtre;

Ce font deux puiffans Dieux.

Le petit Juif lui répond ;

Σ

Il faut craindre le mien,

Lui feul eft Dieu, madame, & le vôtre n'eft rien.

Qui ne voit que l'enfant aurait répondu de même, s'il avait été. élevé dans le culte de Baal par Maihan? Cette réponse ne fignifie autre chofe, finon, j'ai raison & vous avez tort: car ma nourrice me l'a dit.

Enfin, Monfieur, j'admire avec vous l'art & les vers de Racine dans Athalie, & je trouve avec vous que le fanatique Joad est d'un très-dangereux exemple.

le

Je ne veux point, lui repliquai-je, condamner le goût de vos Anglais; chaque peuple a fon caractère. Ce n'eft point pour roi Guillaume que Racine fit fon Athalie; c'eft pour madame de Maintenon & pour des Français. Peut-être vos Anglais n'auraient point été touchés du péril imaginaire du petit Joas; ils raisonnent; mais les Français fentent; il faut plaire à fa nation; & quiconque n'a point avec le tems de réputation chez foi, n'en a jamais ailleurs. Racine prévit bien l'effet que fa pièce devait faire fur notre théâtre; il conçut que les fpectateurs croiraient en effet que la vie de l'enfant eft menacée, quoiqu'elle ne le foit. point du tout. Il fentit qu'il ferait illufion par le prestige de fon art admirable , que la préfence de cet enfant & les difcours touchans de Joad qui lui fert de père, arracheraient des larmes.

J'avoue qu'il n'eft pas poffible qu'une femme d'environ cent ans veuille égorger fon petit-fils, fon unique héritier; je fais qu'elle a un intérêt preffant à l'élever auprès d'elle, qu'il doit lui fervir de fauve-garde contre fes ennemis, que la vie de cet enfant doit être fon plus cher objet après la fienne propre; mais l'auteur a l'adreffe de ne pas préfenter cette vérité aux yeux; il la déguise, il inspire de l'horreur pour Athalie qu'il repréfente comme ayant égorgé tous fes petits - fils, quoique ce maffacre ne fit nullement vraisemblable. Il fuppofe que Jous a échappé au carnage; dès-lors le fpectateur eft alarmé & attendri. Un vrai poëte tel que Racine eft, fi je l'ofe dire, comme un D EU qui tient les cours des hommes dans fa main. Le potier qui donne à fon gré des for Poéfies. Tome I.

B

mes à l'argille, n'eft qu'une faible image du grand poëte qui tourne comme il veut nos idées & nos paffions.

Tel fut à-peu-près l'entretien que j'eus autrefois avec milord Cornsbury, l'un des meilleurs efprits qu'ait produit la GrandeBretagne.

Je reviens à préfent à la tragédie des Guèbres que je fuis bien loin de comparer à l'Athalie pour la beauté du ftyle, pour la fimplicité de la conduite, pour la majefté du fujet, pour les reffources de l'art.

Athalie a d'ailleurs un avantage que rien ne peut compenfer; celui d'être fondée fur une religion qui était alors la feule véritable, & qui n'a été, comme on fait, remplacée que par la nôtre. Les noms feuls d'Ifraël, de David, de Salomon, de Juda, de Benjamin impriment fur cette tragédie je ne fais quelle horreur religieufe qui faifit un grand nombre de fpectateurs. On rappelle dans la pièce tous les prodiges facrés dont DIEU honora fon peuple Juif fous les defcendans de David; Achab puni, les chiens qui léchent fon fang fuivant la prédiction d'Elie & fuivant le pfeaume 67: Les chiens lécheront leur Sang...

Elie annonce qu'il ne pleuvra de trois ans ; il prouve à quatre cent cinquante prophètes du roi Achab qu'ils font de faux prophètes, en faifant confommer fon holocaufte d'un boeuf par le feu du ciel; & il fait égorger les quatre cent cinquante prophètes qui n'ont pu opéer un pareil miracle. Tous ces grands fignes de la puiflance divine font retracés pompeufement dans la tragédie d'Athalie dès la première fcène. Le pontife Joad lui-même prophétife & déclare que l'or fera changé en plomb. Tout le fublime de l'hiftoire juive eft répandu dans la pièce depuis le premier vers jufqu'au dernier.

La tragédie des Guèbres ne peut être appuyée par ces fecours divins; il ne s'agit ici que d'humanité. Deux fimples officiers, pleins d'honneur & de générofité, veulent arracher une fille innocente à la fureur de quelques prêtres payens. Point de prodiges, point d'oracles, point d'ordre des Dieux; la feule nature parle dans la pièce. Peut être ne va-t-on pas loin quand on n'eft pas foutenu par le merveilleux: mais enfin la morale de cette tragédie eft fi pure & fi touchante,

qu'elle a trouvé grace devant tous les efprits bien faits.

on

Si quelque ouvrage de théâtre pouvait contribuer à la
félicité publique par des maximes fages & vertueufes
convient que c'eft celui-ci.
c'est celui-ci. Il n'y a point de fouverain à qui
la terre entière n'applaudit avec transport fi on lui entendait
dire:

Je pense en citoyen, j'agis en empereur,
Je hais le fanatique & le perfécuteur.

Tout l'efprit de la pièce eft dans ces deux vers, tout y conspire
à endre les mœurs plus douces, les peuples plus fages, les fou-
verains plus compatisfans, la religion plus conforme à la volonté
divine.

On nous a mandé que des hommes ennemis des arts, & plus encore de la faine morale, cabalaient en fecret contre cet ouvrage utile. Ils ont prétendu, dit-on, qu'on pouvait appliquer à quelques pontifes, à quelques prêtres modernes ce qu'on dit des anciens prêtres d'Apamée. Nous ne pouvons croire qu'on ose hasarder dans un fiècle tel que le nôtre des allufions fi faufses & fi ridicules. S'il y a peu de génie dans ce fiècle, il faut avouer du moins qu'il y règne une raifon très - cultivée. Les honnêtes gens ne fouffrent plus ces allufions malignes, ces interprétations forcées, cette fureur de voir dans un ouvrage ce qui n'y eft pas. On employa cet indigne artifice contre le Tartuffe de Molière: il ne prévalut pas. Prévaudrait-il aujourd'hui ?

Quelques figuriftes, dit-on, prétendent que les prêtres d'Apamée font les jéfuites le Tellier & Doucin, qu'Arzame eft une religieufe de Port - royal, que les Guèbres font les janféniftes. Cette idée eft folle; mais quand même on pourrait la couvrir de quelque apparence de raison, qu'en résulterait-il? que les jéfuites ont été quelque tems des perfécuteurs, des ennemis de la paix publique, qu'ils ont fait languir & mourir par lettres de cachet dans des prifons plus de cinq cents citoyens pour je ne fais quelle bulle qu'ils avaient fabriquée eux-mêmes, & qu'enfin on a très-bien fait de les punir.

D'autres qui veulent abfolument trouver une clef pour

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